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14mar13


Chavez, reflet de son temps


Comme tout autre dirigeant, Hugo Chavez a polarisé la société et l'appréciation de son héritage politique ne sera pas univoque. Son ascension vers la renommée internationale, alors que les présidents de pays tels que le Venezuela deviennent rarement des célébrités à l'échelle mondiale, fut le reflet des changements politiques mondiaux.

Le monopole du modèle politique et économique libéral sur la planète - du moins ressenti comme tel - a engendré un besoin d'alternative. Chavez et son sermon passionné sur le "socialisme du XXIe siècle" a donc forcément trouvé un écho auprès de la gauche à l'étranger. Dans le même temps, l'irritation face à la domination américaine grandissait. En dépit de toute la critique du système politique construit par Hugo Chavez, le Venezuela n'était pas une dictature monopartite. Il a d'ailleurs bien compris la tendance mondiale : à la fin du XXème siècle, les dictatures n'étaient plus à la mode. Partout - d'Europe de l'Est jusqu'en Asie de l'Est en passant par l'Afrique du Sud et l'Amérique du Sud - les populations ont revendiqué la possibilité d'influer sur ceux qui les gouvernent.

Le "socialisme bolivarien" ne fera certainement long feu après la disparition de Chavez. De même que le socialisme soviétique, qui convient pour la redistribution des revenus mais ne stimule ni l'efficacité économique ni l'initiative de la population.

Les grands débuts de Chavez en politique étrangère seront enterrés avec lui - les ressources sont insuffisantes pour les ambitions mondiales, quel que soit le cours pétrolier.

Toutefois, cela ne signifie pas qu'il restera roi d'un jour sans n'avoir exercé aucune influence sur l'histoire. Aussi étrange que cela puisse paraître, le rôle de Chavez est comparable à celui d'Augusto Pinochet au Chili, en dépit de l'antagonisme absolu entre ces deux personnages, tant d'un point de vue politique qu'humain. Cependant, en regardant de plus près le rôle de ces deux militaires devenus présidents, on constate une similitude curieuse : leur politique, même rejetée par la suite, a changé l'avenir en introduisant de nouveaux éléments.

Pinochet a procédé aux réformes néolibérales qui ont relancé l'économie chilienne, en difficulté après des années de mauvaise administration et pratiquement démolie par l'expérience socialiste du gouvernement de Salvador Allende. Ses méthodes répressives ne sont évidemment pas applicables aujourd'hui et les inflexions économiques se seraient rapidement manifestées. Personne n'a regretté le départ de Pinochet, qui a passé les dernières années de sa vie à fuir la justice internationale. Cependant, la politique économique responsable apportée par le général et ses collaborateurs au Chili fonctionne encore aujourd'hui. Depuis son départ en 1989 et jusqu'à la fin des années 2000 le pays était gouverné par la gauche, c'est-à-dire les opposants du dictateur et les adeptes d'Allende que ce dernier avait renversé. Mais le Chili demeure un Etat plutôt efficace et économiquement stable. Les transformations mises en ouvre par les gouvernements démocratiques n'ont pas détruit la base saine construite par Pinochet.

Pour Chavez, c'est le contraire. Il a apporté un motif important dans la politique vénézuélienne : la justice. Alors que d'autres pays latino-américains ont la même structure sociale, le Venezuela se démarque par une profonde fracture - une élite aristocratique hautaine qui traite avec dédain les basses couches de la société.

Ces dernières ont choisi Chavez en voyant en lui celui qui a tourné la politique vers les pauvres. Il sera impossible de redistribuer les richesses du pays éternellement et par conséquent, la politique subira des changements. Mais même si la droite revenait au pouvoir, elle pourrait difficilement ignorer ce que Chavez avait enseigné aux masses : exiger leurs droits. Il faudra également conserver - voire renforcer - l'aspect social de la politique économique.

La justice est aujourd'hui un credo primordial dans la politique mondiale. Dans un sens aussi bien économique que politique, les "masses" mondiales indignées par le modèle actuel se font de plus en plus entendre, remettant en cause les privilèges des "élus" - qu'il s'agisse des membres permanents du Conseil de sécurité ou du G8. Malgré son extravagance - voire un air parfois caricatural - Chavez a inspiré beaucoup de monde en Amérique latine, tout en influant sur la politique mondiale. Certains nouveaux dirigeants des pays voisins prennent exemple sur Chavez et se tournent vers la majorité démunie. L'antiaméricanisme provocateur de Chavez n'a aucune perspective mais, du Chili et de l'Argentine jusqu'au Mexique et au Brésil, les dirigeants affichent qu'ils n'ont pas l'intention de suivre le sillage des Etats-Unis comme à d'autres époques.

Chavez a reflété son époque. Cette fois, il rejoindra l'iconostase des révolutionnaires dont les actions réelles sont tout aussi importantes que la trace laissée dans la mémoire historique.

[Source: Par Fedor Loukianov, rédacteur en chef du magazine Russia in Global Affairs, Ria Novosti, Moscú, 14mar13]

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