EQUIPO NIZKOR |
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22sep09
Communiqué faisant suite à la délivrance des mandats d'arrêt contre trois SS Totenkopf qui servirent dans des camps de concentration où il y eut des victimes espagnoles.
Rappel des faits :
Le 17 septembre 2009, le juge titulaire du Tribunal central d'instruction numéro 2 de la Audiencia Nacional a rendu une ordonnance dans le cadre de l'affaire 56/2009-C, inculpant Johann Leprich, Anton Tiitjung et Josias Kumpf. Il ordonne également que ces derniers soient recherchés, capturés et emprisonnés.
Le juge instructeur a donné les instructions pour qu'un mandat d'arrêt international soit émis via le Chef du Bureau central national d'INTERPOL, pour qu'il prenne effet en tant que mandat d'arrêt international dans le cas des accusés domiciliés aux Etats-Unis, c'est-à-dire Johann Leprich et Anton Tittjung.
L'ordonnance enjoint également la délivrance, via le chef du bureau SIRENE en Espagne, du mandat d'arrêt européen dans le cas de l'accusé Josias Kumpf, qui se trouve en Autriche, où il avait été envoyé par les Etats-Unis le 19 mars 2009.
Cette ordonnance rend possible, pour la première fois devant la justice espagnole, l'ouverture d'une instruction judiciaire pour enquêter sur les responsabilités de Johann Leprich, Anton Tittjung, Josias Kumpf et Ivan (John) Demjanjuk, membres du Bataillon des têtes de mort des SS (SS Totenkopf-Sturmbann).
Le Tribunal central d'instruction numéro 2 de la Audiencia Nacional a jugé recevable la plainte formulée dans l'affaire des victimes espagnoles des camps de concentration national-socialiste dans une décision en date du 17 juillet 2008. La plainte a été préparée par l'Equipo Nizkor et présentée au nom de plusieurs plaignants à titre individuel (acusaciones particulares) le 19 juin 2008.
La décision de recevabilité de la plainte a été la conséquence directe du rapport du 9 juillet 2009 du Ministère public en faveur de la compétence des tribunaux espagnols dans cette affaire.
Comme nous l'informions dans notre communiqué du 20 mars 2009, l'Equipo Nizkor représente les victimes et les familles de victimes qui, pour la première fois en 60 ans, se retrouvent à la tribune de la justice de l'Etat espagnol qui, jusqu'alors, ne les avait pas reconnues en tant que victimes et, dans la majorité des cas, ne leur avait même rendu la nationalité espagnole. Ces victimes ont dû plaider devant les tribunaux espagnols avec la nationalité octroyée par des pays comme la Belgique, l'Autriche ou la France. Pour le moment, le nombre de plaignants (acusaciones particulares) est de 18.
La Asociación de Familiares y Amigos de Represaliados de la II República por el franquismo (Association des familles et des amis des victimes républicaines du franquisme) et l'Association pour la création d'un regroupement d'archives de la guerre civile, des brigades internationales, des «Niños de la guerra» (enfants de la guerre), de la Résistance et de l'exil espagnol - AGE (Archivo Guerra y Exilio - archive guerre et exil) ont également octroyé des pouvoirs à l'Equipo Nizkor pour les représenter en tant que plaignants collectifs (acusaciones populares).
Les représentants de la Federación de Foros por la Memoria (Fédération de Forums pour la Mémoire), de Politeia et de Fundación Acción Pro Derechos Humanos ont aussi été admis en tant que plaignants.
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A la vue de cet évènement important pour le procès, l'Equipo Nizkor manifeste ce qui suit :
I. En ce qui concerne les mesures adoptées par le Tribunal central d'instruction numéro 2 de la Audiencia Nacional :
1) Pour ce qui est des mandats d'arrêt, nous espérons que le gouvernement des Etats-Unis respectera sa législation interne, notamment la section 241 (8 U.S.C. 1231) du « Immigration and Nationality Act » (Loi sur l'immigration et la nationalité), et plus précisément le paragraphe 241 (b)(2)(E)(vii), ainsi que les accords de coopération judiciaire existants, respectant de cette manière la tâche de la justice. Nous espérons également que les normes qui seront utilisées seront les mêmes que celles appliquées lors de la mise à disposition de John Demjanjuk au Ministère public de Munich le 12 mai 2009 et que Johann Leprich et Anton Tiitjung seront efficacement remis.
2) Même si nous savons que les autorités judiciaires autrichiennes ont adopté des mesures de précaution en ce qui concerne Josias Kumpf, les déclarations de la porte-parole du Ministère de la justice autrichien, Mme Katharina Swodoba, nous étonnent et nous alarment énormément. Apparues dans la presse espagnole et internationale, ces déclarations montrent que le Ministère ne reconnaît pas le droit international et le caractère imprescriptible de catégories pénales que représentent les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité et le génocide.
3) Nous respectons le droit à la défense et le droit à un procès équitable des accusés, ainsi que les garanties du procès, mais nous sommes conscients que les arguments employés dans ces affaires incluent :
a) L'argument de l'âge avancé des accusés pour les exempter de procés. Cet argument n'a aucun fondement légal.
b) L'argument des raisons de santé, voire de l'aliénation mentale, pour éviter d'être imputés. Cet argument a été avancé par la défense de John Demjanjuk devant les tribunaux allemands et américains simultanément. Les moyens utilisés ont été rejetés par la justice des deux pays.
Certes, ces arguments peuvent être légitimement utilisés par la défense. Mais nous mettons en garde contre leur utilisation dans le but de soutenir les accusés en créant des émotions contraires à la justice.
4) En ce qui concerne la situation procédurale de John Demjanjuk, également accusé dans notre plainte, et au vu des explications journalistiques diverses et confuses sur cette affaire, nous informons que le titulaire du Tribunal central d'instruction numéro 2 a demandé l'exécution d'une commission rogatoire aux autorités judiciaires allemandes, sous l'autorité desquelles il se trouve depuis le 12 mai 2009, dans le but que celles-ci l'informent des faits qui lui sont imputés dans la procédure menée par ce pays, afin de pouvoir déterminer si ces faits sont identiques à ceux qui font l'objet de l'affaire suivie à la Audiencia Nacional.
Nous comprenons que les faits sont différents, étant donné que le Ministère public de Munich accuse John Demjanjuk d'assassinats commis dans le camp d'extermination raciale de Sobibor, alors que la plainte présentée à la Audiencia Nacional l'accuse d'actes commis dans le KL (Konzentrazionslager) de Flossenbürg contre des ressortissants espagnols, actes qui sont classés dans la catégorie de crimes contre l'humanité.
En théorie, s'il s'avérait que les faits sont différents, un mandat d'arrêt pourrait être lancé contre lui et, après avoir été jugé en Allemagne, il devrait être mis à la disposition de la justice espagnole pour être jugé en Espagne pour les faits dont il est accusé.
II. En ce qui concerne l'Etat et le gouvernement espagnol :
5) Nous exprimons notre accord pour ce qui est des mesures procédurales adoptées, car elles signifient que la justice espagnole reconnaît en tant que victimes les plus de 7000 espagnols qui furent persécutés à cause de leurs idées républicaines par le national-socialisme par le moyen du système de camp de travaux forcés et d'extermination, concrètement les KL de Mauthausen, de Sachsenhausen et de Flossenbürg.
6) C'est aussi une reconnaissance pour toutes les victimes de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité d'autres nationalités exterminées dans le KL de Mauthausen, comme les Albanais, les Allemands, les Argentins, les Autrichiens, les Belges, les Britanniques, les Bulgares, les Tchécoslovaques, les Chinois, les Cubains, les Estoniens, les Finlandais, les Français, les Grecs, les Néerlandais, les Hongrois, les Italiens, les Lettons, les Luxembourgeois, les Norvégiens, les Polonais, les Portugais, les Roumains, les Russes, les Suédois, les Suisses, les Turcs, les Uruguayens, les Yougoslaves, entre autres, ainsi que pour les personnes qui furent victimes de ces crimes à cause de leurs idées politiques. A cette époque, un groupe constitué de nombreux Juifs fut, à cause des idées politiques de ses membres, envoyé dans ce camp, classé dans la catégorie des camps d'extermination de prisonniers politiques. Un groupe de prisonniers de guerre composé d'officiers militaires russes, français, américains et anglais fut également envoyé à Mauthausen pour y être éliminé.
7) C'est aussi une reconnaissance envers les victimes des actes de génocide contre les juifs, gitans et slaves, entre autres races et ethnies, et envers les prisonniers sociaux qui furent persécutés et éliminés lors de la mise en application des lois raciales du IIIe Reich dans les camps de concentration de Sachsenhausen et de Flossenbürg.
8) Nous espérons que décision judiciaire contribuera à ce que l'Etat espagnol modifie sa position, qui perpétue celle adoptée par le régime franquiste et qui consiste à protéger juridiquement les criminels de guerre national-socialiste et fascistes. Plusieurs organisations ont dénoncé cette position, notamment le Centre Simon Wiesenthal de Jérusalem via ses rapports annuels.
9) Indépendamment du cours que prendra cette procédure et de l'éventualité qu'elle aboutisse à une décision qui constituerait un véritable geste réparateur de justice envers les rares survivants et les familles des victimes, nous espérons que le gouvernement, et plus particulièrement le Congrès et les partis politiques, prendront note de l'incongruité légale et morale qu'a représenté l'approbation d'une loi comme la « Loi sur la mémoire historique », qui reconnaît la légalité franquiste, en situant « hors de la loi » les crimes contre l'humanité commis sur le territoire espagnole par des Espagnols, et qui empêche la reconnaissance juridique de la collaboration espagnole avec le national-socialisme avant, pendant et après la Seconde Guerre mondiale, ce qui fait de l'Etat espagnol une ignominieuse « exception ».
Gregorio Dionis
Président de l'Equipo Nizkor
Madrid, 22 septembre 2009
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