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12mar16

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Le spectre du paramilitarisme est de retour


Alors que le processus de paix se poursuit, les néoparamilitaires se déploient dans le pays. Les bandes criminelles (bacrim) sont en augmentation et constituent la principale préoccupation des FARC au sujet de l'abandon des armes. Qui pourra les arrêter ?

L'histoire de la guerre sale ne peut se répéter ; pourtant elle se répète. Le 7 mars, des sicarios (tueurs à gages) ont tué William Castillo à El Bagre, Antioquia. C'était un activiste des droits de l'homme, proche de la Marcha Patriótica, qui était à la tête d'un mouvement s'opposant à l'extraction minière à grande échelle et à l'extraction minière illégale dans sa région. La veille, en plein terrain de football à Soacha, Cundinamarca, des inconnus ont tué par balles le jeune communiste Klaus Zapata, travailleur social qui collaborait avec des publications de gauche et était devenu un activiste du processus de paix. Une semaine plus tôt, le 1er mars, Maricela Tombe, leader paysanne, proche du mouvement Congrès des Peuples, était assassinée à Tambo, dans le Cauca. À Popayán, Alexander Oime, leader autochtone, tombait aussi sous les balles. Vendredi, cette vague de crimes se clôturait par la mort, dans le département d'Arauca, de Milton Escobar, également d'allégeance communiste.

Ce n'est pas tout. Au Putumayo, neuf personnes appartenant à des mouvements sociaux de base ont été liquidées. Tumaco a connu une nouvelle vague d'homicides. Une dirigeante du Catatumbo a dû fuir la région à cause des menaces. Au Chocó et au Bajo Cauca, des combats ont opposé des forces conjointes des FARC et de l'ELN et le Clan Úsuga. Au Baudó, des déplacement massifs comme il n'y en avait plus eu depuis dix ans sont en cours.

Les alarmes retentissent. "Je suis certain qu'un plan pour nous tuer a été activé", a dit César Jerez, porte-parole de l'Association de zones de réserve paysanne et militant de la Marcha Patriótica. Les mouvements sociaux et de gauche, y compris l'Unión Patriótica, appelle à une réaction moins bureaucratique du gouvernement et de la justice. Sur les réseaux, ils implorent le gouvernement de ne pas les laisser à la merci des forces obscures. "Le gouvernement maintient sa position habituelle. Il dit que ce sont des faits isolés, qu'il s'agit des bacrim", se plaint Jerez. Et celui-ci d'ajouter : "Comment est-ce possible, avec toute la technologie militaire dont ils disposent, qu'ils ne parviennent pas à neutraliser ces groupes ? Pourquoi n'y a-t-il jamais d'enquête sur les menaces à notre encontre ? [...] Le fils d'Uribe a été menacé sur Internet, et le lendemain le coupable était arrêté. Ça n'est jamais arrivé pour nous."

Telle est la situation en Colombie, alors qu'au même moment, à la table de La Havane, il est question de la fin du conflit, dont l'un des points cruciaux concerne les garanties de sécurité pour les FARC, pour les mouvements sociaux dans leurs zones d'influence et pour les régions au coeur du conflit. En réalité, pour le pays entier, puisque les bandes criminelles, selon des rapports de l'année passée de la Fondation Ideas para la Paz, se retrouvent dans 338 localités de 23 départements. Et elles continuent de s'étendre et de muter. Les membres des FARC craignent d'être assassinés lorsqu'ils abandonneront les armes. Le gouvernement leur promet qu'il n'en sera rien. Mais si la guérilla rendait les armes aujourd'hui, il pourrait difficilement tenir sa promesse.

Qui sont-ils ?

Le paramilitarisme, tel que le pays l'a connu les décennies passées, n'existe plus. Il n'y a pas de Carlos Castaño, cartouchières en bandoulière et fusil à l'épaule, tentant un discours de droite incendiaire. Le phénomène criminel qui s'exprime aujourd'hui est plus complexe et moins contrôlé, mais non moins préoccupant. Le gouvernement se refuse à l'appeler paramilitarisme, mais des secteurs institutionnels pensent que si rien n'est fait rapidement et efficacement, un nouveau schéma paramilitaire qui saboterait le processus de paix pourrait émerger. Phénomènes politiques ou nons, ces groupes sont prêts à tout et les stratégies pour les combattre tentées jusqu'ici par le gouvernement sont insuffisantes.

Pour Ariel Ávila, de la Fondation Paz y Reconciliación, les bandes criminelles agissent selon trois schémas :

1) Certaines sont similaires aux anciennes autodéfenses, presque toujours emmenées par d'anciens membres des AUC, qui entretiennent des liens avec des politiciens, des commandants de troupes, qui vont jusqu'à disputer le territoire aux guérillas ou à d'autres bandes, et qui veillent aux intérêts de prête-noms dans des affaires illicites ;

2) 30 % sont des groupes régionaux qui ne veillent qu'aux rentes illicites, toujours plus juteuses ;

3) Le 30 % restant est le plus délicat, selon Ávila : il s'agit de mercenaires et de tueurs à gages dont l'activité principale consiste à "vendre" de la violence au plus offrant. Ils se proposent pour tuer des dirigeants sociaux qui gênent les intérêts de certains groupes de pouvoir dans les régions.

Le problème réside dans le fait que le Clan Úsuga - ou les Urabeños -, la plus grande des neufs bandes du pays, utilise les trois modalités, en fonction de la zone. Ainsi, alors qu'au Chocó, ils affrontent les FARC et l'ELN, à Buenaventura ou à Barrancabermeja, ils contrôlent des petites bandes locales fragmentées. Lorsqu'il s'agit de procéder à un nettoyage social ou à une guerre sale contre la gauche, ils se font appeler Águilas Negras (Aigles noirs). La police en a fait une caractérisation similaire à celle d'Ávila.

Pourtant, le vice-ministre de la Défense, Aníbal Fernández de Soto, a déclaré à Semana que les bacrim "ne représentent pas une menace pour la sécurité nationale et leur capacité de nuisance s'est réduite ces cinq dernières années. Ils peuvent constituer une menace dans certaines zones du pays pour ce qui est de la consolidation des accords de paix". C'est grave, car comme l'a constaté le Haut-Commissariat aux droits de l'homme en Colombie de l'ONU, dirigé par Todd Howland, il se produit un vide de pouvoir dans de nombreuses régions, que d'autres acteurs remplissent, qu'il s'agisse des bacrims, de l'ELN ou de l'EPL. Les questions à se poser sont : où est la force publique ? Que font le demi-millions d'effectifs militaires et policiers ?

Les saboteurs

Il est vrai que dans tout processus de paix il y a des saboteurs. Ces groupes en font partie ou agissent comme instrument de ceux qui ne veulent pas de la paix dans les territoires. Si l'on analyse l'histoire des négociations antérieures avec la guérilla, il y a des raisons de s'inquiéter. Comme l'a documenté María Teresa Ronderos dans son livre Guerras recicladas, la première phase de paramilitarisme en Colombie fut une réponse des éleveurs, des militaires, des mafieux et des politiques qui virent leur statu quo menacé par une possible entrée des FARC en politique par l'Unión Patriótica, lors du processux de paix mené sous Belisario Betancur. Ce rassemblement conspira pour que cette tentative de paix ne connaisse pas une fin heureuse, parmi d'autres facteurs.

Presque deux décennies plus tard, lorsqu'Andrés Pastrana fit une nouvelle tentative de processus de paix dans le Caguán, le paramilitarisme mit le pays à feu et à sang et parvint à mettre sur pied un projet politique pour capturer le pouvoir régional, qui serait connu sous le nom de parapolitique, dont l'objectif était d'empêcher la guérilla d'entrer dans la vie politique. Il faut se demander si, aujourd'hui, alors que le désarmement des FARC semble imminent, l'on peut continuer à envisager la violence émergente comme une activité criminelle ou s'il faudrait la considérer comme une nouvelle guerre sale destinée à boycotter l'ouverture démocratique et les changements promis par les accords de La Havane, touchant aux intérêts de pouvoirs mafieux installés de facto dans de nombreux endroits du pays.

L'État est-il en train d'échouer ?

 

Zones d'influence du Clan Úsuga

À La Havane, cette question provoque une inquiétude compréhensible. Certains négociateurs des FARC commentent, préoccupés et sans ironie, que si l'État n'est pas capable de faire fléchir Otoniel Úsuga, chef des Urabeños, plus d'un an après avoir promis de le faire, il se ridiculise. "Il est possible que l'État ne puisse pas vaincre un groupe insurgé, mais un délinquant de droit commun, c'est invraisemblable", disent-ils.

Pour ce qui est des bandes criminelles, les autorités ont capturé plus de 20.000 personnes ces dix dernières années, et plusieurs dirigeants importants, tels que Cuchillo, Megateo, Pijarvey et Puntilla, sont morts dans des actions menées par la force publique. Cependant, il est évident que les bandes sont comme la queue d'un lézard : elle repousse après avoir été coupée. Il n'y a pas d'explications au fait que la même stratégie soit utilisée pendant autant d'années, alors qu'elle s'est avérée pour le moins insuffisante et infructueuse.

La situation relativex aux saisies de drogues et de machines d'extraction minière illégale est similaire. Les résultats opérationnels viennent grossir les chiffres, mais en réalité les cultures de coca connaissent une progression considérable, comme l'a reconnu le ministre de la Défense lui-même. On s'attend à ce que les chiffres de 2015 dépassent les 100.000 hectares, chiffre avoisinnant ceux d'avant le plan Colombia. L'extraction minière s'envole. À cela s'ajoute l'augmentation de l'extorsion, du microtrafic, du business juteux de la traite d'êtres humains, et une multiplication des gains en raison du prix du dollar. Plus d'argent pour ces mafias signifie plus d'armes, plus de contrôle territorial, plus de capacité de corruption et plus d'alliances macabres.

La capture des véritables responsables de ce système criminel constitue l'exception et non la règle. Comme dans la lutte contre les drogues, on touche au maillon le plus faible de la chaîne. Pendant ce temps, il est impossible de mettre un terme au problème et l'horizon est incertain concernant la capacité de ces bandes à grandir et l'ampleur des dommages qu'elles sont capables d'infliger à un pays qui lutte pour entrer dans une étape de construction de paix territoriale. Le vice-ministre Fernández de Soto assure qu'il y a un changement de stratégie et que les récents efforts ciblent les maillons les plus forts de ces groupes. Il donne en guise d'exemple la capture d'Eduardo Otoya, qui faisait du blanchiment pour le Clan Úsuga dans le nord-est d'Antioquia, et qui était parvenu au poste de président de Frontino Gold Mines à Segovia et de Continental Gold à Buriticá, Antioquia.

Mais d'autres voix critiques croient qu'il existe plus de problèmes de fond. Howland, par exemple, pense que la corruption est la question la plus compliquée. "Lorsque les AUC se sont démobilisées, le lien entre la force publique et l'illégalité n'a pas pu être rompu. C'est l'origine du problème. S'il n'y pas de force qui agisse en toute transparence, c'est qu'il y a un problème très sérieux au sein de l'État colombien et les groupes vont suivre".

La corruption devient aussi un obstacle au développement d'un facteur-clé : la participation des communautés au problème de la sécurité des régions, car, sans confiance dans les institutions, les gens ne peuvent pas fournir d'informations. Pour Howland, ainsi que pour d'autres organismes internationaux, tels que la mission de l'OEA, la stratégie qui sera adoptée pour reconnaître les différences régionales est cruciale et elle doit attaquer le problème en fonction de ses particularités, car les groupes agissent de manière différente dans chaque zone. C'est pour cette raison que la corruption, en nuisant à la légitimité de l'État, devient un problème de sécurité citoyenne. Ajoutons à cela que la corruption rejaillit aussi sur les secteurs de la justice et de la politique dans les zones où l'influence de l'économie illégale et des groupes armés est très forte. Le cocktail molotov du recyclage de la violence est donc servi avant même la signature de la fin de la guerre avec les FARC.

Agir rapidement avec de nouvelles stratégies

Quelles sont les mesures envisagées à la table de La Havane concernant le paramilitarisme ?

Bien que l'opinion publique se soit centrée sur le problème du cessez-le-feu et de l'abandon des armes, le point trois de l'agenda de La Havane, concernant la fin du conflit, comprend plusieurs éléments se référant aux garanties de sécurité, à la lutte contre le crime organisé et à la mise en lumière du paramilitarisme. Une sous-commission, emmenée par Óscar Naranjo pour le gouvernement et par Pablo Catatumbo pour les FARC, s'efforce de travailler sur des formules qui, si elles venaient à s'appliquer, provoqueraient un renversement de ce qu'a été jusqu'à maintenant la lutte contre les bacrim. Voici quelques unes des idées qui sont sur la table :

1. Cas exemplaires : Envoyer des corps d'élite de la force publique, des juges, des procureurs et des fonctionnaires à l'épreuve de la corruption pour démontrer que des résultats peuvent être obtenus avec la transparence.

2. Création d'un groupe multidimensionnel avec des juges spécialisés et itinérants pour affronter le problème. Cela comprend une force de réaction rapide pour identifier et capturer les promoteurs de ces groupes, qui sont invisibles, soutenue par une unité spéciale contre le blanchiment d'argent.

3. Contrôle et supervision de la sécurité privée et des services de renseignement. Pour les FARC, la sécurité privée et le manque d'informations sur les agissements des organismes de sécurité représentent des risques potentiels pour leur futur.

4. Création d'un Conseil national de sécurité pour l'après-conflit, avec des antennes régionales, dans lequel seraient représentés les FARC, le gouvernement et la communauté internationale.

5. Un projet qui permettrait de soumettre les bacrim à la justice de manière collective, avec un projet de réinsertion, et non plus seulement des incitants individuels pour recourir au principe de l'opportunité des poursuites.

6. Que les institutions s'approprient le territoire avec la participation des communautés. Cela implique de démanteler les économies illégales et, par conséquent, de donner une dimension sociale au problème.

7. Parvenir à des accords régionaux pour le "vivre ensemble" et mener à bien des dialogues entre différents secteurs pour mettre un frein à la violence naissante.

[Source: Revista Semana, Bogotá, 12mar16]

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