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Le crime d'agression et la guerre en Syrie


La Conférence de révision du Statut de Rome, qui s'est tenue en 2010 à Kampala, en Ouganda, s'est averée être une contribution limitée, et pour beaucoup décevante, à l'histoire du droit international, et plus encore à l'histoire des droits de l'homme et de la paix.

À Kampala, il est clairement apparu que de nombreux États n'étaient pas prêts à s'accorder sur une définition du crime d'agression pour l'intégrer au Statut de la Cour pénale internationale (CPI), et encore moins à ce que ce crime soit du ressort de cette Cour, alors qu'il est considéré comme le crime le plus grave en droit international, encore plus grave que les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre, puisqu'il sert à définir la responsabilité pénale des personnes ayant commis des crimes contre la paix.

Par conséquent, ceux qui pensent que les grandes puissances occidentales ont transformé la CPI en une « cour pour sauvages », comme l'a déclaré Geoffrey Robertson, avocat britannique et ancien juge de la Chambre d'appel du Tribunal spécial pour la Sierra Leone, ont gagné des points dans leur argumentation.

Un accord a finalement été trouvé. Cependant, soulignons que les négociations visant à inclure la définition de crime d'agression au Statut de Rome remontaient à plus de dix ans. Au cours de ce processus, et plus tard lors de sa phase finale à Kampala, le Département d'État des États-Unis s'est érigé en leader d'opinion (à défaut d'une meilleure expression) et a pris la tête du groupe de pays qui s'opposaient à l'insertion de la définition de crime d'agression au Statut de Rome de la CPI. Si cela n'avait tenu qu'au Département d'État, jamais il n'y aurait eu de définition.

Pourtant, la plus grande surprise est advenue lorsque le Département d'État, dirigé par Hillary Clinton, lors d'un briefing sur la Conférence de Kampala donné par Stephen J. Rapp, ambassadeur extraordinaire en charge des crimes de guerre, et de Harold Hongju Koh, conseiller juridique du Département d'État, a annoncé que de nombreuses organisations des droits de l'homme soutenaient la position des États-Unis ; parmi celles-ci, il a mentionné expressément Human Rights Watch et l'Open Society Institute, ainsi que la lettre souscrite par une quarantaine d'organisations non gouvernementales emmenées par l'Open Society Institute dans laquelle elles expriment leur opposition à l'insertion de la définition du crime d'agression au Statut de Rome, position partagée en outre par Amnesty International.

Après cette mise au point, il était manifeste que ces organisations préféraient que le crime d'agresssion reste non défini, et pis encore, qu'elles adoptaient une position publique favorable à la politique extérieure des États-Unis, activement opposée à la CPI et à sa juridiction avant l'adoption du Statut de Rome en 1998.

Cet épisode confirme la rupture provoquée au sein des organisations internationales des droits de l'homme par les attentats du 11 septembre et par les politiques globales d'état d'exception qui en ont découlés et qui ont détruit les paradigmes éthiques qui, jusque là, supportaient la lutte pour les libertés civiles et l'application du droit international comme moyen de maintenir la paix.

Ces organisations ont rompu avec une tradition qui datait, dans certains cas, des révolutions républicaines, notamment de la Révolution française. Soudainement, nous nous sommes retrouvés et sommes désormais dans une situation semblable à celle qui serait apparue si les révolutionnaires français avaient appuyé la Contre-Réforme ou si Thomas Paine avait milité en faveur de l'absolutisme monarchique.

En définitive, elles ont perdu leur légitimité pour pouvoir parler de paix, et encore moins de crimes de guerre. Cette perte de légitimité a été manifeste lors du conflit en Géorgie, à propos duquel Human Rights Watch réalisa un rapport qui n'était pas en accord avec les faits. Il s'est produit la même chose avec les rapports d'Amnesty International lors de la guerre en Libye, et la situation est identique aujourd'hui avec la guerre d'agression en Syrie.

Le fait que les États-Unis, la France, le Royaume-Uni, l'Espagne et l'OTAN veulent nous faire croire que les guerriers du djihad sont des précurseurs de la liberté – à l'instar de Ronald Reagan et George Bush père avec Ben Laden en Afghanistan – ou que, au moyen de campagnes d'image très organisées et exhorbitantes, le Qatar et l'Arabie saoudite luttent en faveur de la démocratie et de la paix, est un défi lancé à l'intelligence.

Cela revient au même que de chercher à nous faire croire que le roi Ferdinand VII d'Espagne, qui fut accueilli par le peuple aux cris de ¡Vivan las cadenas! (Vivent les chaînes!) lorsqu'il rétablit l'absolutisme monarchique en 1814, était un fervent défenseur des libertés civiles et de la démocratie. Tous ces régimes absolutistes, théocratiques et esclavagistes sont l'antithèse des libertés civiles ; il est par conséquent improbable qu'ils soutiennent quoi que ce soit qui ait des accents de laïcisme et de libertés civiles.

Le cas de la France est particulièrement effarant et témoigne de la corruption idéologique qui touche la classe dirigeante française, qui, après avoir été du côté des djihadistes en Libye l'année dernière, tente d'imposer comme unique solution au conflit syrien les actes de guerre interposée, dans laquelle le Qatar et l'Arabie saoudite jouent le rôle d'intermédiaires de l'OTAN et du Département d'État.

Le discours selon lequel ces pays luttent contre des tyrans se transforme donc en discours mensonger et sans aucun fondement rationnel. La réalité nous montre qu'ils cherchent à déstructurer les pays et à détruire leur infrastructure industrielle et étatique, et ces décisions sont prises en dehors des parlements nationaux et des organes de représentation démocratique des pays occidentaux concernés.

Cela transparaît nettement dans le cas de la guerre en Irak, qui est devenu un État non-viable, condamné à la lutte raciale, après que les puissances occidentales ont usé de méthodes de contre-intelligence dignes des régimes nationaux-socialistes, calquées sur celles employées par les nazis en Europe de l'Est, grâce auxquelles les djihadistes, entraînés par des agents du contre-espionnage britanniques et américains et intégrés à Al-Qaïda, sont devenus les nouveaux dirigeants sociaux et politiques, comme c'est le cas en Libye.

En 1945, le juge Robert H. Jackson, Procureur en chef pour les États-Unis au procès de Nuremberg disait: "Il est grand temps que nous appliquions le principe juridique selon lequel il est illégal et criminel de mener des guerres d'agression" ("It is high time that we act on the juridical principle that aggressive war-making is illegal and criminal"). Ce principe de droit international – évoqué par la Société des Nations au début des années trente – fut repris dans le Statut du Tribunal de Nuremberg, ainsi que dans le jugement du procès principal de Nuremberg, où les guerres d'agression et les guerres préventives ont pour la première fois été considerées comme des crimes.

Le droit international et l'Organisation des Nations Unies sont devenus les cibles des nouvelles politiques militaristes que les attentats du 11 septembre – même si elles existaient déjà auparavant – ont catalysé au travers des théories qui designent le terrorisme comme nouvel ennemi.

La définition du crime d'agression sur laquelle se sont accordés les États à Kampala est la suivante:

    "[Q]u'il y ait ou non déclaration de guerre, les actes suivants sont des actes d'agression au regard de la résolution 3314(XXIX) de l'Assemblée générale des Nations Unies en date du 14 décembre 1974:

    a) L'invasion ou l'attaque par les forces armées d'un État du territoire d'un autre État ou l'occupation militaire, même temporaire, résultant d'une telle invasion ou d'une telle attaque, ou l'annexion par la force de la totalité ou d'une partie du territoire d'un autre État ;

    b) Le bombardement par les forces armées d'un État du territoire d'un autre État, ou l'utilisation d'une arme quelconque par un État contre le territoire d'un autre État ;

    c) Le blocus des ports ou des côtes d'un État par les forces armées d'un autre État ;

    d) L'attaque par les forces armées d'un État des forces terrestres, maritimes ou aériennes, ou des flottes aériennes et maritimes d'un autre État ;

    e) L'emploi des forces armées d'un État qui se trouvent dans le territoire d'un autre État avec l'agrément de celui-ci en contravention avec les conditions fixées dans l'accord pertinent, ou la prolongation de la présence de ces forces sur ce territoire après l'échéance de l'accord pertinent ;

    f) Le fait pour un État de permettre que son territoire, qu'il a mis à la disposition d'un autre État, serve à la commission par cet autre État d'un acte d'agression contre un État tiers ;

    g) L'envoi par un État ou au nom d'un État de bandes, groupes, troupes irrégulières ou mercenaires armés qui exécutent contre un autre État des actes assimilables à ceux de forces armées d'une gravité égale à celle des actes énumérés ci-dessus, ou qui apportent un concours substantiel à de tels actes."

Il ne faut pas être expert en droit pénal international pour se rendre compte que la guerre menée en Libye, et ce malgré la résolution de l'ONU à ce sujet, doit être considérée comme un crime d'agression et que, prenons un exemple, la Ministre espagnole de la défense de l'époque des faits, Carme Chacón (PSOE), est responsable de ce crime au regard de la justice internationale et du droit interne. Et tous ceux qui ont ordonné les bombardements et outrepassé la résolution sur la zone d'exclusion áerienne en Libye sont dans la même situation.

Il y a pour le moment en Syrie un groupe de pays en train d'entraîner le monde vers une guerre nucléaire, puisque l'attaque indirecte encouragée par les États-Unis et l'OTAN, en se servant du Qatar et de l'Arabie saoudite comme intermédiaires, et dirigée depuis des bases militaires se trouvant sur le territoire turc, sert à financer et à armer des paramilitaires, dans le cadre d'une stratégie très semblable à celle utilisée par les militaires américains et argentins lors des guerres d'Amérique centrale, à l'époque où John Negroponte était ambassadeur des États-Unis au Honduras.

Qu'il existe une dictature en Syrie importe peu sur le plan politique. Si tel était le problème, toutes les conditions sont réunies pour, comme l'indique le Vatican, trouver un accord politique avec les groupes et partis politiques existants en Syrie. Non, ce n'est pas de cela dont il s'agit: ils cherchent à détruire la Syrie et à provoquer un casus belli avec la Russie.

À l'époque de Cheney, cette stratégie était appelée "la guerre des trois cent millions", car le vice-président américain d'alors estimait qu'une guerre nucléaire lancée contre la Chine et la Russie coûterait la vie à trois cent millions de personnes.

C'est LE paradigme de cette stratégie militaire démasquée et suicidaire menée en Syrie, qui est présentée aux citoyens de manière incomplète au moyen d'une campagne médiatique privilégiant l'omission d'informations, et la presse est utilisée pour prendre part à cette grande opération de contre-intelligence qui se déroule sous nos yeux sur chaque écran de télévision et chaque page de journal.

Même si les responsables de cette stratégie militariste et suicidaire pensent bénéficier de l'immunité et croient que la CPI ne sert qu'à juger les "sauvages africains", cela n'enlève rien au fait qu'il s'agit d'une guerre d'agression.

Hitler et Göring, hauts dirigeants nationaux-socialistes pensaient de la même manière. L'histoire nous a montré comment ils ont fini.

Il est encore temps de mettre un terme à ce militarisme irrationnel et à cette gigantesque opération de contre-intelligence qui cherche à consolider un état d'exception global, où les libertés sont remplacées par une véritable contre-réforme religieuse conduite par des états absolutistes dans lesquels seules importent l'origine raciale et la religion.

Radio Nizkor, 06aoû12


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small logoThis document has been published on 25Jan13 by the Equipo Nizkor and Derechos Human Rights. In accordance with Title 17 U.S.C. Section 107, this material is distributed without profit to those who have expressed a prior interest in receiving the included information for research and educational purposes.