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21nov45
Déclaration d'ouverture du Procureur Général américain Robert H. Jackson devant le Tribunal militaire international à Nuremberg
Robert H. Jackson
Procureur Général des Etats-Unis
Nuremberg, Allemagne
le 21 novembre, 2945Messieurs de la Haute Cour,
Le privilège d'ouvrir la première audience du procès des crimes contre la paix mondiale entraîne une lourde responsabilité. Les méfaits que nous avons à condamner et à punir font preuve d'une telle vilenie et ont été si nuisibles que la civilisation ne pouvait se permettre de passer outre, parce qu'elle ne pourrait continuer à exister si jamais ils devaient se répéter. Que quatre grandes nations victorieuses mais lésées n'exercent point de vengeance envers leurs ennemis prisonniers, c'est là un des tributs les plus importants qu'une puissance ait jamais payé à la raison.
Cette procédure, quoique nouvelle et expérimentale, n'est pas le produit de spéculations arbitraires. Elle n'a pas, non plus, été instituée pour justifier certaines théories juridiques. Ce procès est un essai pratique de quatre des plus puissantes nations, soutenues par quinze autres, d'employer le droit des gens pour faire face à la plus grande menace de notre époque : la guerre d'agression. La raison humaine demande que la loi ne réprime pas seulement les crimes commis par des sous-ordres, mais qu'elle atteigne aussi et surtout les chefs qui disposaient du pouvoir et l'ont employé délibérément à des fins de destruction et d'asservissement.
Au banc des accusés ne figurent pas seulement ces vingt hommes accablés et accusés autant par l'humiliation de ceux qu'ils dirigeaient que par la misère de ceux qu'ils ont attaqués. Leur pouvoir personnel de faire le mal est à jamais écarté. A voir ces tristes personnages au banc des accusés, il est difficile de se les représenter au temps où, dirigeant le parti nazi, ils régnaient sur une grande partie du monde et en menaçaient le reste. En tant qu'individus, ils intéressent peu.
Ce qui donne à cette audience une telle importance, c'est que ces accusés représentent des influences néfastes qui, longtemps après que leurs corps seront tombés en poussière, alarmeront toujours le monde. Ils sont les symboles vivants de la haine raciale, du règne de la terreur, de l'arrogance et de la cruauté, de la volonté de puissance, ils sont les symboles d'un nationalisme et d'un militarisme sauvages, d'intrigues et de préparatifs à une guerre au cours de laquelle des générations entières en Europe ont été transplantées, des hommes exterminés, des foyers détruits et toute l'économie appauvrie. Notre civilisation ne peut admettre aucun compromis avec ces courants maléfiques, qui resurgiraient avec un élan nouveau, si nous n'opposions à ces hommes, en qui ces courants subsistent, toute notre force et notre puissance. Ce que ces hommes représentent, nous allons vous le dévoiler avec patience et modération, nous allons vous donner des preuves irréfutables des actes inqualifiables qu'ils ont commis. Dans la description et dans la nomenclature des crimes commis, rien ne sera tu de ce qu'ont pu suggérer les besoins pathologiques de cruauté, de puissance et d'orgueil. Ces hommes ont établi en Allemagne sous le principe d'un chef unique un règne de terreur nationale-socialiste qui n'a trouvé d'égal que du temps des dynasties de la vieille Asie. Ils ont enlevé au peuple allemand toute dignité et toute liberté. En échange, ils ont provoqué en lui une haine profonde et satisfaite contre les Juifs, les catholiques et beaucoup d'autres. Ils ont mené contre l'ouvrier libre une campagne d'arrogance, de brutalité et d'exécutions en masse telle que le monde n'en avait plus vue depuis les temps les plus reculés. Ils ont poussé au paroxysme l'amour-propre du peuple allemand qui prétendait représenter une race de seigneurs et réclamait pour d'autres un esclavage complet. Ils ont entraîné leur peuple à jouer son va-tout pour prendre la domination du monde. Ils ont écrasé leurs voisins. Pour assurer la marche de leur machine de guerre, ils ont réduit en esclavage des millions d'individus et les ont déportés en Allemagne où ces malheureux errent encore aujourd'hui comme des sans-patrie. A la longue, leur cruauté et leur fourberie ont pris une telle ampleur que, devant le danger, les forces somnolentes de la civilisation se sont réveillées. Des efforts communs ont mis en pièces la machine de guerre allemande. La victoire a vu une Europe libre, mais agonisante. Telles sont les conséquences de la néfaste puissance que représentent les hommes assis ici devant nous au banc des accusés.
Pour être juste à l'égard des nations et des hommes intéressés à ce procès, je tiens à mettre en garde contre certaines difficultés qui pourraient se présenter. Jamais jusqu'alors dans l'histoire de la jurisprudence, on n'avait fait l'essai de grouper en un seul procès tous les crimes commis en une dizaine d'années sur tout un continent, envers des nations entières et s'étendant à un nombre illimité d'individus. Cependant, malgré la grandeur de la tâche, la justice réclame des mesures immédiates. Il a fallu répondre à cette demande. Il y a huit mois encore, tous nos documents, nos témoignages et nos principaux témoins se trouvaient entre les mains de l'ennemi. La loi n'était pas encore formulée, aucun tribunal n'était encore constitué, aucun palais de justice utilisable ne se trouvait ici, pas une seule pièce des centaines de tonnes de documents officiels allemands n'avait été contrôlée, aucune délégation d'accusation n'avait été nommée, la majorité des accusés ici présents étaient encore en liberté et les quatre grandes puissances n'avaient pas encore décidé de les traduire devant ce tribunal. Je serais le dernier à contester que ce procès ne dispose pas de toute la documentation qu'il faudrait et qu'il ne sera pas un modèle du genre, mais ce dont nous disposons suffit cependant pour prononcer le jugement que nous vous demanderons.
Avant de débuter par les détails de l'acte d'accusation, il est important que nous abordions ici quelques considérations d'ordre général qui pourraient disqualifier ce procès aux yeux de l'opinion publique. Deux questions principales se posent : c'est aux vainqueurs de juger les vaincus, ou faut-il laisser à ces derniers la tâche de faire justice eux-mêmes ?
Si ces hommes sont les premiers chefs de guerre d'une nation battue, à être poursuivis au nom de la loi, ce sont aussi les premiers à qui l'occasion soit offerte de défendre leur vie au nom de la loi. Vraiment, le statut de cette Cour, qui leur permet de se défendre, est aussi leur seul espoir. Peut-être ces hommes, à la conscience trouble, dont le seul désir est que le monde les oublie, ne considèrent-ils pas un procès comme une faveur, faveur qu'ils ont, étant au pouvoir, rarement accordée à leurs compatriotes, mais ils ont l'occasion de se défendre.
Bien qu'en fait, l'opinion publique ait déjà condamné leurs actions, nous convenons qu'ils doivent ici être présumés innocents et nous acceptons la charge de prouver le caractère criminel de leurs actes et la responsabilité de chacun d'eux dans la perpétration de ces actes. Quand je dis, que nous ne demandons pas qu'on les condamne sans que nous ayons prouvé leurs crimes, je ne veux pas dire seulement de violations techniques ou fortuites internationales. Nous les accusons pour leur conduite préméditée et calculée, répréhensible sur le plan moral aussi bien que juridique. Nous n'entendons pas par là une conduite naturelle et humaine, même si c'est une façon de tourner les difficultés. Beaucoup d'entre nous auraient pu agir ainsi s'ils s'étaient trouvés dans la situation de ces accusés. Ce n'est pas d'avoir cédé à des faiblesses humaines que nous les accusons, c'est leur conduite anormale et inhumaine qui les a conduits au banc des accusés.
Nous ne vous demandons pas de condamner ces hommes d'après le témoignage de leurs ennemis. Il n'y a pas de chef d'accusation qui ne puisse être prouvé par des livres ou des archives. Les Allemands ont toujours été des archivistes méticuleux et les accusés partageaient l'amour teuton de tout enregistrer. Ils ne manquaient pas non plus de vanité ; ils se faisaient souvent photographier au cours de leurs actes ; nous vous montrerons leur propre film ; vous verrez la façon dont ils se conduisaient et vous entendrez leur voix quand ils vous feront revivre sur l'écran certains événements de leurs conspirations.
Nous voudrions également préciser que nous n'avons pas l'intention d'incriminer le peuple allemand tout entier. Nous savons que le parti nazi n'est pas arrivé au pouvoir par le vote de la majorité des Allemands. Nous savons qu'il a pris le pouvoir grâce à une alliance néfaste des pires révolutionnaires nazis, des réactionnaires allemands les plus effrénés et des militaristes allemands les plus agressifs. Si le peuple allemand avait accepté de plein gré le programme nazi, le parti n'aurait pas eu besoin, au début, des troupes d'assaut ni, par la suite, de camps de concentration, ni de la Gestapo. Ces deux institutions furent créées aussitôt que les Nazis eurent pris le contrôle de l'Etat allemand. Ce n'est qu'après que ces innovations criminelles eurent fait leurs preuves en Allemagne qu'elles furent utilisées à l'étranger. Le peuple allemand doit savoir que, désormais, le peuple des Etats-Unis n'a pour lui ni peur, ni haine. Il est vrai que les Allemands nous ont appris les horreurs de la guerre moderne.
Malheureusement la nature de ces crimes est telle que, et l'accusation, et le jugement seront imposés par les nations victorieuses à leur ennemi vaincu. Le caractère mondial des actes d'agression commis par ces hommes n'a laissé que quelques pays réellement neutres. Ou bien les vainqueurs doivent juger les vaincus, ou bien nous devrons laisser aux vaincus le soin de prononcer leur propre jugement.
Après la première guerre mondiale, nous avons appris combien il était futile de se fier à cette seconde solution. Par suite de la situation importante occupée par ces accusés, de la notoriété de leurs actes et de la possibilité de représailles qui découle de leur conduite, il est difficile de distinguer s'il s'agit d'une punition juste et mesurée ou de cris de vengeance dus aux angoisses de la guerre. Notre tâche dans la mesure où cela est humainement possible, sera de faire cette distinction. Il ne nous faudra jamais oublier que les faits sur lesquels nous jugeons ces accusés aujourd'hui, sont ceux mêmes sur lesquels l'Histoire nous jugera demain. Il faut dans notre tâche que nous fassions preuve d'une intégrité et d'une objectivité intellectuelle telles, que ce procès s'impose à la postérité comme ayant répondu aux aspirations de justice de l'humanité.
Dès le début, écartons l'argument que, traduire ces hommes en justice c'est commettre à leur égard une injustice qui leur donnerait droit à une considération particulière. Ces accusés sont aux abois, mais ils ne sont pas persécutés. Voyons quelle autre possibilité se présenterait à eux s'ils n'étaient pas jugés.
Plus de la moitié de ces prisonniers se sont rendus ou furent capturés par les forces armées des Etats-Unis. Peuvent-ils espérer que le fait d'être détenus par les Américains soit, pour nos ennemis, une protection contre la juste colère de nos Alliés ? Avons-nous sacrifié des vies américaines pour les capturer pour ensuite leur éviter le châtiment ?
D'après les principes de la déclaration de Moscou, ceux qui sont suspects des crimes de guerre ne doivent pas être traduits devant une Cour internationale, mais doivent être remis aux différents gouvernements pour être jugés sur le théâtre de leurs crimes. Bon nombre de prisonniers, moins responsables et moins coupables, détenus par les Américains, ont déjà et seront à l'avenir livrés aux Nations Unies, pour être jugés par des tribunaux locaux. Si ces accusés devaient échapper pour une raison quelconque à la condamnation de ce tribunal, ou s'ils font obstruction ou échec à ce procès, ceux qui sont détenus par les autorités américaines seront livrés à nos alliés européens. Pour ces accusés cependant, nous avons institué un tribunal militaire international et nous avons accepté la charge de participer à un effort complexe afin de leur accorder une audience équitable et sans passion. C'est la meilleure protection accordée à quiconque possède une défense digne d'être entendue.
Mais les ruines qui s'étendent du Rhin au Danube démontrent que nous et nos alliés avons été de bons élèves.
Si nous ne sommes pas impressionnés par la ténacité des Allemands et leurs capacités dans l'art de la guerre, et si nous ne sommes pas persuadés de leur maturité politique, nous respectons certes leurs talents dans les arts pacifiques, leur habileté technique et les qualités de discipline et de sobriété et d'application des masses du peuple allemand. En 1933, nous avons vu le peuple allemand recouvrer son prestige dans le monde commercial, industriel et artistique après le recul causé par la dernière guerre. Nous étions témoins de leurs progrès sans jalousie ni méfiance. Le contre-coup de l'agression nazie a laissé l'Allemagne en ruines. La facilité avec laquelle les nazis engageaient sans hésitation la parole de l'Allemagne et celle avec laquelle ils rompaient leurs engagements sans vergogne a donné à la diplomatie allemande une réputation de mauvaise foi qui lui nuira pendant des années.
La vantardise nazie concernant la race des Seigneurs est devenue un sarcasme qui poursuivra les Allemands dans le monde entier pendant plusieurs générations. Le cauchemar nazi a marqué le nom allemand d'un sens nouveau et sinistre dans le monde, ce qui fera piétiner l'Allemagne pendant un siècle. L'Allemagne tout autant que le monde non allemand a des comptes à régler avec ces accusés. La guerre, le déroulement de la guerre, motif principal de cette question, appartient à l'histoire.
Du 1er septembre 1939, date à laquelle les armées allemandes franchissaient les frontières de Pologne, jusqu'en septembre 1941, quand ils se heurtèrent à la résistance acharnée de Stalingrad, les Allemands semblaient invincibles. Le Danemark et la Norvège, les Pays-Bas et la France, la Belgique et le Luxembourg, les Balkans et l'Afrique, la Pologne et les pays Baltes et une partie de la Russie avaient été débordés et conquis par des actions rapides, puissantes et bien dirigées.
Cette attaque contre la paix mondiale constitue le crime contre la société internationale. Il s'ensuit donc qu'on doit invoquer une compétence internationale pour juger des crimes qui auraient relevé de la compétence de juridictions nationales. C'est la guerre d'agression, genre de guerre auquel les nations avaient renoncé, c'était la guerre en violation des traités qui tentaient de sauvegarder la paix mondiale.
Cette guerre ne fut pas un fait du hasard, elle fut préparée et préconçue pendant longtemps avec habileté et ruse. Le monde n'a peut-être jamais été témoin d'une telle concentration et d'une telle émulation des énergies d'un peuple que celles qui ont permis à l'Allemagne, vingt ans après sa défaite, son désarmement et son démembrement, de presque arriver à réaliser son plan de domination en Europe. Quoi qu'on puisse dire des responsables de cette guerre, ils avaient réalisé une organisation étonnante et notre premier travail est d'étudier les moyens par lesquels les accusés et leurs complices ont participé et incité l'Allemagne à faire la guerre. En général, nous montrerons qu'à un moment donné, ces accusés ont tous été d'accord avec le parti nazi pour un projet qu'ils savaient ne pouvoir accomplir que grâce à une déclaration de guerre en Europe. La mainmise sur l'Etat allemand, leur assujettissement du peuple allemand, leur terrorisme et l'extermination d'éléments dissidents facilitèrent leurs projets et la déclaration de guerre.
Leur inhumanité calculée et organisée dans la conduite de la guerre, leur cruauté réfléchie et organisée envers les peuples conquis, tels sont les buts pour lesquels ils agirent de concert. Tout ce qui constitue les phases de la conspiration qui n'atteignait un but que pour s'élancer vers un autre but plus ambitieux encore. Nous allons retracer devant vous l'enchaînement compliqué des organisations que ces hommes avaient créées et utilisées dans ce but. Nous vous montrerons comment toute l'organisation des bureaux et du personnel était consacrée à des visées criminelles, et vouée à utiliser des méthodes criminelles établies par les accusés et leurs complices dans la conspiration. Beaucoup d'entre eux ont été mis hors d'atteinte par la guerre ou le suicide.
Mon intention est d'ouvrir le procès sous le chef n° 1 de l'acte d'accusation et de traiter du plan commun de conspiration pour obtenir des résultats qui n'étaient possibles qu'en recourant à des crimes contre la paix, des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité. Je n'insisterai pas sur les actes individuels de cruauté ou de perversion qui ont pu se produire indépendamment de tout plan central. L'un des dangers permanents de ce procès est qu'il ne soit prolongé par les détails de torts particuliers et que nous nous perdions dans un amas de cas individuels. Je ne m'occuperai pas non plus actuellement de l'activité de chaque accusé en particulier, à moins qu'elle ne puisse contribuer à déceler le plan commun.
Les Etats-Unis vont s'occuper des cerveaux et de l'autorité qui sont à la base de tous les crimes. Ces accusés étaient des hommes d'une situation et d'un état où l'on ne souille pas ses mains de sang. C'étaient des hommes qui savaient employer comme instruments des gens d'une situation inférieure. Nous voulons atteindre ceux qui ont prémédité et tracé des plans, ceux qui ont été les instigateurs et les chefs. Sans les plans pernicieux de ceux-ci en effet, le Monde n'aurait pas subi si longtemps le fléau de la violence et de l'illégalité, et n'aurait pas sombré dans les souffrances et les convulsions de cette terrible guerre.
Le chemin illégal par lequel ces hommes ont atteint le pouvoir, l'instrument principal de cohésion entre le plan et l'action, était le parti ouvrier national socialiste allemand, connu sous le nom de parti nazi. Certains des accusés en faisaient partie depuis le début. D'autres n'y adhérèrent qu'après que le succès sembla avoir justifié son illégalité ou que son pouvoir lui eut accordé l'immunité contre les atteintes de la loi. Adolf Hitler devint son chef suprême ou Fùhrer en 1925. Le 24 février 1920, à Munich, il avait publié son programme. Certains de ses buts se recommandaient d'eux-mêmes à beaucoup de bons citoyens : par exemple, la demande de participation aux bénéfices des grandes industriels, un large développement des mesures de prévoyance pour la vieillesse, la création et le maintien d'une classe moyenne, l'élévation du standard sanitaire. Il faisait en même temps un appel vibrant à cette sorte de nationalisme que nous appelons en nous-même patriotisme et que nous désignons du nom de chauvinisme pour nos adversaires. Il demandait l'égalité des droits du peuple allemand dans ses rapports avec les autres nations et la modification des Traités de Paix de Versailles et de Saint-Germain. Il demandait l'union de tous les Allemands sur la base du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, pour former une grande Allemagne. Il réclamait « des terres et des colonies pour la dotation de notre peuple et l'établissement de notre excellente population ». Tous ces buts étaient évidemment légitimes si l'on pouvait les atteindre sans recourir à une guerre d'agression.
Dès son origine cependant, le parti nazi envisageait la guerre. Il demandait l'abolition des troupes mercenaires et réclamait la formation d'une armée nationale. Il proclamait que « étant donnés les sacrifices énormes en vies et en biens réclamés à une nation par toute guerre, l'enrichissement personnel par la guerre devait être considéré comme un crime contre la nation. Nous demandons en conséquence la confiscation impitoyable de tous les profits de guerre ».
Je ne blâme pas cette politique, en réalité, je voudrais qu'elle fût universelle ! Je veux seulement faire remarquer qu'en temps de paix, en 1920, la guerre était une préoccupation du parti nazi, et qu'il commença à rendre l'idée de guerre agréable à la masse du peuple. Il combina à cela un programme d'entraînement physique et de sport pour la jeunesse qui devint, comme nous le verrons, la couverture d'un programme secret d'enseignement militaire.
Le parti avouait ainsi, dès le début, un programme autoritaire et totalitaire pour l'Allemagne. Il demandait la création d'un pouvoir central fort doué d'une autorité illimitée, la nationalisation de toutes les affaires qui avaient été groupées en consortium et le renouvellement du système d'éducation « dont le but doit être d'enseigner à l'élève la compréhension de l'idée d'Etat » (sociologie d'Etat). Son hostilité pour les libertés civiles et la liberté de la presse était annoncée clairement par ces mots : « Il doit être interdit de publier des j ournaux qui ne contribuent au bien de la Nation ; nous demandons des poursuites légales contre toutes les tendances artistiques ou littéraires de nature à nuire à notre vie en tant que nation, et la suppression des institutions qui seraient en opposition avec les exigences ci-dessus indiquées. »
Le projet de persécution religieuse était enveloppé du langage de liberté religieuse car le programme nazi disait : « Nous demandons la liberté pour toutes les sectes religieuses dans l'Etat » mais il continue avec cette restriction : « en tant qu'elles ne sont pas un danger pour lui et ne combattent ni la moralité, ni le sens moral de la race allemande. »
Le programme nazi laissait entrevoir la campagne de terrorisme ; il annonçait : « Nous demandons une guerre impitoyable contre ceux dont l'activité est nuisible aux intérêts communs », et il demandait que ces fautes fussent punies de mort.
Il est significatif que les chefs du parti aient interprété ce programme comme un programme belliqueux qui précipiterait de façon certaine le conflit. Le programme du parti concluait : « Les chefs du parti jurent de chercher sans regarder aux conséquences et, si besoin est, en sacrifiant leur vie, à exécuter les points ci-dessus. » C'est le corps dirigeant du parti et non pas tous ses membres qui est accusé comme organisation criminelle.
La déclaration du parti nazi engageait également ses membres à poursuivre un programme antisémitique. Aucun Juif ou personne de nationalité non allemande ne pouvait être membre de la nation. Ils devaient être privés de leurs droits politiques et frappés d'incapacité pour le travail de bureau, ils devaient être soumis à d'autres lois et avoir droit à la nourriture seulement après que la population allemande ait été ravitaillée. Tous ceux qui avaient pénétré en Allemagne après le 2 août 1914, devaient être sommés de partir sur-le-champ, et toute immigration non allemande devait être interdite.
Voyons maintenant comment les chefs du parti remplirent leur engagement de poursuivre leurs buts sans considération de conséquences : manifestement leur objectif étranger, qui n'était rien moins que de violer les traités internationaux et d'arracher des territoires au contrôle étranger, aussi bien que la plus grande partie de leur programme intérieur, ne pouvait être accompli que par la possession du mécanisme de l'Etat allemand. Par conséquent, leur premier effort fut de renverser la République de Weimar par une violente révolution.
Un putsch avorté à Munich, en 1933, mena un grand nombre d'entre eux en prison. La période de méditation qui suivit produisit Mein Kampf. Par suite, la source de la loi des travailleurs du parti est une source de revenus considérables pour son chef suprême. Les plans nazis pour le renversement par la force de la faible république se transformèrent alors en plans pour la prise du pouvoir.
Ce serait commettre une grave erreur que de se représenter le parti nazi comme composé de ces organisations souples connues dans le monde sous le nom de « partis politiques ». Ici, il s'agit plutôt d'un instrument de force et de conspiration contre les autres pays.
Le parti n'était pas organisé pour assumer le pouvoir en Allemagne en se basant sur la majorité du peuple allemand, mais il l'était pour s'arroger le pouvoir contre la volonté du peuple.
Sous le « principe d'un chef unique » le parti nazi était - grâce à une discipline de fer - organisé en pyramide avec Adolf Hitler au sommet. Cette pyramide s'élargissait en un corps de chefs politiques. Les membres du parti prêtaient un serment qui équivalait à une abdication de toute leur personnalité et de toute responsabilité morale. Ce serment était : « Je jure une fidélité indéfectible à Adolf Hitler et une obéissance aveugle aux chefs qu'il me désignera. » Dans la pratique, les membres du parti suivaient leurs chefs avec admiration et avec un abandon d'eux-mêmes plus oriental qu'occidental.
Nul besoin de deviner les buts et les raisons du parti nazi. Le premier était d'anéantir la République de Weimar. L'ordre à tous les membres du parti d'avoir à concentrer leurs efforts sur ce but avait été donné par Hitler dans une lettre adressée à Rosenberg, le 24 août 1931.
L'original de cette lettre, nous pouvons le montrer (document 047 PS des actes de Rosenberg). Un film tombé entre nos mains nous permet de vous montrer l'accusé Alfred Rosenberg, racontant lui-même ce fait. La SA troublait les élections par des coups de force. Nous avons là des rapports du SD (Service de la Sûreté) qui décrivent en détail comment ces agents faussèrent le secret des élections pour connaître ceux qui votaient « non » (document N° R-142, rapport des actes du SD Kochem).
Une formation du parti, « la formation de choc », connue généralement sous le nom de SA, était une organisation volontaire de jeunes et de Nazis fanatiques qui, soumis à une discipline militaire, apprenaient à commettre les actes terroristes. Les membres débutaient dans la carrière comme gardes de corps des chefs nazis, et passant bientôt de la section défensive à la section offensive, ils devenaient très tôt des bagarreurs disciplinés qui brisaient les organisations de la résistance et terrorisaient ceux qui en faisaient partie. Ils se vantaient en proclamant que leur devoir était de faire du parti nazi « le maître de la rue ». La SA fut l'organisation mère de beaucoup d'autres, dont l'organisation de protection, connue sous le nom de SS, qui fut créée en 1925 ; ses membres se distinguèrent par leurs cruautés et leur fanatisme ; le « Sicherheitsdienst », connu sous le nom de SD et enfin la « Police Secrète d'Etat » (la Gestapo, créée en 1934 après la prise du pouvoir par les Nazis).
Il suffit de jeter un regard sur le tableau de l'organisation du parti nazi pour se rendre compte combien grande est la différence entre ce parti et les autres partis politiques que nous connaissons. L'organisation nazie avait ses propres lois, promulguées par les chefs et les sous-chefs, elle avait ses tribunaux et sa police. Les conspirateurs avaient établi un gouvernement à l'intérieur même du parti qui, au mépris de toutes les autres lois, pouvait prononcer tous les châtiments possibles. Sa direction était militaire et ses formations étaient combattives d'après leur nom et leurs activités. Elles se composaient de bataillons : le corps motorisé, le corps d'aviation et le fameux escadron de la « Tête de mort », désignation bien justifiée. Le parti avait sa police secrète, sa police de sécurité, ses services d'information et d'espionnage, ses services de la jeunesse. Il avait établi une vaste organisation pour identifier et assassiner les espions et les dénonciateurs, pour diriger les camps de concentration et pour financer toute l'organisation.
Par cette concentration de l'autorité, le parti nazi s'est échafaudé lentement et a fini par diriger toutes les manifestations de la vie allemande. Avant d'en arriver là, il eut cependant à vaincre de nombreuses luttes intérieures, caractérisées par des crimes sanglants. Pour se préparer à cette phase de la lutte, il créa un système de police du parti qui devint l'exemple et la base de cet Etat policier.
La formation du parti, y compris le corps des dirigeants politiques de la NSDAP, de la SS, de la SA et de la fameuse Gestapo, ne se composait - comme nous le prouvent ces documents - que de Nazis soumis. Toutes ces organisations sont accusées devant vous d'être des organisations criminelles. Leurs membres étaient disposés de par leur conviction et leurs prédispositions à accomplir les plus grands crimes pour favoriser le développement de leur programme commun. Ils terrorisèrent toutes les résistances démocratiques et les réduisirent au silence. Pour arriver à leur but, ils se lièrent aux opportunistes politiques, aux militaristes, aux industriels, aux monarchistes et aux réactionnaires politiques.
Le 30 janvier 1933, Adolf Hitler devint Chancelier du Reich. L'organisation dont les principaux représentants sont maintenant sur le banc des accusés réussit à s'emparer du gouvernement de l'Allemagne et, derrière cette façade, les Nazis décrétèrent leur guerre de conquêtes et la mirent à exécution.
Nous allons examiner maintenant les crimes les plus affreux commis contre l'humanité, crimes auxquels les conspirateurs eurent recours pour s'emparer d'abord du pouvoir, puis pour préparer le pays à la guerre, indispensable à la réalisation de leurs buts.
Les Allemands du XXe siècle étaient devenus par suite de l'effondrement de leur gouvernement traditionnel un peuple déçu et sans but. Les éléments démocratiques qui avaient essayé de diriger le peuple par la nouvelle et faible République de Weimar, n'ont pas été assez soutenus par les forces démocratiques du reste du monde pour pouvoir percer. On ne peut contester que des mesures audacieuses auraient été nécessaires dans cette Allemagne dont tous les problèmes intérieurs étaient rendus plus difficiles encore par une crise économique mondiale.
Les mesures intérieures par lesquelles un peuple essaye de résoudre ses problèmes ne regardent pas d'habitude les autres pays. Le programme nazi fut reconnu dès le commencement comme un programme désespéré d'un peuple qui souffre encore des suites d'une guerre perdue. Les buts du programme nazi ne pouvaient être atteints que par une nouvelle guerre plus heureuse. La réponse des conspirateurs au problème allemand n'était rien d'autre que le plan de reconquérir les territoires perdus lors de la première guerre mondiale et d'annexer d'autres territoires de l'Europe centrale par l'expropriation ou l'extermination de ceux qui les habitaient. En même temps, ils conçurent le plan de détruire les peuples voisins ou de les affaiblir continuellement afin de parvenir à dominer réellement l'Europe et sans doute le monde entier. Nous n'avons pas besoin de définir l'étendue de leurs ambitions.
Durant cette époque, il y eut deux gouvernements en Allemagne, le gouvernement officiel et un gouvernement illégal. Pour la forme, la République allemande a été maintenue pendant un certain temps, mais la véritable autorité de l'Etat était en dehors et au-dessus de la loi.
Le 27 février 1933, le Reichstag fut détruit par un incendie. La disparition de ce symbole d'un gouvernement parlementaire libre vint en temps opportun pour les Nazis. D'ailleurs on admet généralement que ce sont eux qui y mirent le feu. Connaissant tous leurs crimes, nous n'avons aucune peine à croire qu'ils n'auraient pas hésité devant un petit incendie. Ils accusèrent immédiatement le parti communiste d'avoir conçu et réalisé ce plan, et ils ne manquèrent pas de présenter cet incendie comme le début d'une révolution communiste. En décembre, les Nazis remirent en liberté les communistes arrêtés, mais il était trop tard pour freiner la marche tragique des événements.
Le lendemain de cet incendie, Hitler réussit à obtenir du vieux Président Hindenburg une ordonnance d'urgence qui suspendait les garanties de liberté individuelle contenues dans la constitution de la République de Weimar. Il faut remarquer ici que la constitution de Weimar prévoyait la suspension momentanée de ces libertés, au cas où la sécurité ou l'ordre seraient menacés ; il ne faut pas taire non plus que le Président Ebert avait également fait usage de ce droit. Les dispositions de l'ordonnance Hitler-Hindenburg différaient cependant des précédentes par le fait que celles-ci prévoyaient le droit de dissolution. S'il est vrai qu'Ebert a supprimé la garantie constitutionnelle des droits individuels, son ordonnance remettait expressément en vigueur l'ordonnance sur l'incarcération préventive qui avait été votée par le Reichstag en 1916 pendant la dernière guerre mondiale. Cette loi imposait une décision judiciaire dans les 24 heures après l'arrestation, donnait droit à un défenseur et à l'examen du dossier ; il était prévu une instance d'appel et une indemnité légitime à verser par l'Etat en cas d'arrestation arbitraire.
L'ordonnance Hitler-Hindenburg du 28 février 1933 ne contenait pas les mêmes garanties. Cette omission a pu échapper à Hindenburg ; en tout cas, il n'en prévoit pas les conséquences. Il laissa la police nazie et les formations du Parti qui existaient et fonctionnaient déjà totalement sans aucun contrôle. Des arrestations secrètes de durée indéfinie, sans accusation, sans preuves, sans interrogatoire et sans défenseur, devinrent des méthodes courantes pour faire subir aux individus que la police nazie suspectait ou qui lui étaient désagréables, les traitements les plus inhumains. Aucun tribunal ne pouvait intervenir, ordonner une mise en liberté ou la révision des mesures adoptées.
Le peuple allemand était livré à la police, la police au parti, et le parti à des criminels dont les survivants et les représentants les plus éminents sont les accusés qui sont devant vous. Ainsi que nous vous le démontrerons, la conspiration nazie n'a pas seulement essayé de supprimer toute opposition, elle a aussi cherché à détruire tous les groupes qui n'envisageaient pas comme elle l'autorité de l'Etat. Les Nazis ont cherché non seulement à établir l'ordre à leur façon, mais aussi leur domination pour un millier d'années, comme Hitler le revendiquait. Les Nazis n'ont jamais douté et n'ont jamais eu de divergences de vues entre eux sur les éléments de l'opposition. Ceux-ci ont été caractérisés le 11 décembre 1938 d'une façon précise par l'un d'eux, le Général von Fritsch, comme suit :
« Peu après la première guerre mondiale, je suis arrivé à la conclusion qu'il nous fallait remporter trois victoires pour que l'Allemagne redevienne puissante :
1° - Contre les ouvriers, Hitler a déjà remporté cette victoire.
2° - Contre l'Eglise catholique.
3° - Contre les Juifs. »La lutte contre ces groupes n'a jamais cessé.
Le but essentiel était l'extermination complète du peuple juif, comme mesure préparatoire à la guerre et pour intimider les peuples vaincus. Le plan d'extermination des Juifs a été appliqué avec une telle méthode que malgré la défaite et l'écrasement des Nazis, ces derniers ont atteint quand même le but qu'ils s'étaient proposé. Il ne restait en Allemagne que des vestiges de la population juive européenne ; dans les pays occupés par l'Allemagne, 60 % environ des Juifs ont été exterminés. Plus de 4.500.000 sont portés disparus. L'histoire ne connaît pas de crimes dirigés contre autant de victimes et commis avec autant de cruauté. Il vous sera tout aussi difficile qu'à moi de lire sur les visages de ces accusés qu'ils ont été capables, au XXe siècle, d'infliger à leurs propres compatriotes des prétendues minorités, des cruautés et des souffrances comme celles que nous allons vous montrer ici. Une certaine catégorie de crimes ainsi que les responsabilités que ces crimes ont entraînées pour les accusés seront traités par le Procureur Général de l'Union Soviétique, pour autant qu'ils ont été commis à l'Est, et par le représentant de la République Française pour autant qu'ils ont été commis à l'Ouest. Je n'en fais mention que pour donner plus de poids à mon argumentation et pour prouver que par cette extermination systématique ils poursuivaient un but commun.
L'acte d'accusation comprend lui-même un grand nombre de preuves à l'appui en ce qui concerne les persécutions antisémitiques. L'accusé Streicher était, parmi les Nazis, le chef de la clique antisémite.
Il a déclaré le 24 février 1942 que « le Juif devait être exterminé ». Le 4 novembre 1943, Streicher déclarait ailleurs « que les Juifs avaient disparu d'Europe et que le lieu de rassemblement de la peste juive, qui a déferlé sur l'Europe pendant des siècles, avait cessé d'exister ». Et maintenant Streicher a l'audace de nous raconter qu'il n'était qu'un sioniste, qu'il n'avait voulu que le retour des Juifs en Palestine. Mais le 7 mai 1942, il écrivait pourtant : « La question juive est non seulement un problème européen, mais aussi un problème mondial. L'Allemagne ne sera pas en sécurité tant qu'un seul Juif vivra encore en Europe. La question juive ne pourra être résolue en Europe tant qu'il y aura encore des Juifs dans le monde. »
L'accusé Hans Frank, un avocat de profession, comme je dois le constater non sans confusion, écrivait en 1944 dans son journal particulier : « Les Juifs sont une race qu'il faut exterminer, chaque fois que nous en trouvons un, c'est sa mort. » Alors qu'il était encore Gouverneur Général de la Pologne, il marquait la phrase suivante dans son carnet : « Il est tout naturel qu'il me soit impossible d'exterminer toute la vermine et les Juifs en une seule année. » Je pourrais m'étendre indéfiniment sur des déclarations de ce genre, mais je laisse à l'accusation spéciale le soin de nous entretenir des résultats qu'ont eus toutes ces mesures. Les mesures les plus sévères contre les Juifs ne reposaient sur aucune loi. La loi elle-même a, jusqu'à un certain degré, servi de prétexte. Par exemple, les célèbres lois de Nuremberg du 15 septembre 1935 ont servi de prétexte à toutes sortes de persécutions et de massacres. Les Juifs ont été enfermés dans des ghettos et astreints à des travaux forcés. On leur a défendu de continuer d'exercer leur profession, on leur a défendu toute vie culturelle, la presse, le théâtre, le cinéma et les écoles. La campagne anti-juive en Allemagne a atteint son paroxysme après l'assassinat à Paris du Conseiller d'Ambassade allemand von Rath. Heydrich, chef de la Gestapo, envoya à tous les services de la Gestapo et du SD par télétype, des instructions et des prescriptions suivant lesquelles il importait d'accélérer la destruction des propriétés et la déportation des Juifs. Un rapport d'un chef de brigade SS à Himmler relate : « En exécution des ordres reçus, la police du SD est décidée à régler la question juive par tous les moyens et avec la fermeté nécessaire. Comme il fallait cependant que les policiers du SD n'entrent pas tout de suite en action, car ils auraient pu par leurs mesures de représailles inquiéter les milieux allemands eux-mêmes, nous avons pris les dispositions pour démontrer à l'opinion publique que c'est la population elle-même qui a fait les premiers gestes. » Il est évident maintenant que toutes les émeutes et révoltes qui ont eu lieu ont été provoquées par le Gouvernement et le Parti Nazi. Même si nous devions en douter, il nous suffirait de relire le mémorandum de Streicher du 14 avril 1939 où il déclare : « L'action antisémitique de novembre 1938 n'est pas sortie spontanément du peuple. Une partie de l'appareil du Parti Nazi a été chargée de cette besogne. » Les Juifs ont été contraints à payer un milliard de RM à titre d'amende, ils ont été exclus de la vie commerciale, leurs biens ont été confisqués, tout cela en exécution d'un arrêté de l'accusé Goering. On s'en prit également aux synagogues. Le 10 novembre 1938, l'ordre suivant fut publié : « Selon l'ordre du chef de brigade, toutes les synagogues qui se trouvent dans le secteur de la brigade 50 sont à faire sauter ou à incendier. Cet ordre est à exécuter non en uniforme, mais en civil. Le résultat est à communiquer immédiatement au service dirigeant. » Un grand nombre de documents prouvent avec quelle sauvagerie les Juifs ont été persécutés pendant ces terribles nuits de novembre. Des formations de SS furent lâchées sur eux. La Gestapo avait le contrôle ; elle fit arrêter vingt mille à trente mille Juifs qui furent immédiatement mis dans des camps de concentration. La campagne contre les Juifs s'est encore aggravée avec l'extension des frontières allemandes. Le plan nazi était d'appliquer ces mesures d'extermination à toute l'Europe et si possible dans le monde entier. A l'Ouest, les Juifs furent assassinés et leurs biens confisqués. Mais c'est à l'Est que la campagne a atteint son point culminant de bestialité. Les Juifs de l'Est eurent à subir des persécutions qu'aucun peuple n'a jamais eu à endurer. Des projets spéciaux ont été établis en vue de leur extermination. Si j'avais à décrire ces atrocités, vous ne me croiriez point. Heureusement il me suffit de me servir de ce qu'ont dit les Allemands eux-mêmes. Nous n'avons qu'à jeter un coup d'œil sur les innombrables rapports, ordonnances et instructions qui sont tombés entre nos mains. La rage et la bestialité hitlériennes ne connaissaient point de bornes. A Kowno, trois mille huit cents Juifs ont été assassinés en une seule journée, dans des villes de moindre importance, près de mille deux cents. En Lettonie, trente mille Juifs ont été exécutés. Dans la ville de Sluzk, les persécutions ont atteint un sadisme inconnu jusqu'alors. Pendant deux jours, la ville entière offrit un spectacle horrible. Avec une brutalité indescriptible, la population juive fut rassemblée par les policiers allemands et abattue à coups de mitraillette. Les cadavres s'amoncelaient dans les rues. En Estonie, tous les Juifs ont été incarcérés dès l'arrivée de la Wehrmacht. Hommes et femmes âgés de plus de seize ans ont été astreints à des travaux forcés. Tous les biens juifs ont été confisqués. Deux jours après, tous les hommes juifs de plus de seize ans étaient exécutés à l'exception des médecins. Seuls cinq cents sur les quatre mille cinq cents que représentait la population totale ont survécu à ces massacres. Dans une autre ville, trois cent trente-sept femmes juives ont été exécutées parce qu'elles avaient fait preuve « d'une attitude provocante. » A Witebsk, trois mille Juifs ont été exterminés. A Kiew, trois mille trois cent soixante-dix-sept ont subi le même sort les 20 et 30 septembre ; à Jitomir, trois mille cent quarante-cinq Juifs ont été assassinés parce qu'ils auraient été porteurs « de propagande bolcheviste ». A Kherson quatre cent dix Juifs ont été fusillés en représailles pour des actes de sabotage. La liste pourrait être allongée indéfiniment. Je me suis borné aux faits essentiels et aux descriptions les plus importantes. Tous les accusés ici présents ont été complices de l'accomplissement de ce plan nazi qui prévoyait l'extermination totale de la race juive. Je suis persuadé que plusieurs de ces hommes ont entrepris des démarches personnelles pour soustraire quelques Juifs de leur connaissance au sort terrible qui les attendait. De temps à autre, quelques-uns déclarèrent que ces atrocités allaient trop loin et dépassaient les directives générales. Quelques accusés essayeront maintenant de prouver qu'ils ont élevé des objections contre l'extermination systématique des Juifs. Mais je n'ai jusqu'à présent découvert aucun document prouvant qu'un seul de ces accusés se soit élevé personnellement contre ces mesures. Aucun n'a même recherché à atténuer la rigueur des prescriptions. Il existait beaucoup de divergences entre les accusés au point de vue politique intérieure, mais il n'en est aucun parmi eux qui n'ait appliqué la maxime nazie : « Allemagne réveille-toi, et toi, Israël, crève ! »
La manière dont un gouvernement traite son propre peuple ne regarde point les autres gouvernements ni les autres peuples. Mais les mauvais traitements infligés au peuple allemand par les Nazis ont surpassé en barbarie et en cruauté tout ce que l'on peut imaginer. La civilisation moderne ne pouvait plus tolérer un tel état de choses. Si les autres nations avaient gardé le silence, elles se seraient faites les complices de ces crimes. Ces derniers ont d'ailleurs pris le caractère de crimes internationaux. Comme nous l'avons vu, ils tendaient à l'élimination de la classe ouvrière libre, de l'Eglise et des Juifs. Tous les obstacles à la conduite d'une guerre agressive ont été écartés. La terreur a été le principal moyen de mener le peuple allemand à la guerre. Par ailleurs, il s'agissait de crimes commis en Allemagne par les soins d'une véritable école du crime dont le but a été d'utiliser plus tard les membres de ces organisations criminelles dans les territoires occupés. Les dirigeants nazis se sont servis de leurs formations « de protection » pour établir un règne de terreur. On s'est servi de ces organisations d'espionnage et de police pour annihiler toute forme de résistance. Dès les premières années de leur règne, ces organisations et ces administrations ont créé les camps de concentration : Buchenwald a été construit en 1933 et Dachau en 1934. Ce n'étaient pas les seuls. Toute l'Allemagne en était parsemée et leur nombre augmentait toujours. Au début, quelques Allemands opposèrent une certaine résistance ; c'est ainsi que le ministre de la Justice Guertner écrivit à Hitler une lettre de protestation sur les mauvais traitements infligés aux internés dans un camp de concentration de Saxe. Dans cette lettre il disait entre autres : « Les prisonniers et les détenus y ont eu à subir des mauvais traitements ; ils ont été non seulement frappés et fouettés jusqu'à perdre connaissance, ils ont été martyrisés à un tel point que la mort s'en est suivie dans la plupart des cas. » Je ne tiens nullement à m'attacher sur les terribles organisations qui ont sévi dans les camps de concentration. Nous allons vous montrer un grand nombre de documents à l'appui. Les détenus ont été invités à s'entre-tuer eux-mêmes, comme prix de cette sinistre besogne ils ont touché 5 RM. par exécution. Le général des SS Glueck, commandant des différents camps de concentration allemands, a réduit « ces honoraires » à 3 cigarettes. Sous le régime nazi, la vie humaine a vu diminuer peu à peu sa valeur jusqu'à valoir finalement moins qu'une poignée de tabac - de tabac-ersatz ! Il me répugne d'encombrer ce protocole d'histoires si misérables. Mais nous avons à juger des hommes qui sont responsables de ces atrocités. Nous allons vous montrer un film où vous verrez ce qu'étaient ces camps lorsque les armées alliées s'en sont emparés et les mesures que le Général Eisenhower s'est vu obligé de prendre pour les nettoyer. Nos descriptions et nos preuves soulèveront votre dégoût, et vous allez me dire que je vous ai privés de votre sommeil. Mais ce sont là des choses que le monde doit savoir et qu'il ne nous appartient plus de cacher au monde civilisé. L'Allemagne est devenue une immense chambre de tortures, les cris de ses victimes ont été entendus par le monde entier. Je suis un de ceux qui, au cours de la guerre, ont accueilli toutes ces histoires d'atrocités avec la plus grande méfiance. Mais les preuves sont maintenant formelles, je dirai même que pas une seule de mes paroles ne pourra être contredite. Les accusés pourront seulement nier leur responsabilité personnelle.
Pendant que déferlait cette vague de terrorisme, les éléments courageux et forts de la population allemande ont été exterminés, ceux qui étaient honnêtes et les faibles ont été intimidés, toute résistance ouverte a complètement disparu, et ne s'est manifestée que dans des événements semblables à la tentative d'assassinat d'Hitler du 20 juillet 1944.
Après que toute la résistance eût été éliminée, le Parti Nazi fut maître de tout l'Etat allemand. Mais les Nazis ont fait encore davantage pour réduire leurs adversaires au silence. Ils ont institué des méthodes positives aussi efficaces que les précédentes. Ils ont élaboré un vaste programme de propagande. Ces différents organes ont contribué à abrutir la pensée et la vie du peuple allemand. Ils ont doté l'Etat allemand d'un mysticisme qui est d'ailleurs incompréhensible pour mon peuple.
Toutes ces mesures ont été appliquées dès le début avec une ralitaire se constituait rapidement. Finalement, grâce au service militaire obligatoire, une armée fut organisée. Des capitalistes, des économistes et des industriels ont participé à l'élaboration de ces projets et ont facilité par leurs subventions les transformations de l'industrie et des finances nécessaires à l'obtention d'un rendement et d'une production permettant de faire la guerre.
Le réarmement de l'Allemagne s'est effectué sur une si grande échelle qu'au bout d'une année elle était capable de briser toute la puissance militaire du continent à l'exception d'une, l'U.R.S.S. et de repousser les armées soviétiques jusqu'à la Volga. Ces préparatifs ont été d'une telle ampleur qu'ils dépassaient de loin les besoins de protection du pays et chacun des accusés ainsi que tout Allemand de bon sens savait très bien qu'ils étaient destinés à une guerre d'agression.
Avant de déclencher la guerre, les Nazis ont fait des expériences pour mettre à l'épreuve l'esprit et la force de résistance de ceux qui leur barraient la route. Ils ont procédé avec prudence et sont restés sur une position qui leur permettrait de se replier au cas où ils se heurteraient à une impossibilité momentanée. Le 7 mai 1936, les Nazis occupèrent la Rhénanie et commencèrent à la fortifier en violation des traités de Versailles et de Locarno. Ils n'ont pas rencontré d'opposition notable et ont été encouragés à poursuivre leurs expériences par l'annexion de l'Autriche. Malgré les assurances formelles que l'Allemagne n'avait pas de visées sur elle, ils sont entrés en Autriche. Sous la menace d'une attaque, Schuschnigg a dû démissionner et l'accusé nazi Seyss-Inquart a été mis à sa place. Ce dernier a immédiatement ouvert les frontières et fait appel à Hitler pour maintenir l'ordre. C'est le 12 mars que l'entrée des troupes allemandes a commencé. Le lendemain, Hitler se déclarait déjà chef de l'Etat autrichien, il prenait la direction des troupes et faisait promulguer une loi d'après laquelle l'Allemagne annexait l'Autriche. Ces menaces ont été couronnées de succès. Néanmoins, un peu partout, des craintes s'élevaient. On les faisait taire en donnant l'assurance au gouvernement de la Tchécoslovaquie que l'indépendance du pays serait respectée. Nous prouverons qu'à ce moment déjà le Gouvernement Nazi était en possession de plans d'attaques. Nous soumettrons des documents qui prouvent que ces conspirateurs ont pratiqué une politique de provocation qui justifierait leur attaque. Ils ont profité de l'assassinat de leur ambassadeur à Prague pour faire de cet incident tout un drame. Ils ont créé une crise politique qui a duré tout l'été. Hitler avait fixé au 28 septembre la date à laquelle les troupes devaient être prêtes pour l'attaque. Devant la menace d'une guerre imminente, la Grande-Bretagne et la France conclurent à Munich le 29 septembre 1938 un accord avec l'Allemagne et l'Italie, qui contraignait la Tchécoslovaquie à céder le pays des Sudètes à l'Allemagne. Cet accord fut appliqué et l'occupation allemande effectuée le 1er octobre 1938.
L'accord de Munich contenait l'assurance que rien ne serait plus entrepris contre la Tchécoslovaquie, mais la parole des Nazis avait été donnée à la légère et fut vite dénoncée.
Dénonçant l'accord de Munich, les Nazis entrèrent le 15 mars 1939 en Bohême et en Moravie, la principale partie de la Tchécoslovaquie qui n'avait pas encore été cédée à l'Allemagne et occupèrent ces territoires. De nouveau les puissances occidentales furent consternées, mais ressentirent l'horreur d'une guerre. Malgré toutes les appréhensions, elles espérèrent encore que la fièvre des Nazis d'espace vital s'était calmée. Les Nazis, par contre, étaient grisés par ces succès qu'ils avaient obtenus sans coup férir, grâce à une alliance ouverte avec Mussolini et une coopération secrète de Franco. Après avoir conclu une paix malhonnête avec la Russie pour gagner du temps, les conspirateurs entrèrent dans la dernière phase de leur plan.
Je ne veux pas allonger ce discours en donnant des détails sur ce qui a amené à la guerre d'agression qui a commencé le 1er septembre 1939 avec l'entrée des Allemands en Pologne. Vous pourrez trouver les événements postérieurs dans les documents de l'Etat-Major allemand. Ces plans avaient été établis depuis longtemps. Dès 1935, Hitler avait confié à l'accusé Schacht le poste de directeur général de l'économie de guerre (document N° 2261 - PS). Nous possédons le journal de guerre du Général Jodl (document N° 1780 PS), le plan « Otto », l'ordre d'Hitler d'attaquer l'Autriche, au cas où l'opération échouerait (document N° c 102), le plan « Griin », nom donné à l'élaboration du plan d'attaque de la Tchécoslovaquie, le plan de la guerre à l'Ouest (document n° 375 PS), la lettre adressée par Funk à Hitler le 23 août 1939, dans laquelle il décrit les détails des longs préparatifs économiques (document 699 - PS), l'ordre, très secret, de mobilisation pour 1939-40, qui ordonne les mesures à appliquer « pendant une période tension » dans laquelle l'état de guerre ne sera pas décrété publiquement, même si des mesures de guerre sont ouvertement prises contre l'ennemi extérieur. Ce dernier ordre (document N° 1639 - PS) se trouve entre nos mains, malgré l'ordre formel de le brûler (document N° 1640 - PS) qui a été donné le 16-3-45 quand les troupes alliées ont pénétré au cœur de l'Allemagne. Nous possédons également des directives données par Hitler le 18-12-40 sur la « possibilité Barbarossa » qui indique la stratégie à adopter pour l'attaque de la Russie (document N° 446 -PS). Nous possédons des informations détaillées sur le « cas Weiss », le plan d'attaque de la Pologne (document 327 - PS). Le compte rendu de la conférence d'Hitler avec ses conseillers augmente encore l'évidence de la culpabilité.
Dès le 5 novembre 1937, Hitler a déclaré aux accusés Goering, Raeder et Neurath, pour ne nommer que quelques-uns d'entre eux, que l'armement de l'Allemagne était presque terminé et qu'il était décidé à gagner par la force un plus grand espace vital en Europe en commençant une guerre éclair contre la Tchécoslovaquie et l'Autriche, pas plus tard qu'en 1943 ou 1945, et peut-être dès 1938 (document N° L 12). Le 23 mai 1939, le Fiihrer a déclaré à son Etat-Major qu'il fallait agrandir l'espace vital à l'Est et se procurer des réserves de vivres. Il n'était donc pas question de ménager la Pologne et il ne restait qu'une solution « l'attaque » à la première occasion. « Nous ne pouvons pas nous attendre à une répétition de l'affaire tchèque », disait Hitler. « La guerre sera inévitable. » Le 22 août 1939, Hitler s'adressa de nouveau aux membres du Commandement Suprême et leur annonça à quelle date l'ordre serait donné de déclencher les opérations ajoutant que, pour des raisons de propagande, il trouverait un bon motif. « Peu importe que cette raison soit convaincante ou non », dit-il. « Quand tout sera passé, on ne demandera pas au vainqueur s'il a dit la vérité. Nous devons agir brutalement. Le droit est toujours du côté du plus fort. » (Document N° 1014 PS.)
Les conséquences sanglantes nous sont connues. Des incidents de frontières ont été mis en scène. Des revendications territoriales ont été faites. Quand les Polonais s'y sont opposés, les troupes allemandes sont entrées le 1er septembre 1939 en Pologne. Varsovie a été détruite. D'après les plans établis, les Nazis ont fait en sorte d'étendre leurs opérations à toute l'Europe, et d'avoir l'avantage de la surprise sur leurs voisins qui n'étaient pas prêts. Malgré leurs assurances répétées et solennelles ils sont entrés le 9 avril 1940 au Danemark et en Norvège, le 10 mai 1940 en Hollande et au Luxembourg, et le 6 avril 1941 ils ont attaqué la Yougoslavie et la Grèce.
Pour préparer l'attaque contre la Pologne et ses alliés, l'Allemagne avait conclu le 23 août 1939 un pacte de non-agression avec l'Union Soviétique. Cet accord avait uniquement pour objet de gagner du temps et on avait l'intention de ne le respecter que le temps qui serait nécessaire pour préparer sa dénonciation. Le 22 juin 1941, les troupes nazies, d'après des plans qui avaient longtemps mûri, sont entrées en Russie sans aucune déclaration de guerre. Tout le continent européen était en flammes.
Les plans d'agression des Nazis nécessitaient la participation de leurs alliés asiatiques et ils l'ont trouvée chez des personnalités japonaises qui avaient le même esprit et les mêmes intentions qu'eux. Au fond, ils étaient comme des frères.
Himmler a pris des notes sur une conversation qu'il avait eue le 31 janvier 1939 avec le Général Oshima, ambassadeur du Japon à Berlin. Il écrit (document N° 2195 - PS) : « En plus, il a réussi (Oshima) à faire franchir la frontière du Caucase à dix Russes qui avaient pour mission d'assassiner Staline. Plusieurs Russes ont été fusillés à la frontière. » Le 27 septembre 1940, les Nazis ont conclu un accord militaire et économique avec l'Italie et le Japon, d'après lequel ces puissances s'engageaient à une étroite coopération en Extrême-Orient et dans les pays européens où ils avaient l'intention d'établir un ordre nouveau.
Le 5 mars 1941, l'accusé Keitel a donné un ordre très secret qui dit : « Le Fiihrer a ordonné que le Japon prenne une part active à la guerre et que la puissance militaire du Japon soit renforcée. Il lui a communiqué les résultats des expériences faites par l'Allemagne et lui a promis une aide militaire, économique et technique (document N° 384 - PS et 1489 - PS).
Le 29 mars 1941, Ribbentrop fit savoir à Matsuoka, ministre des Affaires étrangères du Japon, que l'armée allemande était prête à attaquer la Russie. Matsuoka donna de nouvelles garanties à Ribbentrop. Le Japon, dit-il, agit actuellement comme s'il n'avait aucun intérêt à Singapour, mais il saura intervenir au bon moment (document N° 1877 PS).
Le 5 avril, Ribbentrop fit comprendre à Matsuoka que l'entrée en guerre du Japon hâterait la victoire et serait plus de l'intérêt du Japon que celui de l'Allemagne, étant donné qu'il aurait là une occasion unique de parvenir à son but national et de jouer un rôle de première place en Extrême-Orient (document N° 1882 - PS).
Les pièces à conviction démontrent également que les chefs de l'Allemagne projetaient une guerre contre les Etats-Unis en partant des côtes de l'Atlantique et qu'ils comptaient engager une action parallèle dans l'Océan Pacifique. Un document daté du 29 octobre 1940 et signé du général Falkenstein, saisi au Quartier Général du Fihrer, demande des précisions sur les bases aériennes et sur le ravitaillement et rapporte en outre : « Le Fiihrer s'occupe actuellement de la question de l'occupation d'îles situées dans l'Atlantique, en vue de déclencher une guerre contre les Etats-Unis. Les entretiens relatifs à ce sujet sont en cours. » (Document N° 376 PS.)
Le 7 décembre 1941, jour dont le Président Roosevelt disait qu'il survivrait dans la honte, il semblait certain que l'attaque allemande serait couronnée de succès. La Wehrmacht était aux portes de Stalingrad ; le Japon profita de cette situation et, alors qu'à Washington ses plénipotentiaires mettaient en scène une manœuvre diplomatique, il attaquait lâchement et sans avoir déclaré la guerre les Etats-Unis à Pearl-Harbour. Les attaques contre les Philippines, l'Empire Britannique, l'Indochine française et les possessions néerlandaises du sud-ouest du Pacifique suivirent peu après. Le seul moyen de parer à ces attaques fut la résistance armée, une résistance qui ne fit que s'accentuer jusqu'au moment où les puissances de l'Axe furent anéanties et leurs victimes libérées.
Même les peuples les plus guerriers ont connu certaines limites dans la cruauté des opérations de guerre. Il avait été établi à cet effet un statut international auquel l'Allemagne avait donné son adhésion. Cette loi prescrivait notamment quel devait être le traitement des prisonniers de guerre. En vertu de cette loi, l'ennemi pouvait se rendre et s'attendre à être traité humainement. A l'appui de documents authentiques, nous démontrerons que ces droits ont été violés, que les prisonniers de guerre ont été traités brutalement, et que souvent ils ont été assassinés. Ceci s'est produit fréquemment pour les aviateurs faits prisonniers, et dont beaucoup sont nos concitoyens. Le 1er juin 1944, les Nazis ont décrété que les aviateurs britanniques et américains ne seraient désormais plus considérés comme prisonniers de guerre. Ils devaient être traités comme des criminels, et l'ordre a été donné à l'armée de ne pas les soustraire à la population, si celle-ci cherchait à les lyncher (documents Nos R 153, R 13, R 19, R 10, R 110, R 117, R 118, R 119). Par cette mesure, le gouvernement nazi voulait exciter la population civile contre les aviateurs qui avaient fait des atterrissages forcés. Nous donnerons connaissance de l'ordre secret d'Hitler d'après lequel les soldats faits prisonniers et appartenant à des troupes de choc devaient être tués (document N° 498 PS). Nous prouverons que des civils ont reçu des ordres leur enjoignant d'arrêter ou de tuer les parachutistes ennemis (document N° 062 - PS). Ainsi, on créa des assassins. Mais c'est au cours de la guerre contre la Russie que ces traitements ont atteint leur paroxysme. Finalement, tous les prisonniers de guerre ont été soustraits au contrôle de l'armée et livrés à Himmler et aux SS (document 058 PS).
A l'Est, la brutalité allemande ne connaissait plus de bornes. On donna l'ordre de marquer au fer rouge les prisonniers russes (document N° 1191 PS). Ils ont été affamés (document N° 1103 PS). « Quant au sort des prisonniers de guerre russes en Allemagne, il n'est pas moins tragique. Sur 3.600.000 prisonniers de guerre, quelques centaines de milliers seulement sont capables de travailler vraiment. Une grande partie d'entre eux sont morts de faim ou par suite des intempéries. Des milliers sont morts du typhus. De nombreux commandants de camps ont interdit, sous peine de sanctions graves, à la population civile de distribuer des vivres aux prisonniers et ont préféré les laisser mourir de faim. Quand ils ne pouvaient plus continuer leur route, soit par fatigue, soit par faim, ils étaient fusillés sous les yeux de la population horrifiée et leurs cadavres abandonnés. Dans de nombreux camps, aucun abri n'était aménagé pour les prisonniers. On ne mettait même pas d'outils à leur disposition pour leur permettre de creuser des trous. » Enfin, j'ajouterai que des prisonniers de guerre ont été fusillés. Dans certains camps, par exemple, tous les « asiatiques » ont été fusillés. Les accords internationaux auxquels l'Allemagne avait donné son adhésion l'obligeaient à prendre des mesures de précaution à l'égard des populations des pays conquis. Malgré cela, les troupes d'occupation allemandes, qui étaient commandées par les accusés réunis ici, ont perpétré une longue série de crimes contre la population des pays occupés, crimes qui paraîtraient incroyables si leur exécution n'était pas rapportée fidèlement dans de nombreux ordres et comptes rendus. Mais ces actes criminels, qui dépassent en horreur tout ce que l'on peut imaginer, font partie du plan d'ensemble. Or, il s'agit là, non pas de crimes fortuits, mais bien de crimes prémédités et mûris de longue date. En effet, Hider déclarait à ses officiers, le 22 août 1939, que son but principal était en Pologne de détruire l'ennemi et non d'atteindre une certaine ligne géographique (document N° 1014- PS). Le projet de déportation de tous les jeunes gens des pays occupés a reçu le consentement de Rosenberg, qui cherchait à obtenir un affaiblissement de la force biologique du peuple vaincu (document N° 031 PS). Le programme était de germaniser ou de détruire. Himmler proclamait « ou bien nous gagnerons du bon sang que nous pourrons employer pour nous-mêmes et lui donnerons une place dans notre peuple - Messieurs, vous pourrez trouver cela brutal, mais la nature est brutale - ou bien nous détruirons ce sang. » Au sujet des types d'une bonne valeur raciale, Himmler déclarait :
« Dans cette intention, j'estime que nous avons le devoir de nous emparer des enfants, de les soustraire à leur entourage et même, s'il le faut, de les voler. » (Document N° L 70 PS.) Il a insisté sur la déportation des enfants slaves pour ôter à l'ennemi de futurs soldats. Le but des Nazis a été d'affaiblir ses voisins pour que l'Allemagne, si même elle devait perdre la guerre, reste la plus puissante nation en Europe. C'est dans cet esprit que la guerre a été menée d'une façon impitoyable. Des otages ont été torturés en grand nombre et assassinés. Ces répressions ont été exécutées avec une telle cruauté que des communes entières ont été anéanties. Rosenberg a eu connaissance de la destruction totale de trois villages non identifiés de Slovaquie (document N° 970 PS).
En mai 1943, l'ordre a été donné d'incendier un autre village comprenant environ quarante fermes et deux cent vingt habitants et d'en fusiller toute la population. Le cheptel et les terrains ont été confisqués (document N° 163 - PS).
Un ordre secret du ministère de Rosenberg pour les régions de l'Est révèle : les rations alimentaires attribuées à la population russe doivent être à peine suffisantes pour permettre des conditions de vie d'une durée limitée. La population ne sait pas ce que le lendemain lui réserve. Elle se trouve devant la famine. Les routes sont embouteillées par des centaines de milliers de personnes - les experts affirment qu'il s'agit d'un million - qui errent à la recherche de nourriture. Les mesures prises par Sauckel ont causé de grands ravages dans la population civile. Des jeunes filles russes ont été violées. D'autres jeunes filles ont dû se soumettre aux désirs lubriques des Nazis. Des femmes en chemise de nuit ont été ligotées et conduites à travers les villes russes vers la gare. Tous ces documents ont été envoyés à l'Etat-Major de l'armée. Le travail forcé a peut-être été l'entreprise d'esclavage la plus odieuse et la plus terrible qui se soit jamais vue dans l'histoire.
Il y a peu de domaines où nos pièces à conviction soient aussi nombreuses. J'ai sous mes yeux le texte d'un discours que l'accusé Frank, Gouverneur Général de Pologne, a prononcé le 25 janvier 1944 et dans lequel il se vante d'avoir envoyé 1.300.000 ouvriers polonais en Allemagne (document N° 95 PS P 2).
L'accusé Sauckel a rapporté que sur les 5 millions d'ouvriers arrivés en Allemagne, 200.000 à peine étaient volontaires. Ce fait a été transmis à Hitler et aux accusés Speer, Goering et Keitel (document N° R 124). Des enfants de 10 à 14 ans ont été forcés à travailler (document N° 200 PS). Lorsque les ouvriers étaient en nombre insuffisant, des prisonniers de guerre étaient contraints à travailler dans des usines de guerre, ce qui constitue une violation de la convention internationale (document No 016 PS). Des ouvriers esclaves sont venus de France, de Belgique, de Hollande, d'Italie et des régions de l'Est (document N° 208 PS). Les méthodes employées pour le recrutement de ces ouvriers ont été brutales (documents Nos A 124, 018 PS, 204 PS). En lisant le rapport adressé par l'accusé Sauckel à l'accusé Rosenberg (document N° 016 PS), on peut se rendre compte du traitement qui a été infligé aux ouvriers esclaves. Il déclare : « Tous les hommes (prisonniers de guerre et ouvriers civils étrangers) doivent être nourris et traités de telle façon qu'ils effectuent le maximum de rendement possible aux moindres frais.
Afin de rabaisser le niveau de vie de leurs voisins, les Nazis n'ont pas hésité à commettre des crimes. Les destructions de propriétés appartenant à des personnes civiles, destructions qui n'avaient aucun but militaire, ont été fréquentes. Peu avant la fin de la guerre, ils ont fait sauter des digues en Hollande, non pas à des fins militaires, mais pour accroître les difficultés économiques des Hollandais. Les pays occupés ont été systématiquement pillés. Un rapport de l'Office de recherches économiques de la Banque d'Allemagne, du 7 décembre 1942, donne un exemple du pillage de la France. La question avait été soulevée de savoir si les frais d'occupation de quinze millions de marks que la France devait payer journellement devraient être portés à vingt-cinq millions. La Reichsbank étudia l'économie française pour voir si elle était capable de payer une telle somme. Ce rapport souligne que l'armistice avait coûté à la France jusqu'à cette date dix-huit milliards et demi de marks, ce qui représente trois cent soixante-dix milliards de francs, et que le montant de ces paiements représentait deux ans et demi de tout le revenu de la France de 1940. Il indique également que les charges fiscales payées par la France à l'Allemagne au cours des six premiers mois de 1942 correspondaient au revenu global de la France, tel qu'il était prévu pour l'année en cours. Le rapport concluait : « Il est indubitable que depuis l'armistice, en juin 1940, la France a eu relativement plus d'indemnités à payer que l'Allemagne après la guerre mondiale. A ce sujet, il faut faire remarquer que la puissance économique de la France n'a jamais été aussi grande que celle de l'Allemagne et que la France vaincue ne disposait pas des appuis économiques et financiers étrangers dont disposait l'Allemagne après la guerre de 1914 à 1918. »
L'accusé Funk, qui était ministre de l'Economie de l'Allemagne et président de la Reichsbank, l'accusé Goering qui était chargé de l'application du plan de quatre ans, ont tous deux participé à l'entretien qui est reproduit en partie dans ce document saisi. Mais en dépit de ce compte rendu fait par la Reichsbank, ils ont élevé les frais d'occupation imposés à la France de 15 à 25 millions de marks par jour (document N° 4149 PS).
Il n'est pas étonnant que les bases de l'économie française aient été ainsi ruinées. Le but que les Nazis se proposaient d'atteindre par cette action ressort d'une lettre que le Général Stilpnagel, chef de la délégation allemande d'armistice, avait adressée le 14 septembre 1940 à l'accusé Jodl. Il est dit notamment : « Le mot d'ordre : l'affaiblissement systématique de la France a été dépassé de loin par les événements. » (Document N° 1756 PS.)
L'intention n'était pas seulement d'affaiblir l'économie des voisins de l'Allemagne en vue de les empêcher d'être des concurrents éventuels, car on procédait encore sur une vaste échelle à des pillages et à des vols. Je sais bien qu'aucune armée ne traverse un territoire occupé sans commettre de vols. Généralement, les vols se multiplient lorsque la discipline se relâche. Si les pièces à conviction ne mentionnaient que cette sorte de pillage, je ne demanderais certainement pas que ces accusés soient déclarés coupables. Mais nous sommes en mesure de prouver que le pillage n'était pas dû à un manque de discipline ou à des faiblesses humaines, mais qu'il était bel et bien prémédité et organisé. Et nous avons des preuves à l'appui. L'accusé Rosenberg s'est vu confier personnellement par Hitler, le 17 septembre 1940, le pillage systématique des objets d'art de l'Europe. Le 16 avril 1943, Rosenberg a déclaré que jusqu'au 7 avril, 92 wagons avec 1.115 caisses renfermant des objets d'art avaient été envoyés en Allemagne, que 53 objets d'art avaient été livrés directement à Hitler et 594 à l'accusé Goering. L'accusé a dix fois mieux fait que le Fihrer. Le rapport mentionne vingt mille objets d'art confisqués et les endroits où ils étaient cachés (document N° 015 PS).
Des peintures, des sculptures, etc... ont été soigneusement notées et photographiées dans 39 volumes, voici l'un d'entre eux (il montre un volume au Président).
Ce pillage a été glorifié par Rosenberg. Nous avons ici 39 volumes de son inventaire, reliés en cuir, que nous soumettrons au moment donné comme pièce à conviction. On ne peut qu'admirer le soin de Rosenberg. Le goût des Nazis s'étendait à toute la terre. Dans les neuf mille quatre cent cinquante-cinq objets figuraient cinq mille deux cent cinquante-cinq tableaux, deux cent quatre-vingt-onze sculptures, mille trois cent soixante-douze meubles antiques, trois cents et une tapisseries et étoffes et deux mille deux cent vingt-quatre petits objets d'art. Rosenberg faisait remarquer que dix mille autres objets d'art devaient être encore insérés dans cet inventaire (document N° 015 PS).
Rosenberg a estimé lui-même la valeur de ce butin à presque un milliard de dollars (document N° 090 PS). Je ne veux pas m'étendre sur d'autres détails concernant les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité commis par les Nazis, dont les chefs ont à répondre devant vous. Je n'ai pas l'intention de m'arrêter à des crimes individuels. Je m'occupe du plan criminel général et de son élaboration. Ma tâche se borne à montrer l'étendue que ces crimes avaient prise et que ce sont en fait ces hommes, qui étaient à la tête de l'Allemagne, qui sont responsables de ces actes et non ceux qui les ont perpétrés. Enfin vint le moment où le monde, après s'être remis des conséquences foudroyantes de l'attaque, rassembla ses forces et mit fin aux agissements de ces hommes. Dès que la victoire eut changé de partie, les vassaux des Nazis se détachèrent l'un après l'autre.
Le château de cartes du César s'effondra. Dans tous les pays, des mouvements de résistance surgirent contre les envahisseurs. En Allemagne, des Allemands se rendirent compte que leur patrie serait ruinée par ces fous et des hommes qui avaient occupé les plus hautes fonctions fomentèrent le complot du 20 juillet 1944 pour assassiner Hitler. Ce fut un effort désespéré de la part des forces intérieures pour empêcher l'Allemagne de rouler à l'abîme. Après l'échec de cette tentative, des divergences de vues s'élevèrent entre les conspirateurs et l'écroulement de la puissance nazie fut plus rapide que son ascension. Les forces allemandes se rendirent, leur gouvernement fut dissout, leurs chefs se suicidèrent par douzaines et, par la fortune de la guerre, ces accusés sont tombés entre nos mains. Quoiqu'ils ne soient pas les seuls responsables, ils appartiennent néanmoins aux survivants qui portent la plus lourde part de responsabilité. Leurs noms reviennent constamment dans les documents et leurs visages figurent sur les pièces à conviction photographiques. Nous avons ici les plus grands politiciens, militaires, financiers, diplomates, fonctionnaires et propagandistes survivants du mouvement nazi. Qui serait responsable de ces crimes, sinon eux ?
La capture de ces accusés a amené les Alliés vainqueurs à se demander si ceux qui étaient à la tête de l'Etat allemand sont responsables également des actes que je viens d'énumérer et de décrire.
La Cour de Justice Internationale est d'avis que la loi ne doit pas seulement servir à sanctionner la conduite des petites gens, mais aussi celle des rois. Les Etats-Unis estiment qu'il existe depuis longtemps des possibilités de mener une enquête juridique qui permettrait d'atteindre et de punir seuls les véritables coupables. S'inspirant des directives reçues du Président Roosevelt et des décisions de la conférence de Yalta, le Président Truman avait chargé les représentants des Etats-Unis d'élaborer le projet d'un accord international qui fut soumis pendant la conférence de San Francisco aux ministres des Affaires étrangères de Grande-Bretagne, de l'Union Soviétique et du Gouvernement Provisoire de la France. Après plusieurs rectifications, ce projet a été adopté et a donné naissance au statut de cette Cour de Justice.
L'accord qui établit les normes d'après lesquelles les accusés seront jugés, n'exprime pas seulement la conception des nations qui y ont souscrit, mais aussi celle d'autres nations dont la juridiction, quoique différente, s'inspire de principes éminemment respectables. Ces autres nations : la Hollande, le Danemark, la Norvège, la Tchécoslovaquie, la Pologne, la Grèce, la Yougoslavie, l'Ethiopie, les républiques de Haïti, de Honduras, de Panama et la Nouvelle-Zélande, ont approuvé les principes et les règles en vertu desquels seront jugés les grands criminels de guerre. Messieurs les juges, vous jugerez donc selon un statut qui incarne la sagesse, le sens de la justice et la volonté de l'appliquer de dix-neuf gouvernements qui représentent la quasi-totalité des nations civilisées.
Le statut sur lequel cette Cour de Justice fonde son activité incarne certaines conceptions juridiques qui sont inséparables de sa compétence et qui doivent intervenir dans ses décisions. Comme je l'ai déjà dit, c'est en vertu de telles conditions qu'elle peut se permettre de juger ces accusés. Les clauses du statut de cette Cour nous lient tous, que nous remplissions les fonctions de juge ou de procureur. Elles sont également applicables aux accusés, qui ne peuvent invoquer la faveur d'aucune autre législation. Mes collègues croient, comme moi, que le statut de ce tribunal contribuera à l'accélération et à l'éclaircissement du procès en cours. La promulgation de ce statut étant effective, les accusés voudront peut-être obtenir l'application de ces lois selon l'interprétation qui leur est la plus favorable, en prétextant que les nouveaux textes n'étaient pas en vigueur au moment où ils ont commis leurs crimes. Je ne peux naturellement pas nier que ces hommes soient pris au dépourvu devant cette découverte qu'il existe une chose telle que la loi.
Ces accusés ont voulu ignorer la loi. Leur programme a fait fi de toutes les lois. Ceci ressort d'un grand nombre d'actes et de déclarations dont je ne veux citer que quelques-uns. J'ai déjà fait allusion à la conception d'Hitler, qui a dit que le vainqueur est au-dessus du Droit. Dans l'allocution qu'il a adressée le 23 novembre 1939 à tous les chefs militaires, le Fùhrer a rappelé que l'Allemagne avait bien signé un traité avec la Russie, mais a ajouté : « On observe les traités aussi longtemps qu'ils peuvent servir. » Un peu plus loin, dans le même discours, Hitler a déclaré : « La violation de la neutralité de la Hollande et de la Belgique n'a guère d'importance » (document N° 189 PS, pages 5 et 11). Dans un document secret intitulé « La conduite de la guerre comme problème d'organisation », que le chef du commandement suprême de la Wehrmacht avait transmis le 19 avril 1936 à tous les commandants d'armée, on peut lire : « Les règles usuelles de la guerre édictées à l'égard des neutres ne doivent être prises en considération qu'aussi longtemps que leur application apporte de grands avantages ou des désavantages aux belligérants » (document N° 1 - 211, page 28 de la traduction). Et dans les documents de l'Etat-Major de la Marine de guerre allemande, nous trouvons un mémorandum sur la guerre navale du 13 octobre 1939 qui, dans son introduction, exprime le désir de respecter le droit international, mais proclame : « Si cependant des résultats décisifs doivent découler d'une mesure considérée comme nécessaire à la poursuite de la guerre, cette mesure doit être exécutée, même si elle n'est pas conforme à la loi » (document N° L 184, page 3). Le droit international, le droit naturel, le droit allemand, en somme n'importe quel droit, ne servait à ces hommes que dans la mesure où leur propagande pouvait l'utiliser. Ils parlaient de droit quand il leur était utile, et ils l'ignoraient quand il était contraire au but poursuivi. Que des hommes aient le droit d'être protégés par une loi sur laquelle ils s'appuient au moment de commettre un acte est un principe essentiel de notre conception du droit, selon laquelle les lois promulguées avec effet rétroactif sont injustes. Mais ces hommes ne peuvent pas invoquer ce principe. Pendant qu'ils étaient au pouvoir, ils ont souvent agi à l'encontre du droit international et, s'ils s'en sont préoccupés, c'était pour en tirer profit au détriment des autres peuples.
Le point N° 3 de l'acte d'accusation charge les inculpés de crimes de guerre, suivant la définition qui en est donnée dans le statut de cette Cour de Justice. Je vous ai exposé brièvement l'attitude que les accusés ont adoptée à l'égard de la population civile et des forces militaires, attitude selon laquelle les conventions internationales signées par l'Allemagne ont été systématiquement violées. Comme nous le prouverons, les accusés connaissaient parfaitement la nature criminelle de ces actes. Pour cette raison, ils se sont efforcés de tenir secrètes les violations du droit qu'ils ont commises. On verra que les accusés Keitel et Jodl ont appris de conseillers juridiques officiels que les ordres de marquer au fer les prisonniers de guerre russes, de ligoter les prisonniers de guerre britanniques et de tuer des prisonniers appartenant à des troupes de choc, représentaient des violations du droit international. Cependant, ces ordres ont été exécutés. Ceci concerne également des ordres qui ont été donnés en vue de l'assassinat des généraux Giraud et Weygand, ordres qui n'ont pas été exécutés grâce à une ruse de l'amiral Canaris, mis à mort ultérieurement pour avoir participé à l'attentat tramé contre Hitler le 20 juillet 1944.
Le point N° 4 de l'acte d'accusation porte sur les exécutions massives.
Est-ce que les accusés sont surpris d'apprendre que l'assassinat est considéré comme un crime ?
A ce crime, les points 1 et 2 de l'acte d'accusation ajoutent celui d'avoir projeté et mené des guerres d'agression en violation de neuf conventions que l'Allemagne avait signées. Il y avait un temps, je crois même que c'était à l'époque de la première guerre mondiale, où l'on n'eût pas pu dire que le fait d'avoir poussé à la guerre ou d'avoir voulu la guerre eût constitué un crime selon la loi, aussi condamnable que ce fût du point de vue moral.
D'après le droit des gens, c'était un crime d'assaillir un homme à coups de poing. Comment se faisait-il que lorsqu'un million d'hommes, au lieu d'un seul, employant en sus de leurs poings des armes à feu, se lançaient à l'attaque, comment se faisait-il, dis-je, que ce crime se fût transformé en un fait innocent selon la loi ? L'opinion générale était que les actes de violence habituels commis au cours des guerres menées en conformité avec le droit international, ne pouvaient être considérés comme des crimes. A l'époque de l'expansion impérialiste, au XVIIIe et au XIXe siècles, s'est affirmé le principe - d'ailleurs faux et en contradiction avec les enseignements d'anciens juristes comme par exemple celui de Grotius - que toutes les guerres étaient à considérer comme légitimes. Il en est résulté que les guerres ont fini par ne plus tomber sous le coup de la loi.
C'était inadmissible à une époque qui se prétendait civilisée, inadmissible aussi pour l'homme moyen. On a donc fini par demander que des limites soient fixées aux droits de la guerre. Des hommes d'Etat et des juristes de toutes les nations en ont prudemment tenu compte en élaborant des règles ayant pour objet de rendre illégaux les actes de violence dont ont été victimes la population civile et même les forces armées régulières.
Cependant, après la première guerre mondiale, les hommes de bon sens avaient demandé qu'une législation condamne plus sévèrement la guerre et qu'elle condamne non seulement les méthodes barbares des guerres modernes, mais encore les guerres d'agression ou les guerres dirigées contre la civilisation. Une fois de plus, les hommes d'Etat n'ont pas osé aller jusqu'au bout et se sont arrêtés en route. Ils ont été, dans leurs tentatives, trop timides, trop prudents et souvent trop confus. Cependant, après 1920, les guerres d'agression ont fini par être déclarées contraires à la loi.
Le principe selon lequel les guerres d'agression sont contraires à la loi a surtout été fixé dans le pacte Briand-Kellog conclu en 1928 et par lequel l'Allemagne, l'Italie, le Japon et presque toutes les nations du monde renonçaient à la guerre comme instrument de politique internationale, s'engageaient à chercher les moyens de régler à l'amiable les différends qui pourraient s'élever entre eux et déclaraient la guerre hors la loi en tant que moyen de régler des différends internationaux. Ainsi que l'avait déclaré en 1932 M. Stimson, ministre des Affaires étrangères des Etats-Unis, une telle guerre ne peut plus être ni le fondement, ni l'objet de droits ; elle ne peut plus être le moyen de défendre les traditions ou les droits d'une nation ; elle est tout simplement contraire à la loi.
Le protocole de Genève de 1924, relatif au règlement à l'amiable des différends internationaux, et signé par les représentants de quarante-huit gouvernements, a déclaré qu'une guerre d'agression était un crime international. Dans une résolution adoptée à l'unanimité par les représentants de quarante-huit Etats, y compris l'Allemagne, la huitième séance plénière de la Société des Nations a déclaré à son tour en 1927 qu'une guerre d'agression constituait un crime international. A la sixième conférence panaméricaine de 1928, les vingt et une républiques américaines ont adopté à l'unanimité une résolution disant que la guerre d'agression était un crime international commis contre l'humanité.
Le fait que ces accusés n'ont pas prêté assez d'attention ou n'ont pas compris l'importance de cette évolution n'est pas une excuse pour eux et n'est pas une circonstance atténuante. Au contraire, cela ne fait qu'aggraver leur cas et ne rend que plus nécessaire l'application de la loi tant décriée par eux.
En effet, en vertu des lois de leur propre pays - en admettant qu'ils les aient observées - les principes internationaux étaient valables pour les accusés. L'article 4 de la Constitution de Weimar prévoit que les règles qui découlent du droit des gens sont à considérer comme faisant partie intégrante du droit du Reich.
Recourir à la guerre, à n'importe quelle guerre, signifie avoir recours à des moyens qui, dans leur essence, sont criminels ; car elle représente inévitablement une série d'assassinats, d'agressions, d'attentats contre la liberté et d'atteintes à la propriété. Une guerre défensive est bien entendu légale et ceux qui la font conformément aux conventions et règles en vigueur ne se rendent pas coupables d'un crime. Il en va tout autrement pour les accusés. J'ai dit qu'il existait un accord qui interdisait les guerres d'agression et que ceux qui ont poussé à la lutte ou à la guerre se sont mis eux-mêmes hors la loi, et qu'obligatoirement ils doivent se soumettre à un jugement qui s'appuie sur les principes d'incrimination universellement reconnus.
Mais, même si l'on devait adopter le point de vue que le statut, dont les clauses nous lient, contient une nouvelle loi qui pourrait paraître paradoxale, je ne reculerais pas à en demander la stricte application par cette Cour de Justice. La force de la loi mondiale que les accusés, en la méconnaissant délibérément, ont bafouée et ridiculisée, a été rétablie au prix de plus d'un million de tués et de blessés rien que pour mon pays, sans parler des autres nations.
Il est vrai que le statut de la Cour n'est fondé sur aucun précédent juridique, mais le droit des peuples est plus qu'une collection savante de principes abstraits et immuables. C'est le résultat de conventions internationales et de coutumes reconnues. Cependant, chaque coutume a son origine dans un fait défini et pour chaque accord le terrain doit être d'abord préparé par l'intervention d'un Etat. A moins d'abandonner tous les principes d'évolution du droit des gens, nous ne pouvons nier qu'à notre époque nous avons le droit d'introduire des coutumes et de conclure des accords qui, à leur tour, deviendront la source d'un droit des gens nouveau et renforcé. Le droit des gens ne peut pas se développer selon la voie légale normale, car il n'y a pas d'organisme international durable de législation. Les innovations et les changements du droit des gens naissent des actes accomplis par les gouvernements pour tenir compte d'une situation nouvelle. Ce droit se développe, ainsi que cela s'est passé pour le droit commun, à la suite de décisions qui sont prises de temps en temps pour adapter les principes fixes aux situations nouvelles. Si la loi évolue de cas juridique en cas juridique, à l'instar du droit commun, et ainsi qu'il doit en être du droit des gens, si elle doit se développer, elle ne peut progresser qu'aux frais de ceux qui l'ont mal interprétée et qui ont reconnu trop tard leur erreur.
Les événements que j'ai déjà rapportés tombent sans aucun doute sous le coup de crimes définis par ce statut. Cette Cour de justice s'est réunie pour juger et pour punir, comme ils le méritent, ceux qui les ont commis. Les principes qui permettent d'établir les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité nous sont connus et ne nécessitent pas d'autres commentaires. Je voudrais cependant attirer votre attention sur quelques problèmes nouveaux posés par l'application d'autres prescriptions que comporte le statut.
Une clause fondamentale de celui-ci qualifie de crime le fait de projeter une guerre d'agression, de la préparer, de commencer ou de mener une guerre en violant les traités, les conventions et les accords internationaux ou de conspirer ou de prendre part dans ce dessein à un plan commun. C'est peut-être une faiblesse du statut qu'il ait négligé de définir la notion de « guerre d'agression ». En raison du sens abstrait du mot, toutes sortes de difficultés surgissent et toutes les hypothèses sont permises. On peut se demander si la défense peut se voir permettre de se fonder sur les imputations de l'accusation de prolonger le procès et de mêler la Cour de Justice à des différends politiques insolubles. Mais le problème n'est pas nouveau et a déjà donné lieu à des décisions qui ont pris force de loi. En l'espèce, une des sources les plus sûres du droit international pour la définition de la notion d'agression est la convention qui a été signée le 3 juillet 1933 à Londres, par la Roumanie, l'Estonie, la Lettonie, la Pologne, la Turquie, l'Union Soviétique, la Perse et l'Afghanistan. Ce sujet a été également traité par des comités internationaux et des juristes dont le point de vue mérite le plus grand respect. Avant la première guerre mondiale, il n'a pas souvent été débattu, mais depuis que le droit international a proscrit la guerre d'agression, il l'a beaucoup été. A la lumière des sentences du droit international et autant qu'il puisse être prouvé dans ce cas, je propose de qualifier d'agresseur l'Etat qui, le premier, commet un des actes suivants :
1°) déclaration de guerre à un autre Etat ;
2°) agression armée contre le territoire d'un autre Etat avec ou sans déclaration de guerre ;
3°) agression contre le territoire d'un autre Etat, à l'aide de forces terrestres, navales ou aériennes, avec ou sans déclaration de guerre ;
4°) mesures pour soutenir des bandes armées dans le territoire d'autres Etats, ou refus, malgré la demande du pays attaqué, de prendre des mesures dans son territoire, de retirer à ces bandes tout appui et toute protection.
Je pense qu'on estime en général que des considérations politiques, militaires, économiques ou autres ne doivent pas servir d'excuse ou de justification à de telles mesures, mais que s'il s'agit du droit de légitime défense, c'est-à-dire de s'opposer à un acte d'agression, ou d'une aide accordée à un Etat attaqué, on ne peut parler de guerre d'agression. C'est en nous basant sur cette interprétation de la loi que les preuves d'une conspiration qui avait pour but de provoquer et de mener une guerre d'agression, seront produites. En interprétant de la sorte chacune des guerres qui ont été déclenchées par les chefs nazis, on verra qu'elles constituent sans aucun doute une guerre d'agression.
Nous n'examinerons pas ici les conditions qui ont contribué à faire naître la guerre. C'est là la tâche de l'Histoire. Nous n'avons pas à justifier le statu quo de l'année 1933 ou de n'importe quelle autre date. Les Etats-Unis ne désirent pas entrer dans des débats sur les enchevêtrements de la politique européenne d'avant-guerre, et espèrent que ce procès ne sera pas prolongé pour en discuter. Ce qu'on donne comme en étant les causes profondes est trop malhonnête et trop contradictoire, trop compliqué et trop doctrinaire, pour qu'il puisse devenir l'objet d'un examen fructueux dans ce procès. Un exemple bien connu en est le slogan de l'« espace vital », qui laisse entendre que l'Allemagne a besoin de plus d'espace pour justifier son expansion. En même temps qu'ils demandent plus d'espace pour le peuple allemand, les Nazis demandent également plus d'Allemands pour remplir cet espace. Tous les moyens imaginables ont été employés pour accroître le nombre des naissances, qu'il s'agisse d'enfants légitimes ou non. La théorie de l'espace vital est un cercle vicieux en ce qu'elle consiste à demander aux voisins plus d'espace et aux Allemands plus d'enfants. Il ne nous appartient pas et nous n'avons pas besoin de chercher si une doctrine, qui a eu pour résultat que la sphère d'agression de l'Allemagne nazie s'agrandissait continuellement, est juste ou non. C'est le plan et le pacte d'agression que nous stigmatisons comme un crime.
Notre position est celle-ci : quelque grief qu'une nation puisse formuler, quelque injuste qu'elle puisse trouver le statu quo, les guerres d'agression représentent des moyens illégaux pour remédier à ces griefs et pour modifier une telle situation.
Il se peut que l'Allemagne, de 1920 à 1930 et même plus tard, se soit trouvée en face de problèmes difficiles qui auraient justifié les mesures les plus rigoureuses, mais pas la guerre. Toutes les autres méthodes - la propagande, la concurrence économique et la diplomatie - lui étaient accessibles. Les guerres d'agression étaient proscrites. Ces accusés ont cependant mené une guerre d'agression en violation des traités. Ils ont attaqué leurs voisins et sont entrés dans leurs pays, pour mettre en pratique une politique extérieure dont ils savaient que seule la guerre pouvait permettre de la mener à bien. C'est cela que notre accusation proclame, et c'est là-dessus que nous voulons faire la lumière.
Le statut de cette Cour constate également la responsabilité personnelle de ceux qui commettent des actes qualifiés de crimes, ou qui poussent d'autres à les commettre ou qui s'associent à d'autres personnes et organisent des groupements et des formations pour exécuter ces actes en commun. Le principe de la responsabilité personnelle pour la piraterie et le vol sur les grands chemins, qui ont été reconnus depuis longtemps par le droit des gens comme des crimes passibles d'être punis, est très ancien et bien fondé. Il en est de même de la conduite d'une guerre illégale. Ce principe de la responsabilité personnelle est aussi nécessaire que logique, si le droit des gens doit servir au maintien de la paix. Un droit des gens qui ne se rapporte qu'à des Etats, ne peut être pratiqué que par la guerre, parce que la méthode la plus efficace pour exercer une pression contre un Etat est la guerre.
Ceux qui connaissent l'histoire des Etats-Unis savent que l'une des causes à l'origine de notre constitution a été que les lois de l'Union, auxquelles n'étaient soumis que les Etats membres, ne se sont pas révélées efficaces pour le maintien de l'ordre. Devant l'illégalité, il ne restait que l'impuissance ou la guerre. Seules les sanctions qui touchent des individus peuvent être appliquées d'une façon pacifique et cependant efficace. Et c'est pourquoi le principe du châtiment de la guerre d'agression sera complété par celui de la responsabilité personnelle. Naturellement, l'idée qu'un Etat puisse commettre un crime n'est qu'une fiction, de même que la perpétration d'un crime par une communauté. Les crimes sont toujours commis par des individus. Mais alors qu'il est permis d'établir la responsabilité fictive d'un Etat ou d'une communauté, il serait tout à fait inadmissible de faire de cette jurisprudence la base de l'impunité personnelle.
Le statut précise donc que nul, s'il a commis un crime, ne peut prendre pour prétexte qu'il en a reçu l'ordre d'une autorité supérieure ou que ce crime a été un acte d'Etat. Ces deux prétextes ont eu jusqu'à présent pour résultat que presque tous ceux qui avaient pris part à de véritables crimes contre la paix et l'humanité devaient rester impunis. Les subordonnés échappaient à leur responsabilité parce qu'ils étaient couverts par les ordres de leurs supérieurs, et les supérieurs arguaient que leurs ordres devaient être considérés comme des actes d'Etat. Avec le nouveau statut, toute défense qui se basera sur une de ces deux théories sera rejetée. La civilisation moderne a mis entre les mains des hommes des armes d'une puissance de destruction incommensurable. L'humanité ne peut plus tolérer que, dans un domaine immense, personne ne soit responsable devant la loi.
La juridiction militaire allemande prévoit elle-même que si, par suite de l'exécution d'un ordre dans le service, une loi pénale est violée, le supérieur qui a donné cet ordre est seul responsable. Le subordonné qui a exécuté l'ordre est cependant puni pour y avoir participé dans les deux cas suivants :
1°) s'il a dépassé l'ordre qui lui a été donné
2°) s'il est sensé savoir que l'ordre qui lui a été donné se rapporte à un acte qui avait pour but un crime ou un délit civil ou militaire (Reichsgesetzblatt 1926 Nr. 37, page 218, article 47).
Naturellement, nous ne prétendons pas que les circonstances dans lesquelles un acte a été commis ne doivent pas être prises en considération pour juger de ses conséquences juridiques. Un simple soldat qui fait partie d'un peloton d'exécution ne peut pas demander une enquête judiciaire sur la légalité de l'exécution. Le statut veut donc que les limites soient fixées par le simple bon sens à la responsabilité comme à l'irresponsabilité, mais aucun des hommes que vous voyez devant vous n'a joué un rôle de subordonné. Chacun d'eux avait une grande liberté d'action et une grande autorité. En conséquence, leur responsabilité est grande et ne peut pas être rejetée sur un organisme fictif tel que l'État, qui ne peut ni passer en justice, ni faire des dépositions, ni être condamné. Le statut de la Cour reconnaît, en conformité avec la plupart des jurisprudences modernes, le principe de la responsabilité partagée pour des actes qui ont été commis par d'autres en exécution d'un plan commun ou d'une conspiration commune, auxquels l'accusé a pris part. Je n'ai pas besoin d'exposer ici les principes de ce degré de responsabilité, ils sont connus. Journellement, les cours de justice des pays qui prennent part à ce procès condamnent des hommes pour des actions qu'ils n'ont pas faites personnellement, mais desquelles ils ont été rendus responsables parce qu'ils ont été chefs d'associations illégales ou parce qu'ils ont participé à des plans et à des conspirations de caractère illégal.
Devant cette Cour de Justice sont accusées certaines formations politiques et policières qui, comme le démontreront les pièces à conviction, étaient des organes de liaison dans les plans et l'exécution des crimes que j'ai énumérés.
Les pires de ces organismes étaient sans doute, après le gouvernement national-socialiste, les SS, les SA et les formations qui y étaient affiliées. Ce furent les groupes de police et d'espionnage du Parti Nazi. Ils représentaient le véritable gouvernement et étaient placés au-dessus de toutes les lois. En plus de ces organisations, nous accusons la Police Secrète d'Etat ou Gestapo qui, bien qu'étant nominalement une institution gouvernementale, dépendait complètement du Parti.
Sauf à la fin de la guerre, époque à laquelle la SS avait opéré des recrutements forcés, les adhérents de toutes les formations paramilitaires étaient des volontaires. Ces unités étaient formées de partisans enthousiastes qui se présentaient aveuglément pour l'exécution des missions malpropres que leur Fiihrer avait projetées.
Le cabinet du Reich n'était qu'une façade officielle derrière laquelle se dissimulait le Parti et c'est parmi ses membres qu'il faut chercher la responsabilité véritable de l'exécution de tout son programme. Les ministres étaient solidairement responsables de l'exécution du programme dans son ensemble. Individuellement, ils étaient responsables de l'exécution de la partie du programme dont ils étaient spécialement chargés. Le verdict que nous vous demandons de prononcer sur ces organisations criminelles entraînera le châtiment de tous ceux de leurs membres que les cours de justice intéressées jugeront ultérieurement, à moins qu'une excuse valable puisse être constatée comme, par exemple, l'adhésion au Parti sous menace contre la personne ou sa famille, ou que cette adhésion a été obtenue par des propos mensongers ou toute autre manœuvre propre à contraindre les individus à se plier à la volonté du Parti. Au cours des audiences futures, chaque membre aura l'occasion de s'expliquer sur ses relations personnelles avec les organisations en question. Cependant, le jugement constatera une fois pour toutes le caractère criminel des organisations en question dans leur ensemble.
Nous avons également mis en cause le commandement suprême et l'Etat-Maj or de la Wehrmacht. Nous savons que dans chaque pays, il incombe aux soldats de carrière d'établir des plans pour la conduite de la guerre. Il y a cependant une grande différence entre les projets d'opérations stratégiques établis en prévision d'une guerre et le fait de la provoquer par des intrigues. Nous prouverons que les chefs de l'Etat-Major allemand et du Commandement Suprême se sont précisément rendus coupables de cela. Les personnalités militaires ne se trouvent pas dans cette enceinte, parce qu'elles ont rendu des services à leur pays. Elles y sont parce que, de concert avec les autres, elles ont dirigé le pays et l'ont entraîné dans la guerre. Elles ne sont pas non plus ici parce qu'elles ont perdu la guerre, mais parce qu'elles l'ont commencée. Il se peut que les politiciens les aient considérées comme des soldats, mais les soldats savent qu'elles étaient des politiciens. Conformément aux termes de l'acte d'accusation, nous demandons que l'Etat-Major et le Commandement Suprême soient condamnés comme un groupe de criminels, dont l'existence et la tradition représentent une menace perpétuelle pour la paix mondiale. Les accusés qui sont ici présents ne sont pas les seuls coupables et ils ne seront pas les seuls à être châtiés. Votre verdict contre ces organisations déclarera coupables à priori des milliers et des milliers de leurs membres qui se trouvent entre les mains des armées américaines et alliées.
Cette Cour de Justice s'est vue confier la tâche d'appliquer les peines prévues par la loi aux personnes dont la conduite aura été considérée comme criminelle pour les raisons que j'ai invoquées.
C'est la première Cour de Justice qui ait jamais assumé la lourde tâche de surmonter les difficultés créées par le fait que plusieurs langues y sont employées et que des conceptions divergentes sur une cause juste soient confrontées pour aboutir à un verdict commun. Les tâches devant lesquelles nous nous trouvons placés exigent beaucoup de patience et beaucoup de bonne volonté. Quoique le besoin d'agir rapidement n'ait pas permis d'établir un acte d'accusation complet, les quatre grandes puissances ont procuré au ministère public des pièces à conviction en quantité suffisante.
Ce qui n'a pas été révélé par des documents, nous ne pouvons que le présumer. En nous basant sur les dépositions des témoins, nous pourrions prolonger de plusieurs années l'énumération des crimes. Mais à quoi bon ? Nous ne demanderons plus des témoignages à charge et nous n'accumulerons pas des preuves inutiles puisque nous avons de quoi prouver les crimes qui font l'objet de l'accusation. Nous ne croyons pas qu'on puisse mettre en doute que les crimes que j'ai invoqués aient été vraiment commis. Certainement, on tentera d'affaiblir la responsabilité personnelle des uns ou des autres et peut-être même de les déclarer complètement irresponsables.
Parmi les nations qui accusent ces hommes, ce sont les Etats-Unis qui sont probablement le plus aptes à juger des faits avec le moins de passion. Comme ils ont subi moins de dommages, ils éprouvent peut-être moins de haine. Nos villes américaines n'ont pas été continuellement bombardées. Nos églises n'ont pas été mises en ruines, nos concitoyens n'ont pas eu leurs maisons détruites. A l'exception de nos soldats, la menace nous est apparue moins grave et moins directe qu'aux peuples européens. Mais si les Etats-Unis ne sont pas les plus irrités, ils ne sont pas moins résolus que les autres Etats à ce que la loi et l'ordre soient en mesure d'éviter à tout jamais le retour de semblables illégalités. Au cours de ma vie, j'ai vu à deux reprises les Etats-Unis envoyer leurs jeunes gens au delà de l'Océan Atlantique, ma patrie se priver de ses richesses minières et s'endetter pour aider à vaincre l'Allemagne. Mais ce qui a soutenu le peuple américain dans ces efforts gigantesques, ce fut l'espoir et la foi que la victoire des Alliés et la nôtre nous permettraient de jeter les fondements de relations internationales harmonieuses et destinées à mettre fin aux siècles de luttes dont le continent européen a été le théâtre.
A deux reprises, nous nous sommes abstenus dans le premier stade du conflit européen dans l'espoir qu'il pourrait être limité aux affaires purement européennes. Nous avons essayé d'établir une économie sans armement, un système de gouvernement sans militarisme et une société dans laquelle les hommes ne sont pas entraînés obligatoirement pour la guerre. Nous savons maintenant que cet objectif ne sera jamais atteint tant que dans le monde des pays resteront aux prises et seront susceptibles d'user de la force pour atteindre leurs buts.
Les Etats-Unis ne peuvent pas à chaque génération engager leur jeunesse sur les champs de bataille d'Europe pour rétablir l'équilibre entre l'Allemagne et ses ennemis et pour tenir la guerre loin de nos côtes. Le rêve américain de paix et de prospérité et les mêmes espoirs des autres nations ne pourront jamais se réaliser, si chaque génération de ces nations est mêlée régulièrement à une guerre dévastatrice au point de terrasser la génération qui lutte et d'affecter gravement la génération suivante.
Mais l'expérience a également montré que les guerres ne se laissent plus localiser. Toutes les guerres modernes aboutissent finalement à des guerres mondiales et il n'est pas possible à une grande nation d'éviter d'être entraînée. Si nous ne pouvons pas éviter d'être mêlés à la guerre, il reste l'espoir de la prévenir. Je me rends trop bien compte des faiblesses d'une intervention purement juridique pour prétendre que la décision prise d'après ce seul statut peut empêcher toute guerre future. Les procédures juridiques suivent toujours le fait accompli. On n'entreprend des guerres que lorsqu'on croit pouvoir les gagner. Menacer les fauteurs de guerre de sanctions sur leur personne s'ils perdent la guerre n'est pas un moyen suffisant pour l'empêcher, si les agresseurs estiment que le danger d'une défaite est minime.
Mais le dernier moyen d'empêcher le retour continuel de guerres qui seront inévitables tant qu'existera un système d'illégalités internationales, est de rendre les hommes d'Etat responsables devant la loi. Et laissez-moi spécifier que cette loi qui sera appliquée d'abord à l'Allemagne le sera à toute autre nation, y compris celle qui mène ici les débats. La seule façon d'en finir avec les tyrans, la force et les agressions est de soumettre tous les hommes à la même loi. Ce procès est un effort désespéré de l'humanité pour appliquer la loi à des hommes qui ont abusé de leur pouvoir pour ébranler les fondements de la paix mondiale, et violer les droits de leurs voisins.
Ce procès fait partie des efforts accomplis pour assurer la paix à l'avenir. Le premier pas fait dans cette direction est l'organisation des Nations Unies qui pourront prendre ensemble des mesures diplomatiques pour éviter la guerre.
Ce statut et ce procès complètent l'accord Briand-Kellogg et vont même un peu plus loin en créant des pouvoirs juridiques qui permettent de rendre personnellement responsables ceux qui ont provoqué une guerre. Quoique les accusés et les accusateurs publics ici présents soient des personnes individuelles, il ne vous appartient pas, Messieurs les Juges, de faire triompher l'un de ces deux groupes. Au-dessus de toutes ces personnalités se trouvent des puissances anonymes et impersonnelles dont les conflits font une grande partie de l'histoire de l'humanité. Il vous appartient de protéger par application de la loi l'une ou l'autre de ces puissances et ceci, au moins pour une nouvelle génération.
Quelles sont les véritables forces qui se trouvent devant vous ? Aucun sentiment d'amour du prochain ne peut changer ces accusés, ces forces qui tireraient leur profit de votre verdict s'il leur était favorable et qui se réjouiraient de celui-ci, sont celles de la dictature et de l'oppression, de la méchanceté et de la passion, du militarisme et des hors la loi. C'est à leurs fruits que vous les reconnaîtrez. Leurs actes ont plongé le monde dans le sang et ont retardé d'un siècle la marche de la civilisation. Elles ont infligé à l'Europe toutes les tortures et toutes les, violences ; elles lui ont fait subir tous les pillages que la cruauté, la cupidité et l'insolence ont pu dicter. Elles ont mené le peuple allemand au plus bas échelon de la misère. Elles ont semé partout la haine et la violence. Voici les forces qui se trouvent sur le banc des accusés, incarnées par ces hommes-là. La véritable accusatrice est la civilisation. Dans tous nos pays, elle est toujours une idée imparfaite et qui cherche sa voie. Elle ne prétend pas que les Etats-Unis ou quelque autre pays n'aient rien à voir dans les circonstances qui ont fait du peuple allemand une victime facile des flatteries et des intimidations des conspirateurs nazis. Mais elle attire l'attention sur les conséquences effroyables des attaques et des crimes que j'ai décrits. Elle attire l'attention sur l'affaiblissement physique, sur l'épuisement des sources de revenu et sur la destruction de tout ce qui avait été si beau et si utile dans de si nombreuses parties du monde et sur la possibilité de destruction encore beaucoup plus grande à l'avenir. Au milieu des ruines de cette ville antique et belle, où des milliers de personnes se trouvent encore enterrées sous les décombres, on n'a pas besoin de chercher longtemps des arguments pour appuyer l'idée que le fait de préparer et de mener une guerre d'agression est, au point de vue moral, le pire des crimes.
Les accusés n'ont plus qu'un seul espoir, celui que le droit des gens soit resté tellement en retard sur le sens moral de l'humanité qu'un crime, selon la conscience, ne soit pas considéré comme tel devant la loi.
La civilisation se demande si la justice est tellement arriérée qu'elle se trouve complètement impuissante devant des crimes d'une telle ampleur et commis par des criminels d'une telle envergure. La question n'est pas de savoir comment rendre la guerre impossible, mais comment une procédure, fondée sur le droit des gens, pèsera dans la balance pour préserver désormais la paix et pour permettre aux hommes et aux femmes de bonne volonté de vivre libres et sous la protection de la loi.
[Source: Service d'information des crimes de guerre. Le Procès de Nuremberg, Exposés introductifs. Paris: Office français d'édition, 1946. 140 p.]
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