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DERECHOS


20avr05

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Communiqué concernant le jugement de l'affaire Scilingo
en matière de crimes contre l'humanité.


Ce communiqué fait suite à l'analyse du Jugement No. 16/2005 rendu lors de l'affaire Scilingo, qui a été lu en audience publique par l'Audiencia Nacional de Madrid le 19 avril 2005, plus précisément par la Troisième Section de la Division Pénale, composée des Juges D. Fernando García Nicolás, Président, D. Jorge Campos Martinez, et D. José Ricardo de Prada Solasea, chargé de rédiger le jugement.

La totalité du jugement a été saisie et éditée, avec un index de lecture élaboré par notre équipe, qui se trouve dès à présent en ligne, sur notre page spécialisée sur "l'affaire Scilingo". Ce document sera à présent accessible à tous, et en particulier aux défenseurs des droits de l'Homme et aux organisations de défense des droits de l´Homme et de sauvegarde de la paix.

Bien qu'il ne s'agisse que d'une coïncidence historique, rappelons que ce jugement concernant les crimes contre l'humanité a été publié le 19 avril, date à laquelle le monde se souvient des victimes du soulèvement du ghetto de Varsovie. Cela coïncide également avec les nombreux hommages rendus en mémoire du 60ème anniversaire de la libération des camps National-Socialistes, dans lesquels, comme pour l'affaire qui nous occupe, des ressortissants espagnols faisaient également partie des victimes. Nous profitons de cette occasion pour leur rendre hommage à tous.

En gardant ces considérations en mémoire, nous déclarons :

En lien avec le jugement :

1) Que le jugement, qui a reconnu que des crimes contre l'humanité ont été perpétrés dans cette affaire, représente une avancée importante dans l'Histoire du Droit espagnol dans la mesure où, pour la première fois, il applique des principes de droit international d'une manière systématique, rationnelle, et sous plusieurs aspects, ayant une importance toute particulière.

2) Que le jugement examine en détail les éléments de ce type de crimes, permettant ainsi de comprendre de manière précise la signification de ces crimes, et comment cette catégorie de crimes doit être appliquée par les juridictions nationales, autrement dit, comment juger les crimes contre l'humanité en droit interne.

3) Que le jugement définit ces crimes sur la base de la jurisprudence développée dans les affaires traitées par le Tribunal Pénal International pour l'ex-Yougoslavie. Ce tribunal a réalisé une mise à jour et une systématisation du droit international en matière de crimes contre l'humanité et de crimes de guerre.

4) Que le jugement constitue une base solide pour l'application du principe de la responsabilité pénale individuelle dans une juridiction nationale ordinaire, qui affecte ceux qui sont responsables de ces crimes.

5) Que nous considérons qu'il constitue un arrêt de principe en matière de défense des droits de l'Homme, du droit international des droits de l'Homme et en matière de lutte contre les modèles d'impunité.

En lien avec la sentence :

6) Le jugement affirme que les preuves n'établissaient pas qu'Adolfo Scilingo était membre des Forces de Travail de l'ESMA, le principe d'organisation criminelle n'a par conséquent pas été envisagé. La cour a donc condamné l'accusé uniquement pour les crimes auxquels il a directement participé, considérant par la même occasion qu'il s'agissait de crimes contre l'humanité. Bien que nous comprenions les raisons ayant mené à cette décision, nous persistons à croire que le condamné est responsable des actes commis par ce groupe opérationnel.

Nous pensons nécessaire de préciser que cet argument a été soulevé uniquement par l'accusation populaire de l'Association Argentine pour les Droits de l'Homme à Madrid, représentée par Maître Antonio Segura (et fut ensuite soutenue par l'action populaire de l'IU et l'action privée de Graciela Palacios de Lois, au moment où ces parties devait rendre leurs conclusions finales). De plus, l'argument a été expressément opposé par les autres actions populaires et privées. Cela peut être constaté dans les minutes officielles de la 43e session du procès, ainsi que dans les conclusions définitives écrites soumises par les parties. Le texte complet de ces documents est disponible sur la page web de Equipo Nizkor consacrée à ce procès.

7) Bien qu'en accord avec l'analyse du crime de génocide tel qu'il est expliqué dans le jugement, nous exprimons notre ferme conviction que ce type de violation du droit international ne peut être soutenu au vu des faits avérés, étant donné qu'il est ici impossible de prouver le mens rea (élément intentionnel) requis pour cette catégorie de violation, et prenant également en considération le fait que cette catégorie de crime est apparue pour condamner le droit pénal racial tel qu'il fut utilisé par le national-socialisme pour justifier une partie de ses crimes.

Nous souhaitons également préciser que, après le crime d'agression ou crime contre la paix, qui est le plus grave sur l'échelle des crimes internationaux, la commission des crimes contre l'humanité constitue la violation reconnue la plus grave du droit international incluant le crime de génocide, parmi d'autres crimes et violations. Il est erroné d'argumenter de manière différente, et aurait pour résultat de confondre les victimes et l'opinion publique.

8) Nous sommes d'accord avec l'analyse du crime de terrorisme par la cour. Bien que les Etats puissent commettre des actes terroristes, les cas de répression systématique comme en Argentine ou dans d'autres pays constituent des crimes contre l'humanité. Se servir de la définition de terrorisme dans ce cas signifierait confondre les catégories de crimes, ainsi que la responsabilité des Etats lorsqu'ils sont confrontés à des actes de cette nature. Accepter ce raisonnement signifierait une dévaluation inacceptable du concept de violations graves des droits de l'Homme.

En lien avec les victimes :

9) Nous considérons que le jugement constitue non seulement une forme de protection efficace des victimes de crimes contre l'humanité, mais représente également un précédent par rapport à la façon d'articuler la juridiction pénale internationale au sein d'une juridiction nationale, constituant ainsi un instrument utile en matière de lutte contre l'impunité.

10) Nous sommes d'accord avec la déclaration d'Antonio Cassese, mentionnée dans le jugement, que "dans l'analyse du problème de la catégorisation des crimes, il faut souligner que le principe classique de droit pénal nullum crimen, nulla poena sine lege, s'exprime en droit international tel que nullum crimen sine iure, ce qui permet une interprétation beaucoup plus large des exigences requises pour ce principe, de telle sorte qu'un crime peut être catégorisé comme tel par le droit international, même s'il ne serait pas considéré comme un crime d'après le droit interne."

11) Nous sommes d'accord avec la déclaration selon laquelle "en complément de, et peut-être suite à un argument différent, nous croyons utile de se référer au texte de l'article 7 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales, relatif au principe de droit pénal, qui établit que :

'1. Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d'après le droit national ou international. De même il n'est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été commise.

2. Le présent article ne portera pas atteinte au jugement et à la punition d'une personne coupable d'une action ou d'une omission qui, au moment où elle a été commise, était criminelle d'après les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées.'"

12) Au cas où il ne serait pas possible de condamner les perpétrateurs de ces crimes devant la juridiction nationale, nous nous trouverions dans la situation absurde où le criminel serait immunisé simplement en traversant une frontière. Nous pensons que le principe Nullum crimen sine lege ne devrait pas prévaloir lorsque la conséquence de son application entraînerait une telle immoralité qu'elle laisserait impunis les crimes d'une extrême gravité.

13) Nous voudrions observer que ce jugement n'est pas définitif et qu'un recours en cassation peut être introduit près la deuxième chambre de la cour suprême espagnole par le défendeur, dans l'exercice légitime de son droit à la défense.

Notre participation :

14) Equipo Nizkor a réalisé la numérisation du dossier 19/97 ("Sumario 19/97) , en photographiant intégralement la partie principale du dossier comprenant 104 volumes. Equipo Nizkor a également photographié une sélection de documents parmi les 183 volumes qui constituent la Pieza Separada (dossier probatoire déclaré secret pendant l'instruction, et rendu public à la fin de l'instruction) du procès. Ces photographies ont été prises suite à une analyse du dossier par une équipe d'experts en droit international des droits de l'Homme et en crimes de guerres, dirigée par Equipo Nizkor. Ces volumes n'étaient pas accessibles par les parties au procès jusqu'à ce que l'instruction soit terminée. Au total, plus de 30.000 fichiers ont été créés.

15) Equipo Nizkor a préparé l'unique accusation qui a été présentée, en utilisant la définition de crimes contre l'Humanité, fondée sur le droit international des droits de l'Homme, ainsi que les documents de preuves soutenant cette accusation. Nous sommes par conséquent très satisfaits de l'issue du procès, et nous voudrions exprimer notre gratitude en particulier pour le soutien des membres et volontaires de notre association, car sans leurs efforts, leur soutien et leur solidarité, nous n'aurions pas pu atteindre notre objectif.

Madrid, le 20 avril 2005
Equipe Nizkor

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