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12déc17
Le Royaume-Uni s'emploie à tuer le crime d'agression
Par Donald M. Ferencz |*|
Il n'est un secret pour personne que la guerre en Irak de 2003 était illégale. Comme l'a confirmé sans équivoque le rapport Chilcot l'année dernière, la précipitation avec laquelle la guerre fut lancée était basée sur des prétextes fallacieux. Dès 2001, Tony Blair avait suggéré à George Bush que les États-Unis et la Grande-Bretagne devraient s'atteler à ce que Blair décrivait comme une « stratégie ingénieuse » pour provoquer un changement de régime en Irak. Dans une note confidentielle datant de 2002, Blair promettait : « Je serai là quoi qu'il arrive ». Pas étonnant que Sir John [Chilcot] ait déclaré publiquement plus tôt dans l'année qu'il pensait que Blair n'avait pas été « sincère envers la nation ».
Pourtant, en Grande-Bretagne, les dirigeants ne peuvent toujours pas être poursuivis pour crime d'agression. Peu importe que le Royaume-Uni ait participé au jugement de Nuremberg, où le crime d'agression fut qualifié de « crime international suprême ». Ce crime n'ayant pas été incorporé aux lois nationales au Royaume-Uni, les politiciens britanniques peuvent procéder à leur guise lorsqu'il s'agit de mener des guerres illégales sans craindre des poursuites pénales. Par contre, les soldats britanniques qui se sacrifient pour leur pays peuvent être poursuivis pénalement s'ils commettent des crimes de guerre. Ce « deux poids, deux mesures » évident alimente un ressentiment qui va croissant. Et le contraste en ce qui concerne l'imputabilité ne s'arrête pas là.
En 2010, l'Assemblée des États Parties à la Cour pénale internationale, réunie à Kampala, en Ouganda, adopta à l'unanimité des amendements visant à finalement octroyer à la Cour la compétence pour poursuivre des dirigeants pour crime d'agression. Malgré cela, les amendements devront être adoptés une nouvelle fois par une décision d'activation de l'Asssemblée avant d'entrer en vigueur.
Les amendements ont été ratifiés par trente cinq pays, parmi lesquels plus de la moitié des membres de l'OTAN, mais pas par la Grande-Bretagne ni la France. Ces dernières ont rejoint le Canada, le Japon, la Norvège et la Colombie pour défendre l'idée que, peu importe la décision unanime prise à Kampala, les dirigeants des États n'ayant pas ratifié les amendements sur le crime d'agression devraient être totalement hors d'atteinte de la compétence de la Cour sur la poursuite de ce crime. Si cette garantie n'est pas remplie, le petit groupe de pays récalcitrants ne les ayant pas ratifiés menacent tacitement de faire capoter la décision concernant l'activation de la compétence sur le crime d'agression. Que le Japon en fasse partie est particulièrement surprenant étant donné qu'il renonce dans sa propre constitution à la menace ou à l'usage de la force.
Des intellectuels universitaires et des diplomates ont rejoint les deux camps, mais il y a une chose sur laquelle tout le monde tombe d'accord : les amendements sur le crime d'agression sont d'une telle flexibilité que chaque État peut, à sa discrétion, choisir de rester en dehors de la compétence de la Cour sur le crime d'agression, sauf dans des affaires déférées par le Conseil de sécurité. Il ne leur reste qu'à ravaler leur honte et à faire des déclarations expliquant qu'ils n'acceptent pas que la Cour puisse poursuivre leurs ressortissants pour crime d'agression.
La décision d'activation à venir doit faire l'objet d'une résolution consensuelle, adoptée au plus tard le 14 décembre, c'est-à-dire le dernier jour de session de l'Assemblée pour cette année. La résolution consensuelle devant être adoptée à l'unanimité, tout État non consentant est en mesure de tuer la décision d'activation en n'y consentant tout simplement pas. Chaque état dissident non ratifiant possède donc la carte gagnante pour s'opposer à l'activation. Reste à savoir s'ils vont oser la sortir sous les yeux du monde entier.
Beaucoup peuvent voir la décision d'activation comme un test pour le système judiciaire international lui-même. Des pays qui affirment croire en l'état de droit, mais qui en même temps tentent de s'enfouir sous une cape d'impunité, devraient s'attendre à être vus comme des hypocrites. Les nations qui ont déjà ratifié les amendement sur l'agression indiquent qu'elles n'ont pas l'intention de fuir la loi. Celles qui ne les ratifient pas ou qui menacent de saper l'activation de la compétence de la Cour sur le crime d'agression envoient un signal très clair dans le sens inverse.
Une solution négociée est encore possible, mais il reste peu de temps. La tactique de l'attentisme octroie un avantage certain aux États non ratifiants : ils n'ont qu'à traîner les pieds jusqu'à ce que le temps soit écoulé cette semaine. Ensuite, ils pourront dire : « Nous avons essayé, vraiment, mais le temps nous a manqué. Examinons ceci ultérieurement. » Il semblerait qu'une non-décision sur l'activation de la compétence de la Cour sur le crime d'agression les arrangerait : c'est la garantie de la continuité de l'impunité pour leurs dirigeants politiques.
Une proposition de dialogue sur une solution détaillée qui dissiperait les craintes britanniques tout en activant la compétence de la Cour sur le crime d'agression a été soumise le mois dernier au bureau de la première ministre britannique Theresa May. Jusqu'à aujourd'hui, il s'est refusé à tout commentaire.
* * * * L'auteur est Professeur invité à la School of Law de l'Université du Middlesex, Londres ; Chercheur associé au Centre for Criminology de la Faculté de droit de l'Université d'Oxford ; et Coordinateur du Global Institute for the Prevention of Aggression https://crimeofaggression.info. [Retour]
Cet article est disponible à la PURL suivante : http://www.derechos.org/nizkor/aggression/doc/donferencz8.html
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