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16fév10

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Lettre-rapport sur la nullité des lois et des jugements nationaux-socialistes en Allemagne envoyée à chacun des députés du Congrès espagnol


Madrid, le 16 février 2010

Madame la députée, Monsieur le député,

Nous nous adressons à Son Excellence à l'occasion du deuxième anniversaire de l'entrée en vigueur de la « Loi 52/2007, du 26 décembre, reconnaissant et étendant les droits de ceux qui ont souffert de persécution ou de violence au cours de la guerre civile et de la dictature et établissant des mesures en leur faveur». Certaines associations considérons cette loi comme une loi pour le moins inefficace juridiquement et, plus grave, nulle de plein droit.

A cette occasion, nous ne prétendons pas analyser cette loi. Nous voulons profiter du deuxième anniversaire de celle-ci pour que Son Excellence prenne connaissance de certains faits que nous considérons importants afin de promouvoir une réflexion générale sur une des questions qui nous préoccupe le plus et qui n'est autre que la nullité de certains actes juridiques du régime franquiste, tels que les procès sommaires, les condamnations par des tribunaux illégaux et autres sanctions punitives, que nous pouvons considérer, en termes de droit international, illégitimes de par leur origine et irrémédiablement illégaux.

Contrairement à ce qui a publiquement été dit, procéder à une telle annulation ne signifie en aucune manière que la Constitution actuelle doive être modifiée, et la sécurité juridique n'en sera pas affectée.

Pour encourager l'exercice de réflexion que nous estimons incontournable, nous avons décidé d'informer Son Excellence, de manière succincte et concrète, et à l'aide des données minimum nécessaires, mais selon nous suffisantes, sur la manière dont des actes similaires ont été déclaré nuls en République fédérale d'Allemagne, pays qui, comme vous le savez, a du faire face à la question des actes juridiques du régime national-socialiste :

A. Validité des lois nationales-socialistes après 1945.

Après la fin de la Deuxième Guerre mondiale, au début de la période d'occupation de l'Allemagne, les puissances alliées donnèrent la priorité à la nécessité d'éliminer de l'ordre juridique les normes sur lesquelles avait reposé le régime national-socialiste.

De cette manière, dès la prise de possession par les gouvernements militaires d'occupation en Allemagne de leurs zones respectives, les principales lois nationales-socialistes furent annulées. Grâce à la Loi n°1 du gouvernement militaire sur l' « abrogation de la législation nazie » et la Loi n° 1 du Conseil de Contrôle allié du 20 septembre 1945, les principales lois politiques et discriminatoires du régime national-socialiste, dont les lois raciales connues sous le nom de « Lois de Nuremberg », furent dépourvues de leurs effets.

L'Article I, 1° de la Loi n° 1 du Conseil de Contrôle en Allemagne rendit inefficaces les lois nationales-socialistes fondamentales, car il s'agissait de lois « de caractère politique ou discriminatoire […] sur lesquelles le régime nazi reposait », ainsi que « toutes les lois, ordonnances et décrets additionnels et explicatifs ». Les normes suivantes furent dépourvues de leurs effets, entre autres :

  • Loi portant protection des Symboles nationaux (Gesetz zum Schutz der nationalen Symbole) du 19 mai 1933, RGB1 I/285
  • Loi contre la création de nouveaux partis politiques (Gesetz gegen die Neubildung von Parteien) du 14 juillet 1933, RGB1 I/479
  • Loi garantissant l'unité du Parti et de l'Etat (Gesetz zur Sicherung der Einheit von Partei und Staat) du 1er décembre 1933, RGB1 I/1016
  • Loi portant amendement aux dispositions du Code pénal et de l'Instruction criminelle (Gesetz zur Änderung von Vorschriften des Strafrechts und des Strafverfahrens) du 24 avril 1934, RGB1 I/341
  • Loi portant protection du sang et de l'honneur allemand (Gesetz zum Schutze des Deutschen Blutes und der Deutschen Ehre) du 15 septembre 1935, RGB1 I/1146
  • Loi sur le droit du citoyen du Reich (Reichsbürgergesetz) du 15 septembre 1935, RGB1 I/1146
  • Loi prussienne concernant la Gestapo (Preussisches Gesetz über die Geheime Staatspolizei) du 10 février 1936, G.S.21
  • Ordonnance concernant la déclaration des biens juifs (Verordnung über die Anmeldung des Vermögens von Juden) du 26 avril 1938, RGB1 I/414
  • Ordonnance concernant la preuve de l'origine allemande (Verordnung über den Nachweis deutschblütiger Abstammung) du 1er août 1940, RGB1 I/1063
  • Décret du Führer concernant le statut légal de la NSDAP(Erlass des Führers über die Rechtsstellung der NSDAP) du 12 décembre 1942, RGB1 I/733

En outre, l'Article II de la Loi n° 1 du Conseil de Contrôle allié stipule ce qui suit : « Aucun acte législatif allemand, quelles qu'aient été les modalités et la date de sa promulgation, ne sera appliqué par voie du justice ou administrativement, dans aucun cas où une telle application créerait une injustice ou une inégalité soit a) en favorisant une personne quelconque en raison de ses rapports avec le parti nazi, ses formations, ses associations affiliées ou les organisations sous son contrôle, soit b) en faisant une discrimination au préjudice d'une personne quelconque en raison de sa race, de sa nationalité, de ses convictions religieuses ou de son opposition au parti nazi ou aux doctrines de celui-ci. »

Nous ne nous attarderons pas sur la portée et sur les différences d'application de cette Loi du Conseil de Contrôle dans les différentes zones d'occupation de l'Allemagne (essentiellement entre 1945 et 1949), ni sur d'autres normes qui poursuivaient le même objectif. Ce qui importe, c'est que du point de vue de la technique juridico-législative, rien ne fait obstacle à ce que ces lois discriminatoires - que ce soit sur le plan politique, racial ou religieux - soient déclarées nulles, tout comme le gouvernement espagnol élu démocratiquement en 1931 ne rencontra pas de problèmes technico-juridiques pour déclarer nul le Code pénal de la dictature de Primo de Rivera (Code pénal de 1928).

La Loi fondamentale pour la République fédérale d'Allemagne de 1949 stipula dans l'Article 123.1 (Maintien en vigueur de l'ancien droit et d'anciens traités) que « [L]e droit en vigueur antérieurement à la première réunion du Bundestag demeure en vigueur dans la mesure où il n'est pas contraire à la Loi fondamentale.»

B. Validité des décisions judiciaires basées sur la législation national-socialiste après 1945.

1. Au cours de la période qui précéda la création de la République fédérale d'Allemagne en mai 1949, les premières mesures d'annulation des décisions judiciaires basées sur des normes du régime national-socialiste furent adoptées par les puissances alliées par l'intermédiaire du Conseil de Contrôle allié.

La Loi n°1 du 20 septembre 1945, mentionnée ci-dessus, et la Loi n°11 du 30 janvier 1946 du Conseil de Contrôle allié ont annulé certaines lois et dispositions du Code pénal entachées de contenu national-socialiste. Parmi celles-ci se trouvaient les dispositions sur la haute trahison, sur les attaques à la morale militaire (Wehrkraftzersetzung) et sur l'assistance à l'ennemi (Feindbegünstigung).

Le 20 octobre 1945 fut diffusée la Proclamation n°3 du Conseil de Contrôle allié sous le titre « Principes fondamentaux pour la réforme judiciaire ». L'article II, 5 stipulait : « Les condamnations prononcées injustement par le régime d'Hitler pour des motifs politique, racial ou religieux doivent être annulées ».

Par l'intermédiaire de l'article III, portant le titre « Elimination des tribunaux extraordinaires hitlériens » (« Liquidation of Extraordinary Hitler Courts »), « Le Tribunal du peuple, les tribunaux du NSDAP et les tribunaux spéciaux sont abolis, et leur réhabilitation est interdite ».

Dans l'article V, elle stipulait que « La justice sera administrée en Allemagne conformément aux principes de cette proclamation par l'intermédiaire d'un système de tribunaux ordinaires allemands ».

Cette instruction fut mise en place de manière différente dans chacune des quatre zones d'occupation.

Dans la zone américaine, par exemple, le Länderrat, ou Conseil d'états allemand de la zone américaine, créé peu de temps auparavant, adopta la « Loi sur la réparation de l'injustice dans l'administration du droit pénal par le régime national-socialiste » (Gesetz zur Wiedergutmachung nationalsozialistischen Unrechts in der Strafrechtspflege), du 17 avril 1946, conformément à l'article II, 5 de la Proclamation n°3 du Conseil de Contrôle susmentionnée. La section 2 de cette Loi énumérait une série de normes, telles celles relatives à la haute trahison, aux attaques à la morale militaire et à l'assistance à l'ennemi.

Les jugements pénaux basés exclusivement sur ces dispositions furent automatiquement annulés dès l'entrée en vigueur de la Loi. La nullité ipso iure n'était pas subordonnée au lieu de résidence, à la gravité de la peine, au type de tribunal (Tribunal du peuple - Volksgerichtshof -, militaire ou ordinaire) ou à la juridiction de celui-ci. Les condamnations basées sur des normes qui n'apparaissent pas dans la liste pouvaient être annulées moyennant examen du cas par le tribunal régional (Landgericht).

Dans les zones d'occupation administrées par les Etats-Unis ou le Royaume-Uni, la nullité des jugements était soit automatique, soit réalisée sur demande, selon le cas. Dans la zone française, soit les procédures étaient ré-ouvertes d'office, soit l'annulation était prononcée sur demande. Dans la zone soviétique et à Berlin, la nullité était prononcée sur demande.

2. Ces divergences restèrent en vigueur en Allemagne de l'Ouest après 1949 étant donné la continuité juridique des états régionaux. L'évolution n'a pas suivi le même chemin dans toutes les zones.

3. De telles divergences ont mené à l'adoption d'une nouvelle loi au niveau fédéral en 1998, la « Loi sur la nullité des condamnations nationales-socialistes injustes dans l'administration de la justice pénale » ("Gesetz zur Aufhebung nationalsozialistischer Unrechtsurteile in der Strafrechtspflege" - NS-Aufhebungsgesetz), du 25 août 1998.

L'article 1 stipule la nullité ipso iure de tous les jugements et condamnations pénaux prononcés à partir du 30 janvier 1933 qui allaient à l'encontre de principes de justice les plus élémentaires et qui avaient pour objectif la consolidation du régime national-socialiste, tout en étant basés sur la discrimination pour des motifs politiques, militaires, raciaux, religieux ou idéologiques.

L'article 2 contient la définition de « jugements » afin de clarifier l'article antérieur, précisant qu'en font partie : 1) les décisions du Tribunal du peuple (Volksgerichtshof), 2) les décisions des conseils de guerre sommaires établis d'après la Directive sur les conseils de guerre du 15 février 1945, et 3) les décisions fondées sur la liste des lois contenues dans l'annexe.

Cette annexe contient 59 normes de rang juridique divers : lois, réglementation complémentaire, réglementation de déroulement et d'exécution.

Dans le cas où un jugement est fondé sur plusieurs préceptes pénaux et pas seulement sur les préceptes cités, c'est-à-dire pas seulement sur des dispositions clairement nationales-socialistes, conformément à l'article 3 de la loi de 1998, ce jugement sera annulé dès lors que la partie fondée sur les normes nationales-socialistes représente la base du jugement ou, ce qui revient au même, dès lors que la partie du jugement fondée sur des normes non nationales-socialistes soit de moindre importance ou secondaire par rapport à la partie basée sur la législation national-socialiste discriminatoire. En cas de doutes, l'interprétation la plus favorable au condamné sera préférée.

4. La loi de 1998 fut modifiée le 23 juillet 2002 par la « Loi modifiant la loi de nullité des jugements nationaux-socialistes » ("Gesetz zur Änderung des Gesetzes zur Aufhebung nationalsozialistischer Unrechtsurteile in der Strafrechtspflege - NS-AufhGÄndG" - Bundestagsdrucksache 14/8276, BGBl. I S. 2714), par laquelle fut élargi l'annexe cité au 2.3. Y furent inclus une série d'autres groupes de victimes, dont les homosexuels et les déserteurs.

5. L'aspect polémique en suspens était celui des condamnations à mort pour trahison prononcées contre des militaires en application des articles 57, 59 et 60 du Code pénal militaire de 1934. La nullité ipso iure prévue par la loi de 1998 ne recouvrait pas les jugements basés sur ces préceptes. Seule l'analyse particulière du cas pouvait mener au réexamen du jugement.

Après un débat intense et enflammé, le Bundestag arriva unanimement à la conclusion que ces dispositions étaient inconciliables avec l'état de droit et la Constitution. D'un côté, la définition vague de ces délits avait pour résultat qu'un large série d'actes, dont tous les actes de désobéissance civile ou militaire, pouvait être inclus dans la catégorie pénale, et de l'autre, la seule peine prévue était la peine de mort.

De cette manière, la deuxième Loi de nullité ("Zweites Gesetz zur Änderung des Gesetzes zur Aufhebung nationalsozialistischer Unrechtsurteile in der Strafrechtspflege - 2. NS-AufhGÄndG") du 24 septembre 2009 fut adoptée. Les préceptes du Code pénal militaire furent inclus dans la liste des lois contenues dans l'annexe de la Loi de 1998. Par conséquent, les jugements prononcés sur base de ces préceptes furent entachés du vice de nullité en vertu de cette Loi.

En 2004, notre organisation lança une campagne de sensibilisation sur cette grave question. Vous trouverez l'argumentaire dans le rapport « La cuestión de la impunidad en España y les crímenes franquistas » (La question de l'impunité en Espagne et des crimes franquistes), disponible sur : http://www.derechos.org/nizkor/espana/doc/impuesp.html (en espagnol ou en anglais).

Le document que vous venez de lire n'a pas d'autres objectifs que d'encourager une réflexion profonde, sérieuse et informée sur ces questions. Nous demandons juste à Son Excellence que cette réflexion soit faite en conscience.

Madame la députée, Monsieur le député, nous espérons que cette question sera résolue par le Congrès des députés de manière rationnelle et en accord avec les mesures adoptées dans d'autres pays européens qui ont connu des régimes similaires à celui qui fut instauré en Espagne par le général Francisco Franco et que cette tâche ne sera pas laissée aux générations futures.

Veuillez agréer, Madame la députée, Monsieur le député, nos salutations les plus distinguées.


Gregorio Dionis
Président Equipo Nizkor

Ana Viéitez Gómez
Présidente de l'Association des familles et des amis des victimes républicaines du franquisme

Dolores Cabra
Secrétaire générale de l'Association pour la création d'un regroupement d'archives de la guerre civile, des Brigades Internationales, des «Niños de la guerra» (enfants de la guerre), de la Résistance et de l’exil espagnol – AGE (Archive Guerre et Exil)


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Impunidad y crímenes franquistas
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