EQUIPO NIZKOR |
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01avr09
Premier témoignage de survivants du camp de concentration de Mauthausen devant la justice espagnole.
Communiqué de l'Equipo Nizkor
1) Le 30 mars 2009, le juge titulaire du Tribunal central d'instruction numéro 2 de la Audiencia Nacional, Ismael Moreno, a recueilli les dépositions de deux survivants du camp d'extermination de Mauthausen dans le cadre de la procédure entamée à la suite de la plainte dirigée et préparée par l'Equipo Nizkor et présentée par des victimes et des familles de victimes. C'est la première fois en plus de 60 ans que des victimes espagnoles du national-socialisme témoignent devant une instance judiciaire espagnole.
Jesús Tello (gauche)
et Ramiro SantistebanJesús Tello:
Carte d'interne de MauthausenRamiro Santisteban:
Carte de déporté2) Jesús Tello à été le premier à témoigner devant le juge. Il avait été déporté d'Angoulême avec son père, sa mère, ses cinq frères et sa sœur, dans le train en partance pour Mauthausen historiquement connu comme le « convoi des 927 », d'après le nombre d'Espagnols qui s'y trouvaient. Ce convoi arriva à Mauthausen le 24 août 1940. Jesús Tello et son père entrèrent dans le camp en même temps que plus de 400 Espagnols. Le reste des membres de la famille fut renvoyé. Après un voyage de 17 jours marqué par de nombreux problèmes, ils arrivèrent sur le territoire espagnol.
3) Le deuxième survivant qui a témoigné devant le juge Ismael Moreno est Ramiro Santisteban, qui a témoigné en qualité de plaignant. Ramiro Santisteban est arrivé à Mauthausen le 6 août 1940 dans un train de prisonniers de guerre (en anglais : POW) dans lequel se trouvaient des Espagnols de divers rangs. Ces Espagnols avaient été sélectionnés auparavant dans des camps d'internement pour prisonniers de guerre sur le territoire allemand. Il rentra également dans le camp en compagnie de son père.
4) Ces deux témoignages ont été sélectionnés car ils font partie de deux catégories différentes du point de vue pénal. Dans un cas, il s'agit d'un prisonnier de guerre ; nous avons donc affaire à une violation flagrante des lois et coutumes de guerre en vigueur à l'époque, ce qui constitue au minimum un crime de guerre du point de vue pénal. Dans l'autre cas, il s'agit d'un mineur faisant partie d'un ensemble familial, ce qui correspond clairement à la catégorie de crimes contre l'humanité. Il ne fait aucun doute du point de vue juridique que l'objectif du camp de Mauthausen était l'extermination de personnes par diverses méthodes.
5) Les témoins ont été interrogés par une des avocates de l'Equipo Nizkor, Antonia Macías, sur base d'un questionnaire dont le but précis était de démontrer que Mauthausen était un camp d'extermination, que les SS Totenkopf étaient les responsables de ce camp et qu'ils avaient en outre une méthode d'extermination systématique. Pour confirmer de manière précise les méthodes d'assassinats utilisées dans le camp, et dans cette seule optique, quinze photos ont été présentées aux témoins. Elles ont été mises en rapport avec les méthodes d'extermination inclues dans le « Rapport Cohen », qui fut utilisé comme preuve devant le Tribunal international de Nuremberg. Les méthodes reconnues par les témoins ne sont donc rien de plus que la confirmation de faits ayant été prouvés par le Tribunal de Nuremberg.
Les avocats présents pour les plaignants en qualité de plaignant individuel ( acusación particular ), qui sont au nombre de 18 pour le moment, ont été : Antonia Macías, Miguel Ángel Muga et Antonio Segura. Lors du recueil des dépositions Javier García, avocat de la Fundación Acción Pro Derechos Humanos (représentée en qualité de plaignant collectif - acusación popular), était également présent.
6) Le Ministère public, représenté par les procureurs Pedro Martínez Torrijos (qui était présent lors des deux témoignages) et Juan Moral de la Rosa (qui était présent lors du témoignage de Ramiro Santisteban), s'est contenté de formuler quelques questions portant sur des généralités ayant eu lieu dans les camps. A aucun moment ils ne sont intéressés au fait que les accusés dans la plainte aient été identifiés. En effet, étant donné la catégorie de crimes, cette question spécifique n'aurait aucun sens pour la procédure. Le magistrat-juge ( magistrado-juez ) ne posa pas non plus de questions à ce sujet.
7) Pour les représentants juridiques de la plainte, le témoignage a été un succès, car les témoins, malgré leur âge, ont fait preuve de lucidité et ont systématisé les faits, leur déclaration cadrant totalement avec les faits prouvés dans la plainte.
Démenti d'informations parues dans la presse
8) Malgré notre avertissement clair lancé aux journalistes présents à la Audiencia Nacional quant à notre désapprobation du traitement informatif de l'affaire depuis la présentation de la plainte, nous avons trouvé plusieurs affirmations reproduites dans plusieurs médias qui, dans certains cas, sont totalement fausses, et dans d'autres cas, sont le fruit d'une méconnaissance manifeste du type de plainte et des délits commis par le régime national-socialiste, particulièrement par les SS Totenkopf.
Le cas des photos inexistantes :
9) Etant donné l'importance conceptuelle des affirmations faites, nous répondrons en particulier à celles publiées par :
a) Journal El Mundo, article signé par Joaquín Mando, lundi 30 mars 2009, dans lequel il est écrit : « Mais ils n'ont pas pu reconnaître physiquement les membres des SS ; leur image leur a été montrée sur des photographies vieilles de plus de soixante ans. »
b) Journal El País, article signé par J. Yoldi, le 31 mars 2009, où il dit : « Cependant, ni Santisteban - qui a dit que c'était un grand jour pour se remémorer et honorer ses compagnons décédés qui n'eurent pas sa chance - ni Jesús Tello, 85 ans, témoin lui aussi devant Moreno, n'ont reconnu aucun des quatre accusés comme étant les geôliers qui les avaient gardés lors de leur captivité à Mauthausen. »
c) Journal ABC, signé par S.N., publié le 31 mars 2009, où il est dit que : « Aucun des deux témoins n'a pu reconnaître les officiers du camp sur la photo. »
10) L'allégation selon laquelle des photos des quatre accusés - Johann Leprich, Anton Tittjung, Josias Kumpf et Ivan (John) Demjanjuk - ont été présentées aux témoins est tout simplement fausse. La déclaration selon laquelle des photos d' « officiers du camp » leur ont été présentées est manifestement fausse.
11) Nous ignorons si cette information provient d'une source, mais il est évident qu'elle ne peut pas venir des procureurs présents lors de la déclaration des témoins car ils savent parfaitement ce qu'il s'y est passé et quelles photos ont été présentées aux témoins.
Ce type d'information ne peut être considéré que comme un moyen clair de défendre les intérêts des accusés et a l'intention de créer un état d'opinion qui facilite le classement de l'affaire, ce qui exige que les moyens de preuve existants soient rendus illégitimes.
12) Le seul but de la présentation des photos était que les témoins expliquent les différentes méthodes d'extermination utilisées à l'intérieur du camp. Elles ont été montrées par l'avocate Antonia Macías dans le cas du témoin Jesús Tello, et par l'avocat Miguel Ángel Muga dans le cas du témoin Ramiro Santisteban.
Origine des photos montrées par les avocats des plaignants
13) Les quinze photographies montrées lors des déclarations citées, numérotées de 1 à 15, proviennent des archives de l'Equipo Nizkor.
Il est important de souligner que parmi le matériel répertorié au NARA (National Archives and Records Administration, Etats-Unis) concernant le camp de concentration (KL) de Mauthausen se trouvent une série de photos originales du camp rassemblées par le prisonnier espagnol Francisco Boix. Ces photos font partie de la "Collection photographique Francisco Boix".
Francisco Boix fut affecté à la Section d'identification du bureau politique du camp ( Politische Abteilung ) et travailla avec Antonio García dans le Erkennungsdienst (laboratoire photographique du camp) en tant qu'assistant, développant les photos prises par le personnel SS. Boix réussit à faire sortir du laboratoire de nombreux négatifs Leica montrant les conditions de vie du camp, les visites officielles, les exécutions et autres atrocités commises à Mauthausen. Les négatifs furent cachés en plusieurs endroits du camp jusqu'à pouvoir les en faire sortir.
Les jeunes espagnols du Kommando Poschacher , auxquels ont appartenu Jesús Tello et Ramiro Santisteban, ont réussi à faire sortir du camp une série de photos grâce à l'aide d'une civile autrichienne, Anna Pointer. Ils ont ainsi réussi à préserver ces preuves matérielles qui ont ensuite été utilisées parmi les preuves à charge devant le Tribunal de Nuremberg par le Ministère public américain et français (preuves RF 322, RF 332 et RF 333 devant le Tribunal de Nuremberg). Boix comparut en tant que témoin devant ce tribunal le 28 et le 29 janvier 1946 (p. 40-46 de la plainte). Ces photographies furent importantes lorsqu'il a fallu documenter visuellement les atrocités commises dans le camp.
Peu après, elles furent utilisées comme preuve lors du procès principal de Mauthausen, de mars à mai 1946, réalisé par un tribunal militaire américain, au cours de l'affaire U.S. v. Hans Altfuldisch et al. (p. 46-48 de la plainte et preuve n° 7 jointe à la plainte). Trente des photographies sauvées grâce à l'intervention de Boix ont été présentées comme preuve de l'accusation n° 153 ( Prosecution Exhibit#153 ). Les copies photostatiques de ces photos sont répertoriées dans le NARA ( box 11A, RG 153 location: 270/1/14/07). Les photographies originales sont répertoriées sous la référence RG 549 (Box 345).
Cette série de photographies constitue une preuve indubitable. C'est la raison pour laquelle nous avons utilisé certaines d'entre elles pour compléter le questionnaire soumis aux témoins Jesús Tello Gómez et Ramiro Santisteban Castillo portant sur les méthodes d'extermination employées par les SS Totenkopf dans le camp de Mauthausen. Ces photos, à la requête du juge instructeur, ont été présentées au procès.
Commentaire sur l'identification des SS Totenkopf
14) Le niveau de preuve de la plainte présentée considère l'appartenance des quatre accusés aux SS Totenkopf comme prouvée et ce au-delà de tout doute raisonnable. Les preuves utilisées possèdent une valeur judiciaire en elles-mêmes, c'est-à-dire qu'elles proviennent de procédures judiciaires au cours desquelles ces preuves ont été soumises au principe du contradictoire ou qu'elles proviennent d'archives qui certifient leur valeur judiciaire. Ces preuves ainsi que toutes celles présentées pour appuyer la plainte ont toutes été confirmées sans exception par le Département de la Justice des Etats-Unis dans la réponse donnée à la demande du juge instructeur. (voir alinéa IV de la plainte)
15) Dans les enquêtes sur les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité, le principe général très connu est que les survivants ne peuvent reconnaître les criminels et que ces preuves sont produites au moyen de documents permettant de démontrer la structure hiérarchique et/ou l'appartenance de l'accusé à l'organisation criminelle qui a planifié et mis en œuvre les crimes. Il est aisé de comprendre que si ce n'était pas le cas, pour les camps d'extermination où personne n'aurait survécu, il n'y aurait aucun moyen d'imputer les responsables. Dans les deux cas qui nous occupent, les témoins sont complémentaires aux documents prouvant l'intention ( mens rea ) des responsables et servent à expliquer les méthodes utilisées et le contexte des faits.
16) Les SS Totenkopf étaient entraînés et formés à l'école spéciale du camp de Sachsenhausen. Les chiens qu'ils employaient pour exterminer des prisonniers faisaient partie du même corps et étaient également entraînés dans cette école. Ce corps était composé exclusivement d'affiliés au parti national-socialiste et était considéré comme l'élite qui occuperait les postes-clés de l'Etat une fois la guerre terminée. Par conséquent, ils représentaient la partie la plus importante du projet national-socialiste et faisaient l'objet d'un traitement social et politique spécial. C'est la raison pour laquelle ils ont été les responsables des camps d'extermination dès leur création. Leur responsabilité réglementaire incluait le contrôle des camps d'extermination, leur administration, leur surveillance, l'extermination comme activité principale de leur fonction réglementaire, ainsi que la défense militaire des camps. Le Tribunal militaire international de Nuremberg a conclu en 1946 que les SS, notamment le Bataillon des têtes de mort, était une organisation criminelle impliquée dans « la persécution et l'extermination de juifs, dans des actes de brutalités et dans des assassinats perpétrés dans des camps de concentration, dans des abus de pouvoir lors de l'administration des territoires occupés, dans l'administration du programme de travaux forcés, dans le mauvais traitement et l'assassinat de prisonniers de guerre. » (Voir : Nazi Conspiracy and Aggression. Opinion and Judgment , United States Printing Office, Washington, 1947), actions qui, de toute évidence, sont des « faits avérés » pour la plainte présentée. (Voir alinéa II.3.5 de la plainte).
17) D'autres types d'affirmations sont sorties de leur contexte, par exemple, celle de S.N. dans le journal ABC : « Les deux victimes ont confessé que les uniformes portés par les gardes ne comportaient pas de signes permettant leur identification, 'Les Totenkopf ne portaient pas leur nom (sur l'uniforme), mais tous étaient des assassins ; leur seul objectif était de tuer' a précisé Tello ». On sait que lorsque des troupes militaires ne s'identifient pas dans les camps de prisonniers de guerre, il s'agit d'une violation des normes à respecter obligatoirement. Le fait que les SS Totenkopf ne portaient pas de signe d'identification autre que leurs insignes (une tête de mort et deux tibias croisés) n'est pas un élément extraordinaire dans le comportement de cette organisation criminelle, et n'est qu'un élément de plus de l'incrimination. Une interprétation contraire ne peut être que le fruit de la mauvaise foi ou de la méconnaissance du droit international humanitaire et des faits avérés dans les jugements rendus par le Tribunal de Nuremberg. Les tribunaux espagnols doivent observer et suivre le sens juridique de ce droit et de ces faits, comme l'a fait opportunément le Tribunal Supremo dans l'affaire Scilingo.
18) Autre élément déformé dans ce type d'information : deux des quatre accusés, Johann Leprich et Anton Tittjung, travaillèrent à Mauthausen, alors que Josias Kumpf se trouvait à Sachsenhausen, et Ivan (John) Demjanjuk est accusé dans la plainte d'avoir servi à Flossenbürg, bien qu'il y ait des preuves de sa participation à des crimes commis à Sobibor.
Dans tous les cas, les éléments de preuves concernant des faits ayant eu lieu dans ces centres d'extermination et le but criminel des SS Totenkopf sont des faits avérés. Par conséquent, ils doivent rester en dehors des débats procéduraux ou des débats de fond. Pour abonder un peu plus dans ce sens, le Ministère public de Munich (Allemagne) a dicté un mandat d'arrêt contre Ivan (John Demjanjuk) pour des faits commis à Sobibor, se basant sur des éléments de preuves identiques aux éléments présentés dans la plainte déposée à la Audiencia Nacional , et provenant de la même source.
19) En plus des preuves sur ce camp présentées devant le Tribunal de Nuremberg qui furent prises en considération au moment de prononcer le jugement, un tribunal militaire américain a jugé les principaux responsables du camp national-socialiste de Mauthausen au cours des « Procès de Dachau ». Le procureur américain William Denson présenta des charges contre 61 accusés. Ce procès prit fin le 13 mai 1946. Tous les accusés furent condamnés. L'affaire porte le nom de « US. v. Hans Altfuldisch et al. »
Le Tribunal conclut que tout le personnel qui était affecté à ce camp d'une manière ou d'une autre était au courant des horreurs qui s'y perpétraient et que, par conséquent, tous étaient pénalement responsables.
Immédiatement après avoir condamné les accusés, le tribunal annonça les conclusions suivantes :
« Le Tribunal conclut que les circonstances, les conditions et la nature même du camp de concentration de Mauthausen, ainsi que de chacun de ses sous-camps, étaient de telle nature criminelle que chaque fonctionnaire, qu'il soit gouvernemental, militaire ou civil, et chaque employé du camp, qu'il soit membre des Waffen SS, des Allgemeine SS, garde ou civil, sont coupables et pénalement responsables.
Le Tribunal considère en outre qu'il était impossible qu'aucun fonctionnaire gouvernemental, militaire ou civil, aucun garde ou employé civil du camp de concentration de Mauthausen, ainsi que de chacun de ses sous-camps, qu'il ait été responsable du contrôle, employé ou qu'il ait été présent ou ait résidé dans le camp de concentration de Mauthausen mentionné précédemment, ainsi que dans chacun de ses sous-camps, n'ait, à aucun moment de son existence, eut la moindre connaissance des pratiques et des activités criminelles qui se déroulaient dans ce camp.
Le Tribunal considère, qui plus est, que la liste irréfutable de morts par balle, par gazage, par pendaison, de privation planifiée de nourriture et d'autres méthodes atroces d'assassinat, menée à bien par la conspiration délibérée et la planification des officiers du Reich, tant du camp de concentration de Mauthausen que de ses sous-camps annexes, et de la haute hiérarchie nazi, était connue des personnes mentionnées ci-dessus, ainsi que des prisonniers, qu'ils soient politiques, criminels ou militaires.
Par conséquent, le Tribunal déclare : Que chaque fonctionnaire gouvernemental, militaire ou civil, qu'il soit membre des Waffen SS ou des Allgemeine SS, chaque garde ou employé civil qui était responsable du bon fonctionnement du camp de concentration de Mauthausen, ou de l'un de ses sous-camps, ou qui d'une manière ou d'une autre y était assigné ou y participait, est coupable d'un crime contre les lois, les usages et coutumes des nations civilisées, ainsi que d'un crime contre le caractère et l'esprit des lois et coutumes de guerre, et que, pour ces raisons, il doit être puni. [Voir alinéa I.2. de la plainte]
20) Pour toutes ces raisons, nous considérons qu'il existe des éléments suffisants pour que le juge instructeur puisse dicter un mandat d'arrêt international afin que les accusés soient livrés par les autorités judiciaires américaines, étant donné que leur situation procédurale permet leur expulsion.
Gregorio Dionis
Président de Equipo Nizkor
Madrid, 1er avril 2009
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