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22feb04
Aider Haïti.
Dans la crise haïtienne, la France a donné le signal qui va s'avérer déterminant : la première, elle juge que la situation ne trouvera de dénouement qu'avec le départ du président Jean-Bertrand Aristide. Puis, après trois jours de réflexion, les Etats-Unis vont suivre : ils apportent leur poids politique et diplomatique à la solution suggérée par Paris.
Et ce curieux tandem franco-américain, formé au lendemain de la brouille irakienne, va entraîner l'ONU : le Conseil de sécurité a voté, dimanche soir 29 février, une résolution sur l'envoi en Haïti d'une force internationale, dont les premiers contingents étaient déjà en route... Le droit d'ingérence en action, en somme ; la communauté internationale réagissant au rythme de la crise ; bref, un "modèle" d'action coordonnée face à un drame qui, pour des raisons historiques, géographiques et politiques, intéresse au premier chef les Etats-Unis et la France.
On pourrait s'en féliciter. On pourrait saluer une volonté de favoriser un processus politique sain en Haïti, après le pouvoir corrompu, autocratique et incompétent d'un Aristide pourtant démocratiquement élu. On devrait esquisser les prémices d'un avenir un peu moins misérable pour les huit millions et demi de Haïtiens. Mais le passé, le plus récent notamment, inspire la prudence.
Car si la communauté internationale est amenée à intervenir une fois de plus en Haïti, c'est parce qu'elle a failli précédemment. Si les Etats-Unis, la France et le Canada - les trois pays qui dépêchent des forces d'urgence en Haïti, en attendant un contingent de casques bleus - ne comprennent pas que le mal haïtien relève d'une thérapie à long terme, ils devront très vite retourner d'urgence sur l'île. A l'occasion d'une nouvelle crise, comme en 1994.
Alors, l'administration Clinton, à grand renfort de publicité, lançait l'opération "Restore democracy" en Haïti : 20 000 soldats américains ramenaient à Port-au-Prince un Aristide qui en avait été chassé par un putsch trois ans et demi plus tôt. Alors, les Etats-Unis parlaient d'une assistance militaire, économique et politique qui allait changer la donne.
Il n'en fut rien. Consternés par l'ampleur de la tâche, découvrant la faiblesse des élites locales, réalisant la faillite de l'Etat haïtien, les Etats-Unis vont très vite repartir. Ils repassent le patient à l'ONU, à l'Organisation des Etats américains, enfin à qui veut bien s'occuper d'un cas apparemment désespéré. Leur succédera un vague contingent de casques bleus - notamment venus du Bangladesh - dont une des premières préoccupations sera de vendre leurs armes aux milices locales...
De cette piteuse prestation américaine se dégage un enseignement de base: l'assistance à Etat en faillite - raté, voyou ou les deux à la fois - est une affaire de longue haleine. Elle requiert une présence continue, sous mandat onusien renouvelé. Elle ne peut dépendre d'un changement de majorité.
La leçon vaut pour Washington, et pour Paris, s'agissant d'un Etat qui fait partie de notre histoire.
[Source: L'éditorial, Le Monde, París, 01mar04]
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