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13mar13

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Communiqué faisant suite à la décision prise à propos de la situation juridique des inculpés dans l'affaire Claudia Julieta Duque


1. Le 1er mars 2013, l'office nº 3 de l'Unité des droits de l'homme du Bureau du Procureur général colombien diposait, dans un document de 120 pages, la détention préventive de sept hauts fonctionnaires du Département administratif de sécurité (DAS), récemment dissous, pour le crime de torture psychologique aggravée subie par Claudia Julieta Duque Orrego, correspondante de Radio Nizkor et représentante d'Equipo Nizkor en Colombie.

2. Cette mesure préventive (medida de aseguramiento), selon la terminologie du procès pénal en Colombie, a été prise à l'encontre des inculpés José Miguel Narváez Martínez, à l'origine du "Groupe spécial d'analyse d'intelligence stratégique", connu comme G-3, ex-conseiller et ancien sous-directeur du DAS; Giancarlo Auqué de Silvestri, ancien directeur de l'Intelligence et ex-secrétaire général; Carlos Alberto Arzayúz Guerrero, ancien sous-directeur des opérations, ancien directeur de l'Intelligence et ex-responsable du contrôle interne; Enrique Ariza Rivas, également ancien directeur de l'Intelligence du DAS; Rodolfo Medina Alemán, qui a été directeur du département de Contre-intelligence; Hugo Daney Ortiz García, ex-directeur de section au Risaralda et ancien sous-directeur des opérations du DAS; et Jorge Armando Rubiano, ancien sous-directeur du développement technologique.

3. Les fonctionnaires en cause sont également impliqués dans l'affaire inadéquatement baptisée des "écoutes illégales" ("Chuzadas del DAS") du DAS, en cours devant le sixième tribunal pénal du Circuit spécialisé: Hugo D. Ortiz, Jorge A. Rubiano, Rodolfo Medina et Enrique Ariza ont été condamnés le 30 novembre 2012; ces deux derniers sont en fuite, tandis que Giancarlo Auqué et Carlos A. Arzayúz attendent le jugement, et que José Miguel Narváez en est encore à la phase du procès. En ce sens, le Ministère public a fourni une conclusion argumentée selon laquelle les faits et l'objet soumis à l'enquête dans la présente affaire, ainsi que la qualification pénale de ceux-ci, sont différents de ceux qui font l'objet de l'enquête du Procureur 11 délégué auprès de la Cour Suprême de Justice et de ceux dont a connaissance le tribunal susmentionné, et que le principe non bis in idem est donc respecté.

4. José Miguel Narváez est en outre poursuivi pour le meurtre du journaliste et humoriste Jaime Garzón. Dans le cadre de l'enquête sur cette affaire, Claudia Julieta Duque avait été designée comme cible et a été victime de sérieuses opérations de contre-intelligence menées par le DAS, ce que nous avons dénoncé publiquement à plusieurs reprises depuis 2004.

5. Soulignons que la stratégie juridique adoptée pour la présente affaire lui est spécifique: elle est basée sur l'application du droit pénal international et vise à déterminer la responsabilité pénale individuelle en s'appuyant sur des principes tels que celui de la responsabilité de la chaîne de commandement. La décision du procureur comporte en effet pour la première fois une analyse du principe de responsabilité du supérieur hiérarchique appliquée à la structure organique du DAS.

6. La définition de la situation juridique des inculpés via l'adoption de cette mesure préventive, qui prend la forme de détentions préventives, implique l'examen objectif des preuves existantes à leur encontre par le Ministère public. Dans sa décision, le Procureur systématise, évalue et accepte la preuve existante, qui démontre que depuis 2003 au moins, le DAS, organisme dirigé par la Présidence de la République colombienne, a procédé à des actes criminels qui avaient pour but de "neutraliser" la communauté des défenseurs des droits de l'homme en Colombie, ainsi que des juges, des journalistes, des syndicalistes, etc., et a pris pour "cible prioritaire" notre correspondante.

Ces actes, qualifiés provisoirement par le Procureur de crime de torture aggravée, sous la forme de de torture psychologique, s'inscrivent dans l'entreprise de persécution systématique dont a été victime Claudia Julieta.

7. Dans sa décision, le Procureur indique que les actes indiscrimés pratiqués à l'encontre de la journaliste Claudia Duque au cours de cette entreprise de persécution se sont traduits par des "poursuites, des surveillances, des interceptions de courriers électroniques, des menaces et du harcèlement, entre autres" et représentent un crime de torture psychologique aux yeux du droit international, et il s'agit probablement de l'un des seuls procès pénaux dans lesquels la torture psychologique est considérée comme un crime.

8. Notre communiqué du 22 octobre 2009 exprimait ce qui suit:

    Pour mieux comprendre notre point de vue, voici les définitions qui figurent dans le manuel relatif à ces opérations, édité par le Département de la défense des Etats-Unis sous le titre U.S. Army Counterinsurgency Handbook dans son édition de 2007, dont le travail de révision revenait au lieutenant-général David Howell Petraeus, qui dirige actuellement le Commandement central des Etats-Unis et qui a également commandé la Force multinationale déployée en Irak.

      Contre-intelligence

      Selon la définition commune (des différentes forces) : « informations récoltées et activités conduites en vue de (se) protéger contre l'espionnage, d'autres activités de renseignement, le sabotage ou les assassinats réalisés ou commandés par des gouvernements étrangers ou par des éléments qui les composent, par des organisations ou des personnes étrangères ou par des groupes terroristes internationaux. (JP 1-02) »

      Selon la définition de l'armée, « le contre-intelligence compense ou neutralise la collecte de renseignements par la collecte d'informations, des enquêtes de contre-intelligence, des opérations, de l'analyse et de la production et des services fonctionnels et techniques. La contre-intelligence comprend toutes les actions menées dans le but de détecter, identifier, exploiter et neutraliser les activités multidisciplinaires de renseignement d'amis, de concurrents, d'opposants, d'adversaires, d'ennemis... (FM 2-0)

      Opérations d'information

      Selon la définition commune, il s'agit de « l'utilisation complète des capacités qu'offrent la guerre électronique, les opérations de réseaux informatiques, les opérations psychologiques, les opérations de diversion et la sécurité de ces opérations, ainsi que d'autres capacités liées aux précédentes et des capacités de soutien, pour influencer, annuler, corrompre ou s'approprier la prise de décisions de l'adversaire, que les décisions soient humaines ou automatisées, pendant que nous protégeons la nôtre. (JP 1-02) ».

      Selon la définition de l'armée : « l'utilisation complète des capacités qu'offrent la guerre électronique, les opérations de réseaux informatiques, les opérations psychologiques, les opérations de diversion et la sécurité des ces opérations, ainsi que d'autres capacités liées aux précédentes et des capacités de soutien, pour modifier et défendre les informations et les systèmes d'information et influencer la prise de décisions. (FM 3-13) ».

    Notre intention en tant qu'organisation spécialisée dans l'application du droit pénal international est d'investir tous nos efforts pour que les responsables de ces actes soient poursuivis en justice et que leur responsabilité soit établie selon les règles en vigueur du droit international humanitaire et du droit pénal international, qui doivent obligatoirement être appliquées par la justice colombienne.

    Ces techniques sont incompatibles avec la défense des libertés civiles dans toute société et, étant donné le développement technologique et les progrès réalisés dans le domaine des simulations en sociologie, elles permettent le contrôle politique et social d'une société, en l'occurrence la société colombienne, plaçant ainsi les citoyens dans une situation d'impuissance face à l'utilisation massive de ces techniques.

9. De la même manière, dans l'analyse que nous publiions le 18 juin 2009 sous l'intitulé La contre-intelligence en tant que méthode de persécution à des fins de contrôle politico-social, nous exposions le point de vue suivant:

    Les opérations de contre-intelligence font partie de ce que l'on appelle le « renseignement offensif » et ont pour but d'éliminer les « objectifs » en ayant recours à tous les moyens humains, technologiques et militaires possibles. Cela implique la reconstitution de tout le réseau social et familial des personnes persécutées, comme on a pu le voir récemment.

    Il va de soi que ce type d'opérations clandestines et illégales a pour conséquence de manipuler les faits, d'ébranler le système social et de détruire les organisations « cibles ». À cause de leur durée dans le temps, de plus de dix ans, ces opérations ont des répercussions sur les familles et les enfants des victimes et obligent les organisations à opter pour une ligne de conduite qu'elles n'auraient pas choisies si elles n'étaient pas soumises au harcèlement de la contre-intelligence du DAS. »

    Il ne fait pas non plus de doute, du point de vue légal, que ce type de persécution passait par l'interception de toutes les communications (téléphones fixes, portables, fax, microphones dans les bureaux, courriers électroniques, accès aux ordinateurs, vol de documents numériques, ainsi que l'installation de microphones au domicile des victimes) et par la filature des personnes visées par l'opération, ainsi que de leurs proches, de leurs amis et de leurs connaissances.

10. En tant qu'organisation internationale des droits de l'homme, nous voyons cette avancée non seulement comme un pas important vers la justice dans l'affaire du DAS après des années d'impunité, mais surtout comme une limite imposée par les instances judiciaires au pan délictuel et violatoire des libertés civiles propre à la conception et à l'exécution de ce genre d'opérations de contre-intelligence, opérations à propos desquelles il est souvent impossible d'obtenir des preuves, l'affaire du DAS constituant une exception en Amérique latine.

Ceci dit, la décision du Parquet ne concerne pas d'autres personnes ayant participé à cette entreprise criminelle conjointe au sein du DAS dirigée par l'ancien Président colombien Álvaro Uribe. Nous espérons dès lors que l'enquête et l'identification des responsables -que ce soit d'autres fonctionnaires du DAS et d'autres entités de l'État- se poursuive et ce, en utilisant les catégories pénales adaptées au droit pénal international.

11. Conscients de la gravité de cette affaire, nous rendons responsables l'État colombien de toute détérioration de la situation sécuritaire de Claudia Julieta, de sa famille et de son avocat, Me Víctor Javier Veláquez Gil. Rappelons qu'il y a à peine un an, notre correspondante et sa fille ont à nouveau fait l'objet de menaces et qu'en septembre 2011, elle a eu connaissance de l'existence d'un projet d'assassinat la concernant. Nous exigeons par conséquent des garanties pour que Claudia Julieta puisse poursuive son métier de journaliste en Colombie et sa lutte contre l'impunité.

Equipo Nizkor,
Charleroi, Madrid et Bogotá, 13 mars 2013


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