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25nov18
La Russie capture trois navires ukrainiens en mer Noire
La situation restait tendue et confuse, lundi 26 novembre au matin, aux abords du détroit de Kertch, qui délimite les eaux de la mer d’Azov et celles de la mer Noire. A la tombée du jour, dimanche, des hélicoptères et des avions de combat russes étaient encore visibles au-dessus du pont de Kertch, entre la Crimée et la Russie, zone où des incidents graves se sont produits entre les marines ukrainienne et russe. A l’aube, lundi, les Russes ont toutefois enlevé le pétrolier qu’ils avaient disposé sous les arches du pont et annoncé la réouverture de la navigation dans le détroit. La marine ukrainienne a été placée en état d’alerte.
Toute la journée de dimanche, les communiqués successifs de la marine ukrainienne ont fait état d’une escalade et d’un face-à-face entre plusieurs navires de guerre russes et ukrainiens. Celui-ci s’est soldé par des tirs de la marine russe sur trois bateaux ukrainiens. Mis hors de combat, ceux-ci ont ensuite été capturés par des commandos du FSB, les services de sécurité russes qui ont la charge de la protection des frontières. Selon Kiev, six de ses marins auraient été blessés et vingt-trois capturés dans ces violences, les plus graves dans cette zone où la tension n’a cessé de monter ces derniers mois.
Le président ukrainien, Petro Porochenko, a dénoncé « un acte agressif de la Russie visant une escalade préméditée » et réclamé une réunion d’urgence du Conseil de sécurité des Nations unies (ONU), imité un peu plus tard par la partie russe. Cette réunion devait se tenir lundi en fin de matinée à New York.
A l’issue d’une réunion de son conseil de guerre, M. Porochenko a demandé au Parlement d’envisager l’introduction de la loi martiale. Cette mesure aurait potentiellement pour effet une rupture des relations diplomatiques avec la Russie, l’instauration de l’état d’urgence, voire le report du scrutin présidentiel de mars 2019 pour lequel il est en grande difficulté.
« Extrême retenue »
L’Union européenne a appelé la Russie à « rétablir la liberté de passage dans le détroit de Kertch » et intimé aux deux parties « d’agir avec la plus extrême retenue pour parvenir à une désescalade immédiate ». L’OTAN a également appelé la Russie à garantir à l’Ukraine « l’accès à ses ports sur la mer d’Azov ».
Le FSB, de son côté, a confirmé « détenir » trois navires de la marine ukrainienne – les vedettes blindées d’artillerie Berdyansk et Nikopol ainsi que le remorqueur Yani-Kapou –, les accusant d’être rentrés « illégalement » dans les eaux territoriales russes (celles de la Crimée annexée) « dans le but clair de créer une situation de conflit dans la région ». Le ministère des affaires étrangères russe a, de la même façon, dénoncé une « provocation » ukrainienne. Selon Moscou, trois marins ukrainiens ont bel et bien été blessés et seraient actuellement soignés. Le FSB a aussi reconnu avoir fait usage de la force « afin d’obliger les navires militaires ukrainiens à s’arrêter ». Il s’agit d’une première, Moscou niant toute intervention dans le conflit qui se déroule dans l’est de l’Ukraine.
Les trois navires ukrainiens faisaient route depuis le port d’Odessa, sur la mer Noire, pour rejoindre celui de Marioupol, sur la mer d’Azov. Depuis septembre, Kiev s’emploie à renforcer sa présence militaire dans cette mer peu profonde, coincée entre la Crimée et la Russie et fermée par le détroit de Kertch. Un précédent passage de navires de guerre ukrainiens, fin septembre, avait déjà donné lieu à des tensions, sans aller jusqu’à l’affrontement.
Desserrer l’étau
Le but de l’Ukraine est de desserrer l’étau sur ses deux grands ports de la mer d’Azov, Berdyansk et Marioupol : depuis l’inauguration du pont de Kertch entre la Crimée annexée et la Russie, en mai, Moscou mène en effet des inspections systématiques sur les navires de commerce ralliant ces ports, occasionnant des retards très coûteux qui peuvent aller jusqu’à plusieurs jours. Face à ces mesures d’intimidation et à l’accroissement de la présence militaire russe, Kiev a commencé le transfert d’une partie de sa marine (près de 80 % de celle-ci a été perdue en 2014 avec l’annexion de la Crimée) dans cette zone auparavant très peu militarisée.
L’arrivée du remorqueur Yani-Kapou aux abords du pont a donné lieu à un premier incident, dimanche, lorsqu’un navire russe l’a violemment percuté sur le côté. Une vidéo mise en ligne dans la soirée, apparemment filmée par un marin russe, montre cette manœuvre dangereuse. On y entend un officier russe ordonner d’« écraser » le bateau ukrainien.
C’est ensuite que les navires russes auraient ouvert le feu sur les deux bateaux de guerre ukrainiens qui suivaient le Yani-Kapou, après que ceux-ci ont refusé l’ordre russe de s’arrêter. Selon Kiev, les deux navires ont été attaqués au moment où ils quittaient la zone des 12 milles correspondant aux eaux territoriales théoriques de la Crimée, après avoir fait demi-tour. Un conseiller de Petro Porochenko a indiqué que des tirs avaient été effectués en réponse. Mis hors d’usage, le Nikopol et le Berdyansk ont ensuite été arraisonnés. Sur des enregistrements audio mis en ligne par le site ukrainien Liga, on entend les marins russes mettre en garde leurs homologues ukrainiens : « Mains en l’air ou nous tirons. »
Selon Moscou, le passage de ces navires constituait une violation de ses eaux territoriales. Selon la version de la partie russe, Moscou aurait préalablement annoncé la fermeture du détroit à cause de la présence d’un navire de commerce, et les autorités russes affirment n’avoir pas été informées des projets ukrainiens. La marine ukrainienne assure à l’inverse avoir averti à l’avance la Russie de l’itinéraire de ses navires, sans obtenir de réponse. Surtout, Kiev ne reconnaît pas l’annexion de la Crimée, et donc les eaux territoriales russes bordant la péninsule. En vertu d’un accord conclu en décembre 2003 entre les deux pays, la mer d’Azov et le détroit de Kertch ont le statut d’« eaux intérieures de l’Ukraine et de la Russie », et la navigation dans le détroit est « libre » pour les navires des deux pays, y compris militaires.
A Kiev, dimanche soir, plusieurs dizaines de manifestants hostiles se sont rassemblés devant l’ambassade russe. Dans le Donbass, région qui borde la mer d’Azov, une recrudescence des tirs et bombardements a été signalée le long de la ligne de front entre armée ukrainienne et forces séparatistes appuyées par Moscou.
[Source: Par Benoît Vitkine, Le Monde, Paris, 25 y 26nov18]
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