Report by the Special Rapporteur on Torture and Other Cruel,
Inhuman, or Degrading Treatment or Punishment, Theo van Boven


Burundi

165. Par lettre en date du 10 mai 2004, le Rapporteur spécial, conjointement avec la Rapporteuse spéciale chargée de la question de la violence contre les femmes, y compris ses causes et ses conséquences, a informé le Gouvernement qu’il avait reçu les renseignements suivants:

166. Fabiola et sa sœur Germaine auraient quitté le camp de personnes déplacées de Kavumu, dans le Bujumbura-rural, où elles vivaient, pour aller chercher de la nourriture dans leurs champs situés dans la colline de Muyire, le 15 mai 2002. En arrivant, elles y auraient vu des militaires. Prise de panique, Germaine aurait cherché à fuir et un militaire l’aurait alors tuée par balle. Fabiola aurait, quant à elle, été violée par l’un des militaires du groupe. Elle aurait perdu abondamment son sang et n’aurait été retrouvée que le lendemain par des gens qui l’auraient aidée à rentrer au camp. Elle n’aurait pas subi le test de dépistage du VIH-sida.

E. S., une fille de 15 ans, aurait été arrêtée, forcée à aller dans des buissons et violée par un militaire à Bisinde, zone de Ruyigi, en septembre 2003, alors qu’elle rentrait du marché. Le militaire lui aurait dit de raconter qu’elle avait été violée par un membre du Conseil national pour la défense de la démocratie – Forces pour la défense de la démocratie (CNDD-FDD [Nkurunziza]). L. N., une fille de 16 ans, après avoir assisté à un mariage, rentrait seule chez elle, lorsqu’elle aurait croisé une patrouille de militaires à Bisinde, zone de Ruyigi, en septembre 2003. Elle aurait été violée par ceux-ci. Elle aurait déjà été violée trois mois auparavant par un combattant du CNDD-FDD (Nkurunziza) qui se serait introduit à son domicile en compagnie de sept autres hommes pour réclamer de l’argent. A cette occasion, les membres de sa famille et elle-même auraient été battus.

167. Par une lettre en date du 26 mars 2004, le Rapporteur spécial a informé le Gouvernement qu’il avait reçu des renseignements selon lesquels il n’existerait pas de prison dans la province de Kirundo, et qu’aussi bien les personnes arrêtées par la police de sécurité publique (PSP) que les personnes poursuivies par le parquet seraient détenues dans un cachot de police géré par des agents de la PSP. Par ailleurs, le Rapporteur spécial a reçu des renseignements sur les cas de torture ou mauvais traitements suivants, qui auraient eu lieu dans le cachot de police susmentionné ou dans le cachot de la brigade de gendarmerie de la province de Kirundo.

168. Rwasa Zakari et Mbuzukongira, tous deux accusés de meurtre, auraient été arrêtés le 30 janvier 2004 et incarcérés à la brigade de Ntega, où ils auraient été soumis à des actes de torture et autres formes de mauvais traitements avant d’être transférés à la brigade de Kirundo. M. Mbuzukongira se serait retrouvé avec le bras droit paralysé et une grosse blessure ouverte au pied droit. D’après les renseignements reçus, l’Office du Haut- Commissariat aux droits de l’homme au Burundi (OHCDHB) serait intervenu auprès du substitut du Procureur afin qu’il reçoive des soins médicaux.

169. Jean Mpawenayo, accusé de coups et blessures volontaires, aurait été arrêté et incarcéré le 7 février 2004 à la PSP de Kirundo. Avant son transfert de la colline de Cumva, commune de Kirundo, vers la PSP de Kirundo, il aurait été sévèrement battu par le chef de colline. Des traces de blessures auraient été visibles sur sa tête et son corps. D’après les renseignements reçus, il aurait été mis en liberté suite à l’intervention de l’OHCDHB.

170. Chartière Sibomana et Ananias Ndacaylsaba, accusés de coups et blessures volontaires, auraient été arrêtés et incarcérés le 3 février 2004 à la PSP de Kirundo. Avant d’être transférés à la PSP de Kirundo, à partir du secteur Renga, commune de Busoni, province de Kirundo, ils auraient été battus par le chef dudit secteur et des officiers de la police judiciaire de la commune de Busoni.

171. Havyarimana, accusé de tentative de meurtre et de vol qualifié, aurait été arrêté et incarcéré le 1er décembre 2003 à la brigade de Mukenke, commune de Bwambarangwe, province de Kirundo. Avant son transfert à la PSP de Kirundo, il aurait été battu par le commandant de brigade de Mukenke, qui lui aurait cassé le bras droit. Le délai de sa garde à vue aurait été largement dépassé. D’après les renseignements reçus, il aurait été mis en liberté suite à l’intervention de l’OHCDHB.

172. Pascal Ngerageze, accusé de vol qualifié, aurait été arrêté le 10 février 2004 à la brigade de Kirundo. Il y aurait été battu par le chef de secteur de Gikuyo et par un officier de la police judiciaire.

173. Minani Samson, accusé de vol qualifié, aurait été sévèrement battu par la population et le chef de secteur de Gatare, commune de Busoni, colline de Kigoma. Il aurait été atteint au dos par plusieurs flèches. L’OHCDHB aurait demandé sa mise en liberté pour qu’il puisse recevoir des soins médicaux.

174. Par une lettre datée du 12 mai 2004, le Gouvernement a indiqué que les faits étaient exacts et a transmis les informations complémentaires suivantes: Jean Mpawenayo, Chartière Sibomana, Ananias Ndacayisaba et Samson Minani ont été relaxés mais n’ont pas bénéficié de la réparation du préjudice subi. Quant à Zacharie Rwasa, Mbuzukongira et Pascal Ngerageze, ils ont été transférés à la prison de Ngozi. Havyarimana reste encore à la police de sécurité publique en infraction aux dispositions du nouveau Code de procédure pénale sur la garde à vue. La personne a largement dépassé les délais réglementaires de garde à vue et doit être libérée mais les auteurs de cette détention n’ont jusqu’à présent pas été poursuivis. Aucune plainte n’a été déposée au nom de ces victimes et le Ministère public qui devrait se saisir de ces cas ne l’a pas encore fait. Il n’y a donc pas eu d’expertise médicale des victimes, ni de sanction pénale ou disciplinaire à l’encontre des responsables dont l’identification a été confirmée par les investigations menées.

175. Le Gouvernement a par ailleurs confirmé que des pratiques de torture existent dans les services de police, de l’armée, de la gendarmerie, de la Sûreté (documentation) et dans les administrations publiques. Selon le Gouvernement, ces pratiques sont répandues surtout dans des endroits plus ou moins cachés et /ou d’accès difficile, et commises soit pendant les enquêtes préliminaires, soit sur les lieux d’arrestation. Bien que la Constitution de transition interdise formellement la torture, celle-ci n’est pas encore érigée en infraction pénale intrinsèque et punissable par la loi, et les victimes de la torture n’ont pas jusqu’à présent de piliers juridiques internes solides et efficaces pour mener une quelconque action en vue d’obtenir que les coupables soient sanctionnés et les victimes indemnisées. Peu de plaintes pour torture sont enregistrées auprès de la justice. Quelques cas ont donné lieu à des sanctions, que se soit dans les corps de police, de la gendarmerie, de la Sûreté ou de l’administration du territoire mais les sanctions infligées sont souvent de loin inférieures à la gravité des infractions commises. Le Code pénal burundais est lacunaire en matière de réparation des torts subis.

176. Par une lettre en date du 21 octobre 2004, le Rapporteur spécial, conjointement avec la Rapporteuse spéciale chargée de la question de la violence contre les femmes, y compris ses causes et ses conséquences, a informé le Gouvernement qu’il avait reçu des renseignements selon lesquels les femmes burundaises continueraient d’être victimes de violence sexuelle et de traitements dégradants.

177. D’après les informations reçues, l’année 2003 aurait été marquée par un fort accroissement du nombre de viols. 446 cas de viol auraient été enregistrés, la plupart ayant eu lieu dans la municipalité de Bujumbura où seules 64 femmes auraient porté plainte. 38 cas de viol auraient également été recensés dans la province de Bubanza. Quatre des victimes auraient été âgées de moins de 10 ans, et sur ces 38 cas, 15 seraient attribués aux membres des forces armés. Entre mai et août 2003, 60 cas de viol de femmes de 9 à 77 ans auraient été traités à l’hôpital de province de Ruyigi.

178. Il a également été rapporté que les auteurs de viols seraient dans leur grande majorité des membres des forces armées burundaises et de groupes politiques armés. En 2003, des centaines de femmes auraient été violées par des combattants du CNDD-FDD, le plus souvent au cours d’opérations de pillage. Les viols ne se limiteraient pas aux régions les plus touchées par les affrontements. Dans certaines régions du pays, l’ampleur des viols tendrait à indiquer une stratégie délibérée des belligérants qui consisterait à utiliser le viol et autres types de violence sexuelle contre les femmes comme arme de guerre pour seme r la terreur au sein de la population civile, l’avilir et l’humilier. Parmi les femmes les plus vulnérables figureraient : les femmes non accompagnées, les veuves, les mères célibataires, les prostituées, les réfugiées, les déplacées de guerre à l’intérieur du pays, les détenues, les handicapées physiques ou mentales, les petites filles non gardées, les écolières, les adolescentes et les enfants placés dans des familles nourricières. L’impunité dont jouiraient les forces de sécurité pour les viols et autres atteintes aux droits humains commis par leurs membres serait le principal facteur expliquant pourquoi les viols et autres formes de violence sexuelle atteignent des niveaux aussi alarmants. L’inaction présumée des autorités conduirait la plupart des femmes victimes de violences sexuelles à ne pas chercher à obtenir réparation. Un manque de rigueur quant au traitement des plaintes aurait été observé et des investigations ne seraient que rarement conduites, les policiers se limitant à recueillir le témoignage des victimes et de leurs témoins. Dans certains cas, la police refuserait purement et simplement d’ouvrir une enquête. Certains postes de police et notamment ceux des chefs- lieux de zones et de communes exigeraient des victimes que les femmes paient les frais d’incarcération de leurs agresseurs, faute de quoi ceux-ci seraient libérés. Il a également été rapporté que des policiers et des magistrats auraient ridiculisé et humilié des femmes qui se seraient présentées à eux. Dans un cas, un magistrat aurait même enjoint à une victime d’aller délivrer elle-même la citation à comparaître à son violeur présumé.

179. S’agissant du Ministère public, celui-ci ne ferait pas usage de tous ses pouvoirs pour lutter contre les violences sexuelles, et, ayant le monopole de l’action publique, la victime ne pourrait se constituer partie civile qu’une fois l’action publique engagée. Quand la victime ne connaît pas ces agresseurs, celle-ci ne pourrait porter plainte. Faute d’assistance judiciaire, les femmes victimes de violence sexuelle n’auraient aucune influence sur le déroulement de la procédure. Les femmes seraient en outre très souvent intimidées par leurs agresseurs au cours de la procédure et aucune mesure ne serait prise pour les protéger d’éventuelles représailles. Il a également été rapporté que certains juges exigeraient un certificat médical établi par un médecin du gouvernement à titre de preuve, alors même que les femmes auraient souvent des difficultés à se rendre à temps dans les centres médicaux et que les médecins susceptibles de produire ces certificats ne seraient pas toujours disponibles. Même dans les situations où le coupable serait condamné, la victime n’obtiendrait que rarement réparation.

180. Outre les séquelles physiques de ces brutalités – blessures, grossesses, infections dues au VIH-sida et autres maladies, voire la mort –, les victimes de viol risqueraient d’être exclues de la société, abandonnées par leur propre famille. Les services de santé seraient dotés d’un budget insuffisant et s’avèreraient inaccessibles dans de nombreuses provinces, particulièrement pour les femmes qui vivent loin des dispensaires ou dans les zones de conflit. Il arriverait aussi que les médicaments ne soient tout simplement pas disponibles.

181. Dans ce contexte, les Rapporteurs spéciaux ont été informés des cas individuels suivants:

182. Adèle N., de la colline de Gihehe, commune de Giheta, aurait passé trois mois à l’hôpital après avoir été violée à plusieurs reprises en avril 2003. Des membres de groupes armés se seraient présentés à son domicile et lui auraient demandé de l’argent. Comme elle n’en avait pas, ils l’auraient frappée au visage et dans le dos avec leurs fusils avant que neuf des hommes présents ne la violent.

183. R. N., une fillette âgée de 13 ans vivant à Ruhwago, dans la province de Ruyigi, aurait été violée dans la nuit du 3 mars 2003. D’après les informations reçues, la fillette se serait réveillée cette nuit- là en raison de la présence inhabituelle au domicile familial de nombreuses personnes. Elle aurait assisté au vio l de sa mère, Désirée, par deux hommes avant d’être elle- même déshabillée, emmenée à l’extérieur, menacée de mort et violée par deux hommes.

184. Marguerite Hatungimana, une femme de Bujumbura-rural, veuve depuis 1999, aurait été violée en mars 2002 par deux militaires alors qu’elle se trouvait dans un camp de personnes déplacées, après avoir été forcée de quitter sa colline.

185. Odette, une femme de quarante-deux ans, aurait été violée par un militaire en 2002 alors qu’elle quittait le camp de personnes déplacées où elle vivait, dans Bujumbura-rural. Informé de ce viol, son mari l’aurait abandonnée avec ses enfants.

186. Les Rapporteurs spéciaux ont par ailleurs reçu des informations selon lesquelles seuls les locaux de la police judiciaire des parquets et de la police municipale de Bujumbura disposeraient de cellules réservées aux femmes, les autres postes de police de zones et de communes du pays n’ayant aucun endroit aménagé à cet effet. S’agissant des prisons, seule la prison de Ngozi ferait une nette séparation entre les quartiers réservés aux hommes et ceux réservés aux femmes et aux enfants. Dans les autres prisons, les enfants resteraient au contact des adultes. Quant aux femmes, celles-ci ne seraient effectivement à l’écart des hommes que durant la nuit.

Appels urgents

187. Le 29 septembre 2004, le Rapporteur spécial a envoyé un appel urgent, conjointement avec la Présidente-Rapporteur du Groupe de travail sur la détention arbitraire, le Rapporteur spécial sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression et la Représentante spéciale du Secrétaire général sur la situation des défenseurs des droits de l’homme, qui concerne Pierre Claver et Célestin Nsavyimana. MM. Pierre Claver et Célestin Nsavyimana, respectivement président et trésorier de la Confédération des syndicats du Burundi (COSYBU), auraient été arrêtés le 24 septembre 2004 au siège de leur organisation à Bujumbura. Deux ordinateurs auraient été saisis au cours de leur arrestation. Le 29 septembre 2004, les deux syndicalistes étaient détenus dans les locaux de la police présidentielle et n’avaient toujours pas eu accès à leur avocat. Ces arrestations seraient liées à un mémorandum critique sur l’adoption le 17 septembre 2004 d’une nouvelle constitution par le Parlement burundais que Pierre Claver et Célestin Nsavyiman avaient soumis à signature aux membres de la COSYBU. Dans ce document, les deux syndicalistes s’inquiétaient du rôle et de la place des institutions garantissant les libertés syndicales, les libertés individuelles et la stabilité politique.

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small logo   This report has been published by Equipo Nizkor and Derechos Human Rights on July 12, 2005.