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15jui09
La « guerre froide » du Pérou contre les peuples indigènes.
Le conflit récent qui a eu lieu dans l'Amazonie péruvienne n'est que le symptôme le plus violent d'une guerre froide permanente menée par le président Alan García et son parti apriste contre les peuples indigènes. Outre la propagande raciste et la répression violente, le gouvernement a essayé d'instaurer des mécanismes juridiques très suspects pour désarticuler le pouvoir des indigènes.
La propagande du gouvernement vise à encourager un modèle de développement basé sur l'économie de marché et très centré sur le commerce et l'exploitation des ressources naturelles. García a rendu une série de décrets requis par l'accord de libre-échange entre les Etats-Unis et le Pérou pour ouvrir l'Amazone à l'exploration et à l'exploitation de ses ressources naturelles. Une étude récente montre que García a pour intention d'octroyer des concessions couvrant jusqu'à 72 % de l'Amazonie péruvienne à des sociétés pétrolières et gazières.
Dans ce processus, l'administration García a fait entrer son idéologie de marché libre en conflit avec les droits collectifs des indigènes à leurs territoires et à leurs ressources naturelles, qui sont protégés par les lois internationales. Mais ce plan a connu un revers à cause de la réponse gouvernementale à l'opposition et de sa répression brutale contre les manifestants indigènes. Un sondage récent montre que 92 % des Péruviens soutiennent la cause indigène contre les décrets sur l'Amazonie.
Les décrets les plus méprisables ont été abrogés. Le gouvernement a néanmoins poursuivi un conflit de faible intensité contre les groupes indigènes du Pérou. Une tactique centrale adoptée par García a été d'essayer d'associer des groupes indigènes avec Hugo Chávez et Evo Morales. Lors d'une déclaration récente, faisant clairement allusion à ses rivaux de gauche, García déclara que « le Pérou vit une guerre froide contre des dirigeants étrangers. »
Mais même avant que la violence n'éclate en Amazonie, la vraie guerre froide était celle menée par García contre les peuples indigènes péruviens. La bataille qui a eu lieu en Amazonie ne fut que le point culminant de plusieurs de mois de harcèlement de la part du gouvernement et de conflit de faible intensité. Malgré le réveil d'une forte opposition, García semble vouloir poursuivre son agenda impopulaire.
La guerre de propagande
Même avant la mise en application formelle de l'accord de libre-échange avec les Etats-Unis en février dernier, García jetait déjà les bases de sa guerre froide. En octobre 2007, il écrivit un article d'opinion intitulé « El syndrome del perro del hortelano » (le syndrome du chien du jardinier) pour le journal El Comercio, dont le siège se trouve à Lima. Le titre compare les personnes qui militent pour la protection des ressources de l'Amazonie à un chien qui grogne pour la nourriture qu'il ne mange pas mais qu'il ne laissera pas manger par d'autres. En plus d'insinuer une comparaison raciste entre les peuples indigènes et les chiens, García accuse ses opposants - en visant des indigènes - parce qu'ils font obstacle au développement péruvien via des capitaux étrangers.
Depuis que le congrès péruvien a ratifié l'accord de libre-échange, García a, par deux fois, affronté les groupes indigènes de l'Amazonie sur la question des ressources naturelles se trouvant sur leurs territoires. Les deux fois - en août 2008 et lors du récent soulèvement en juin - les décrets rendus pas García ont déclenché de grandes protestations publiques, menées principalement par l'Aidesep (Association interethnique pour le développement de la forêt péruvienne), la plus importante organisation de communautés indigènes de l'Amazonie au Pérou. Le président a répondu aux deux protestations en suspendant les garanties constitutionnelles dans les provinces rebelles et en déployant en masse des forces de sécurité dans ces régions.
García fit également des déclarations visant à effrayer les Péruviens, qui viennent seulement de se remettre de vingt années de violence politique. Il évoqua des images de dangereux insurgés armés pour essayer de montrer que les protestations indigènes n'étaient qu'une partie d'un complot à plus large échelle visant à déstabiliser le pays. Il recourut au langage de la brutale guerre civile péruvienne au cours de laquelle 75.000 personnes ont perdu la vie, en accusant absurdement le « communisme international » d'être derrière ces protestations.
Un général de la police a même accusé les manifestants indigènes d'avoir ouvert le feu sur un hélicoptère, un acte qui, en réalité, a eu lieu à des milliers de kilomètres de là, dans un incident survenu avec les guérillas du Sentier lumineux, liées au milieu de la drogue, selon le magazine Ideele. L'amalgame délibéré entre les deux événements est une tentative flagrante d'associer les manifestations indigènes et le groupe armé qui a terrorisé le Pérou pendant de longues années.
« La menace communiste »
L'administration García fit également des accusations extravagantes contre le principal parti d'opposition et les gouvernements bolivien et vénézuélien, disant qu'ils se trouvaient derrière ces protestations. Dans ce qui semble être une tentative d'affaiblir l'opposition politique, une dirigeante progouvernementale du Comité d'éthique du Congrès fit part de son intention de vérifier s'il existait suffisamment de preuves pour prendre des mesures contre les législateurs de l'opposition ayant des liens avec Alberto Pizango, président de l'Aidesep. Le dirigeant indigène a été récemment forcé de fuir le Pérou après que le gouvernement a présenté à son encontre des accusations de sédition et de rébellion pour les événements violents survenus à Bagua, épicentre de la plupart des mobilisations récentes.
García a décrit les protestations comme faisant partie d'un complot communiste emmené par le Venezuela et la Bolivia, mais il a publiquement admis n'avoir aucune preuve de cette accusation. Le premier ministre Yehude Simon, qui a été l'un des personnages-clés de la propagande gouvernementale, a répété ces accusations infondées. (Sous la pression publique, Simon a depuis été remplacé). Selon Simon, ces manifestations faisaient partie d'une conspiration plus vaste par laquelle la Bolivie et le Venezuela essayaient d'affaiblir l'industrie des hydrocarbures péruvienne afin de stimuler leurs propres industries.
Les accusations de García ont été suivies d'actions. Son administration a récemment lancé une enquête sur l'Aidesep, réalisée par l'Agence péruvienne pour la coopération internationale (APCI). Le président a modifié les pouvoirs de l'APCI via une loi de 2006, durement critiquée, qui augmente fortement le contrôle gouvernemental des opérations menés par les organisations non-gouvernementales (ONG). C'est la deuxième fois que l'APCI enquête sur l'Aidesep.
Les machinations juridiques
Parmi les tâches de l'APCI se trouve le contrôle des projets et des activités des ONG, pour s'assurer qu'elles sont conformes aux objectifs de développement du gouvernement - dans le cas de l'administration García, le libre-échange et l'exploitation des ressources naturelles. Dans le cadre de cette procédure, l'agence exige des ONG recevant des fonds internationaux et certains avantages de l'Etat qu'elles s'enregistrent auprès de l'agence. La loi introduit également de nouvelles mesures de mise en application qui permettent à l'agence d'infliger une amende aux ONG, voire de révoquer leur statut légal, leur interdisant ainsi de recevoir des fonds en provenance de l'étranger pour ne pas avoir respecté l'obligation d'enregistrement auprès de l'ACPI et les directives de développement gouvernementales. En septembre 2007, par une décision d'une haute cour péruvienne, certaines parties de la loi furent déclarées inconstitutionnelles, mais de nombreuses dispositions introduites par García demeurèrent.
Le moment où les enquêtes ont commencé et où les officiels de l'APCI ont fait leurs déclarations est révélateur de fortes motivations politiques. La première enquête menée par l'APCI a été lancée en août 2008, lors d'intenses négociations entre les manifestants indigènes et le gouvernement. A l'époque, le directeur exécutif de l'APCI, Carlos Pando, a conseillé aux ONG de s'abstenir de s'impliquer dans les conflits sociaux car cela allait à l'encontre de la nature de leur tâche. Il s'est dit préoccupé de l'influence que certaines ONG avaient sur les communautés indigènes en leur fournissant des fausses informations qui les menaient souvent à contester les actions du gouvernement. Il les a également averties que ces activités pourraient entraîner l'annulation de leurs statuts légaux. A la fin du mois d'août, cependant, le congrès révoqua les décrets controversés et l'enquête de l'APCI se conclut sans résultat.
La deuxième enquête a été annoncée en mai 2009, à la moitié des 60 jours qu'a duré le blocus dans l'Amazonie. Son annonce provoqua de nombreuses condamnations de la part de groupes défenseurs des droits de l'homme, irrités par son apparent caractère arbitraire. Les opposants à cette mesure ont souligné que l'APCI ne pouvait en aucun cas utiliser son autorité pour menacer les activités quotidiennes d'une ONG. Ils ont également déclaré que la deuxième enquête de l'APCI semblait violer les garanties gouvernementales d'objectivité obtenues lors d'une audience thématique sur le sujet qui s'est tenue en octobre 2008 à la Commission interaméricaine des droits de l'homme à Washington, D.C.
Au même moment, l'administration essayait de présenter les peuples indigènes comme une menace pour la sécurité nationale. García a à nouveau qualifié les manifestants indigènes de personnes simples qui n'avaient pas compris le but véritable des décrets ouvrant la jungle à l'extraction des ressources. Il affirma que plutôt que d'endommager les territoires indigènes, les décrets étaient en fait destinés à protéger l'Amazonie des producteurs de coca, de la pollution provenant de l'exploitation minière illégale et de la déforestation illégale. Ces affirmations ont été réitérées dans des proclamations publiées par les ambassades péruviennes partout dans le monde, probablement pour essayer de réprimer la forte récrimination mondiale par rapport aux actions du gouvernement.
La complicité des médias locaux
Les médias nationaux péruviens, souvent accusés de représenter les intérêts des personnes puissantes politiquement et économiquement, a soutenu avec ferveur les stéréotypes racistes sur les peuples indigènes. Ces derniers étaient couramment décrits comme étant non instruits ou mal préparés et donc inaptes à la participation à un débat national sur l'avenir de leur pays.
Un exemple particulièrement fameux est celui de la photo d'un membre indigène du congrès, Mme Hilaria Supa, une représentante de Cuzco, qui a fait la une du quotidien El Correo le 17 avril 2009. Cette photo, publiée pendant les protestations du printemps, est un gros plan sur des notes prises à la main par Mme Supa, et a évidemment pour objectif de ridiculiser ce membre du congrès, dont la langue maternelle est le Quechua, sur ses compétences en espagnol écrit.
Les articles accompagnant la photo insinuait que les compétences limitées en espagnol de ce membre du congrès étaient la preuve de son manque de préparation à un haut poste, qu'elle n'avait obtenu que grâce aux politiques raciales, selon le journal. Les articles attaquant la crédibilité de Supa n'en sont pas restés là. Ils mentionnaient également ses prises de positions antérieures contre les politiques agressives de libre-échange de l'administration García comme exemples de son travail « médiocre » en tant que membre du congrès. García réitéra les mêmes sentiments lorsqu'il qualifia les protestants indigènes de « citoyens de seconde classe » qui osaient bloquer le progrès du Pérou.
L'échec total de García
Malgré tous ses efforts, il semblerait que García ait perdu une bataille de plus dans cette longue guerre froide contre les groupes indigènes. Une fois de plus, le congrès péruvien a décidé de révoquer les décrets controversés sur l'Amazonie - geste que García affirme désormais soutenir au nom de l'unité nationale. Mais la guerre froide continue et pourrais se transformer en conflit ouvert, comme ce fut le cas la dernière fois que le gouvernement a poussé les indigènes à manifester.
Fin juin, un comité du congrès a adopté un amendement du statut de l'APCI qui permet une fois de plus au gouvernement de largement contrôler les ONG. Le nouvel amendement permet en outre à l'agence de surveiller les financements privés étrangers. La loi interdit expressément aux ONG de faire toute déclaration qui pourrait inciter à la violence - une norme incroyablement vaste qui pourrait être utilisée pour criminaliser les ONG ainsi que pour imposer des limites à leur liberté d'expression et d'association.
Rolando Souza, allié au congrès de l'ancien président Alberto Fujimori, déshonoré et emprisonné, a utilisé la violence de Bagua comme exemple pour montrer pourquoi le gouvernement devrait surveiller le financement étranger des groupes locaux. Souza indiqua que l'Aidesep était la principale raison à cette action législative. Pourtant, les personnes avançant ces arguments n'ont pas présenté la moindre preuve pour soutenir de telles déclarations sur le financement étranger.
Au même moment, un sondage réalisé en juin a montré que le taux de soutien à García avait plongé à 21 %. De larges sections de la société péruvienne continuent à descendre dans les rues pour protester contre la politique de l'administration García. A Cuzco, des paysans ont récemment entamé une grève générale pour manifester contre l'octroi de concessions minières s'étendant sur 70 % de la superficie de leur province. Les manifestants exigeaient également qu'entre en vigueur une nouvelle loi sur les ressources en eau qui déclareraient l'eau ressource nationale dont l'usage serait contrôlé par l'Etat. Une fois encore, le gouvernement envoya des troupes pour faire partir les manifestants, action qui se termina par la mort d'un paysan.
Le gouvernement continue à faire face aux conséquences des événements qui ont eu lieu à Bagua. Le 10 juillet, le bureau de l'ombudsman péruvien a annoncé qu'il allait enquêter sur la disparition de Lewis Wassum, un membre d'une communauté indigène de l'Amazonie. La dernière fois qu'il a été vu, c'était sur une photographie en date du 8 juin le montrant en train d'être emmené, menotté, dans un bureau de police. Le gouvernement et des dirigeants indigènes se sont également mis d'accord pour débuter une enquête sur les événements de Bagua.
La question de savoir si García poursuivra sa guerre froide contre les peuples indigènes du pays se pose toujours. Une chose semble sûre : son administration a refusé de revenir sur son objectif d'extraction de ressources en Amazonie ne tenant pas compte des conséquences. Moins de deux semaines après la violence de Bagua, que certains groupes ont appelé le Tiananmen de l'Amazonie, le gouvernement a donné le feu vert à une compagne pétrolière française pour qu'elle puisse commencer à forer dans une zone peuplée de groupes avec lesquels personne n'était entré en contact auparavant.
Stephen Corry, directeur de Survival International, qui défend les droits des indigènes partout dans le monde, a déclaré : « Tout ceux qui espéraient que la violence terrible de ces dernières semaines aurait pu conduire le gouvernement péruvien à agir avec un peu plus de sensibilité envers les peuples indigènes de l'Amazonie vont être consternés par ces nouvelles. »
Corry a ajouté : « Le moment ne pouvait pas être plus mal choisi - le gouvernement essaye de donner une image plus sympathique en public, mais en ce qui concerne les compagnies pétrolières, c'est toujours la même chose. »
Texte de Kristina Aiello, NACLA (North American Congress on Latin America), chercheuse associée au NACLA, New York, 15 juillet 2009.
Informes sobre la Masacre de Bagua
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