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DERECHOS

14avr12

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La décision de justice innocentant les actes du juge Garzón condamne les victimes du régime républicain à l'inégalité devant la Justice


Dans notre communiqué du 23 avril 2012, nous manifestions que Thomas Paine, dans son ouvrage Les Droits de l'Homme, référence indispensable pour ce qui concerne l'éthique des libertés civiles qui émane de la Révolution américaine et de la Révolution française, que nous jugeons pertinente au vu de la situation actuelle, écrivait: « Il convient à son dessein [de celui qui s'oppose aux valeurs républicaines et aux libertés civiles] de montrer les conséquences sans évoquer les causes: c'est là une des règles de l'art dramatique. Si l'on donnnait à voir les crimes des hommes avec leurs souffrances, les effets de théâtre seraient souvent perdus, et le public pourrait être tenté d'approuver là où l'on souhaite qu'il s'apitoie. »

Le 14 décembre 2006 commença la procédure présentée par Maria Antònia Oliver París et Margalida Capellà I Roig en tant que mandataires de l'Associació per a la Recuperació de la Memoria Històrica de Mallorca [Association de récupération de la mémoire historique de Majorque], procédure dont nous avons depuis lors suivi les viscissitudes sur notre site Internet de documentation, à l'adresse suivante: http://www.derechos.org/nizkor/espana/impu/index.html#mall

Le 29 janvier 2008, le Parquet de la Audiencia Nacional espagnole, sur instructions verbales du Procureur général de l'État, rendit son rapport sur l'admissibilité de la procédure, dans lequel elle conclut qu' « il n'y a pas lieu de recevoir les plaintes présentées, puisque le Juzgado Central de Instrucción [Tribunal central d'instruction] n'est pas compétent, voir article 313 du Code de procédure pénale. Les plaintes devraient donc être classées sans suite. »

Le 5 septembre 2008, la Plataforma de Víctimas de Desapariciones Forzadas [Plateforme des victimes de disparitions forcées] publia un communiqué dans lequel elle dénonce que « La Loi sur la mémoire historique de 2007 fait l'impasse sur des dizaines de milliers de personnes victimes de graves crimes à l'encontre du droit international, qui ont disparues ou ont fait l'objet d'exécutions extrajudiciaires...» [Texte complet en espagnol: http://www.derechos.org/nizkor/espana/doc/plata.html]

Equipo Nizkor, dès l'instant où il a pris connaissance de l'introduction de la plainte, a tenté d'expliquer que les fondements sur lesquels elle repose sont insuffisants et que certains aspects de celle-ci sont clairement erronés, notamment tout ce qui concerne l'incompétence de la Audiencia Nacional et l'utilisation de catégories pénales qui n'existaient pas à l'époque, telles que les disparitions forcées. Ces deux arguments à eux seuls pouvaient avoir pour conséquence que la plainte se retourne contre les associations de victimes.

Le 21 février [Texte en espagnol: http://www.derechos.org/nizkor/espana/doc/garzon47.html] et le 23 avril 2010 [Texte en espagnol ou en anglais: http://www.derechos.org/nizkor/espana/doc/declarts.html], nous avons publié deux communiqués dans lesquels nous anticipions ce qui pouvait arriver au cours de la procédure se rapportant au franquisme, et ce que le Tribunal Supremo a largement confirmé par la suite.

Dans notre communiqué du 20 novembre 2008, nous avertissions on ne peut plus clairement que:

    « Le problème de fond [dans l'affaire qui nous occupe] ne concerne pas l'argumentation juridique par rapport aux catégories pénales, mais concerne plutôt ce qu'on appele la compétence absolue. Dans ce sens, tant le juge Baltasar Garzón que les avocats qui ont présenté les différentes plaintes auprès de la Audiencia Nacional savaient ou auraient dû savoir que la Audiencia Nacional n'est pas compétente pour juger des délits d'une telle nature commis sur le territoire national. »

Ils étaient en outre parfaitement au courant de l'existence d'un problème au niveau de l'application des catégories pénales: celui de l'absence, dans toute l'Europe à cette époque, et donc au cours de la IIe République espagnole, de la catégorie « disparus », et encore moins « détenus disparus ».

Cela aurait été le cas si les plaintes déposées à la Audiencia Nacional avaient été des plaintes pénales au sens strict, car comme le confirme l'arrêt du 27 février 2012:

    « Cependant, dès le dépôt de la plainte, peut-être également depuis le début de l'instruction, on ne cherchait pas vraiment à déboucher sur une procédure pénale visant à établir la responsabilité pénale de personnes déterminées, ou susceptibles d'être identifiées au cours de l'instruction judiciaire, pour des faits qui seraient, en apparence, des délits. On cherchait plutôt, via la demande de tutelle judiciaire, à satisfaire le droit de connaître les circonstances dans lesquelles le membre de la famille est décédé, à l'image de ces « procès pour la vérité » qui ont eu lieu sous d'autres latitudes. Cette recherche de la vérité, bien que raisonnable, ne peut pas être dispensée par le système pénal, puisqu'il ne s'agit pas du moyen prévu par le législateur pour répondre à ces attentes légitimes.

    Comme nous l'avons précisé, la procédure pénale a un but bien précis: il s'agit de chercher à trouver la responsabilité sociale et juridique d'une personne qui a commis un délit. Le droit à connaître la vérité historique ne fait pas partie de la procédure pénale et ne peut être qu'en partie satisfait. Le principe du contradictoire, la publicité du procès, l'égalité des parties, le principe d'oralité, de la garantie de la preuve, le droit à la présomption d'innocence, etc., caractéristiques de la procédure pénale espagnole, se conjuguent mal à la recherche de la vérité historique s'agissant d'une période aussi complexe qu'a été celle de la Guerre Civile et de l'après-guerre. »

Au cours de la phase orale du procès devant le Tribunal Supremo, le juge Baltasar Garzón a éclairci trois aspects qui clarifient ce que nous voulons dire et qui se passent de commentaires:

    a) Il reconnaît qu'il a expressément refusé d'ordonner l'ouverture des fosses,
    b) qu'il n'y a eu aucune enquête,
    c) que la Loi sur la mémoire historique est parfaitement compatible avec les enquêtes menées dans son tribunal.

    [Voir l'arrêt nº 101/2012 rendu par la chambre pénale du Tribunal Supremo le 27 février 2012, en espagnol: http://www.derechos.org/nizkor/espana/doc/garzon184.html]

Ces trois éléments démontrent à eux seuls qu'il y a un problème de fond éthique et moral dans le comportement qui a été adopté vis-à-vis des associations de victimes qui agissaient en toute bonne fois, et qui, selon ce qu'on peut constater, croyaient naïvement que:

    a) l'ouverture des fosses allait être ordonnée,
    b) qu'il y aurait une enquête pour découvrir « ce qui s'était passé », et ce dans le cadre d'une procédure pénale.

Malgré la diffusion de nos communiqués, il s'est avéré impossible de convaincre de nombreuses associations que la procédure en cours à la Audiencia Nacional se terminerait par le classement définitif de toutes les plaintes et par l'annulation totale des procédures. Comme nous l'expliquions dans notre communiqué du 21 février 2010 [en espagnol: http://www.derechos.org/nizkor/espana/doc/garzon47.html]:

L'incompétence objective pouvait être à l'origine d'un problème très grave pour les différentes affaires reprises dans les plaintes, étant donné que conformément à l'article 238.1º de la Loi organique sur le pouvoir judiciaire, « Les actes de la procédure seront nuls de plein droit » « 1. Lorsqu'ils sont réalisés par un tribunal ou devant un tribunal qui ne possède pas la compétence territoriale ou la compétence objective ou fonctionnelle », tel que dans le cas qui nous occupe.

L'arrêt du Tribunal Supremo du 27 février 2012 [http://www.derechos.org/nizkor/espana/doc/garzon184.html], qui absout Baltasar Garzón des accusations de prévarication, met fin à une affaire qui n'aurait jamais dû exister et qui s'est converti en une lourde défaite pour le mouvement naissant des victimes du franquisme, et plus particulièrement encore pour les victimes républicaines.

De cette façon, nous constatons que le Tribunal Supremo confirme ce que nous avons appelé « le modèle d'impunité espagnol », et le fait en utilisant une interprétation qui ne laisse aucun doute sur le fait que les victimes républicaines ne possèdent aucun droit vis-à-vis des dispositions de la Constitution de 1978, autrement dit, qu'il existe deux catégories de citoyens: d'une part, ceux qui jouissent de droits civils complets ; d'autre part, ceux que la loi ne peut en aucun cas aider, mis à part pour l'identification de leurs restes, comme l'a confirmé l'arrêt de la chambre pénale du Tribunal Supremo du 28 mars 2012. [http://www.derechos.org/nizkor/espana/doc/garzon188.html]


Questions préliminaires

Même si les questions légales et doctrinales relatives à ces plaintes sont importantes, il convient de réaliser une analyse indispensable du point du vue éthique et moral par rapport à tout ce qu'il s'est passé et qui a occasioné une lourde défaite aux associations de victimes du franquisme, défaite qui nous touche également, alors que nous avions décidé de ne participer à aucune des étapes de ce processus qui a débuté en 2006.

Aucun des aspects de la procédure liés à la compétence du tribunal, à laquelle fait référence l'arrêt du Tribunal Supremo, n'avait échappé à Baltasar Garzón Real ou aux avocats mandataires d'organisations de différentes natures, tels que Fernando Magán Pineño, Margalida Capellà i Roig, Enrique Santiago o Joan Garcés, qui devraient savoir, ou auraient dû savoir qu'il y avait un problème de compétence.

Cette position a, selon nous, encore été aggravée par la présence dans la procédure des syndicats espagnols CC. OO. (Comisiones Obreras) et UGT (Unión General de Trabajadores), car nous savions que:

    a) Comisiones Obreras, lors d'une réunion qui s'est tenue dans les Asturies, nous avait soutenu officiellement que le syndicat ne participerait à aucune activité liée aux victimes du franquisme.
    Et
    b) UGT, après nous avoir informé officiellement que sa Commission exécutive avait approuvé le document intitulé La question de l'impunité en Espagne et les crimes franquistes, avait finalement refusé d'y apposer sa signature.

Une « campagne d'image » (« PR Campaign » en anglais) avait alors été lancée, qui parmi les médias, possédait ses agents directs dans les quotidiens espagnols Público, directement lié à la Moncloa, et El País. Les deux médias avaient déjà arrêté leur position sus ses questions bien avant les faits, comme nous l'avaient déjà fait savoir à plusieurs reprises des journalistes des deux quotidiens.

Cette campagne d'image avait pour but de créer délibérément une image faussée de la situation. Elle a effectivement créé une vision tronquée de la procédure, qui a fait comprendre à nombre d'associations qui avions décidé de ne pas faire partie de la procédure qu'il y avait une volonté politique très claire de mener à bien le processus à la Audiencia Nacional dans les termes que nous avions exposés et que la Moncloa était directement impliquée dans ce processus, avec le soutien de Izquierda Unida et même du PCE (Parti communiste espagnol) et qui cherchait à:

    a) Rendre légitime la « Loi sur la mémoire historique »
    b) Créer un groupe d'associations « images » qui auraient été reconnues comme seules représentantes des victimes et qui étaient directement liées aux exhumations.
    c) Remplacer le conflit des victimes du franquisme par un autre qui avait comme objet principal le juge Garzón, sustituant ainsi dans l'imaginaire collectif le besoin de justice par la défense de Garzón, manipulation qui a atteint son paroxysme lors des manifestations encouragées par le gouvernement.
    d) L'utilisation pour ce faire de moyens financiers pour promouvoir cette campagne, tant en Espagne que dans d'autres pays européens (France, Belgique, Allemagne, Suisse, entre autres) et d'Amérique latine, plus particulièrement en Argentine, où l'ambassade espagnole à Buenos Aires, avec le soutien du Ministère de la justice et bien sûr du journal El País, est parvenue à manipuler l'affaire des victimes de la dictature argentine de nationalité espagnole. [Écouter, en espagnol, l'entretien accordé par Barbara García le 27 avril 2008: http://www.radionizkor.org/arg/index.html#barbara]

La campagne a connu son plus gros revers lorsque le Tribunal Supremo accepta à l'unanimité la plainte pour prévarication à l'encontre du juge Baltasar Garzón déposée par des groupes d'extrême-droite et par la Phalange espagnole des JONS (Union d'offensive national-sindicaliste). Beaucoup d'Espagnols apprirent à ce moment-là que la Phalange était un parti politique et qu'il n'avait jamais été illégalisé.

Les conséquences directes de cette campagne d'image sont les mêmes que celles que nous avions anticipées dans le communiqué du 21 février 2010:

    « Il existe un risque sérieux que le Tribunal Supremo, au lieu de se limiter à évaluer le problème objectif de la compétence du juge Baltasar Garzón par rapport à ces plaintes de 2006, s'intéresse aux problèmes de substance et utilise cette affaire pour rejeter l'application de la catégorie pénale de crimes contre l'humanité aux délits commis lors du régime franquiste. »

C'est précisement ce qu'a fait le Tribunal Supremo dans son arrêt disculpant le juge Garzón rendu le 27 février 2012. [En espagnol: http://www.derechos.org/nizkor/espana/doc/garzon184.html]


Les partisans de la « Loi sur la mémoire historique »

Notre position par rapport à cette loi est connue. Il convient toutefois de rappeler les communiqués que nous avons publiés à ce sujet afin de ne pas répéter tous les arguments:

Il est de notoriété commune que les députés Gaspar Llamazares Trigo et Joan Herrera Torres du groupe parlementaire IU-ICV (Izquierda Unida - Iniciativa per Catalunya Verds), ainsi que les parlementaires du PSOE, emmenés par Ramón Jáuregui et la vice première ministre de l'époque María Teresa Fernández de la Vega, ont été les promoteurs et les artisans de cette loi aberrante. Il faudrait également ajouter à cette liste l'ancien procureur anti-corruption Carlos Jiménez Villarejo et le magistrat José Antonio Martín Pallín. Cette loi a été approuvée au Parlement par tous les groupes parlementaires, excepté par le député de Esquerra Republicana de Catalunya, Joan Tardà i Coma [http://www.derechos.org/nizkor/espana/doc/aprobacion.html#TARDA], alors que le Grupo Popular s'est abstenu. [Discours intégral en audio en espagnol: http://www.radionizkor.org/impuesp/index.html#debate2 et en texte: http://www.derechos.org/nizkor/espana/doc/aprobacion.html]

Malgré tout, ils ont fait de Garzón un problème de fond : les victimes ont été remplacées par le conflit provoqué par la plainte à l'encontre du juge Garzón.

Ainsi, ils sont tous apparus aux yeux de l'opinion publique comme défenseurs d'une enquête pénale pour les faits s'étant déroulés lors de la période franquiste, ce qui était faux étant donné le soutien qu'ils apportaient à la « Loi sur la mémoire historique », car cette loi reconnaît la légalité de toute la législation issue du franquisme et aussi bien sûr de la « Loi sur l'amnistie ».

Ajoutons que, comme le confirme le Tribunal Supremo, « on ne cherchait pas vraiment à déboucher sur une procédure pénale visant à établir la responsabilité pénale de personnes déterminées [...]».

Défendre la « Loi sur la mémoire historique » et chercher à ouvrir une enquête pénale sur les crimes du franquisme démontre très clairement une attitude hypocrite. Non seulement s'agit-il de confondre les victimes et l'ensemble des citoyens, mais cela provoque également une série de réactions qui ne sont absolument pas rationnelles et crée une fausse image négative qui se solde par l'effet recherché: la démobilisation et la destruction des associations de victimes républicaines.


Le modèle espagnol d'impunité

Les conséquences de ce processus, que nous pouvons à tout le moins qualifier de trompeur, sont évidentes: le renforcement du modèle d'impunité espagnol, tel que nous l'avions décrit dans La question de l'impunité en Espagne et les crimes franquistes, publié le 14 avril 2004. Nous réitérons expressément tous les termes de cet rapport, notamment en réponse à plusieurs assertions se trouvant dans l'arrêt disculpant Baltasar Garzón, qui sont fausses du point de vue doctrinal:

    1) Il est faux d'affirmer que la Loi sur l'amnistie respecte le principe de légalité, et il est encore plus faux de dire qu'elle peut être appliquée aux responsables de crimes commis pendant la période franquiste.

    2) Il est faux d'affirmer que le Royaume d'Espagne, après l'entrée en vigueur de la Constitution de 1978, n'est pas contraint de satisfaire aux Principes de Nuremberg [Voir, en français: http://www.derechos.org/nizkor/espana/doc/impuespfr.html#crimes] et à la doctrine européenne sur les Crimes de guerre.

    3) Il est faux d'affirmer que le Royaume d'Espagne, après l'entrée en vigueur de la Constitution de 1978, peut outrepasser les résolutions des Nations Unies sur le régime franquiste, notamment la résolution 39 (I): « a) Par son origine, sa nature, sa structure et son comportement général, le régime franquiste est un régime fasciste calqué sur l'Allemagne nazie de Hitler et l'Italie fasciste de Mussolini et instituté en grande partie grâce à leur aide. »

Nous pensons que le Tribunal Supremo a profité d'une procédure dans laquelle il n'était pas question de ces aspects pour trouver une « solution finale » aux problèmes découlant de la reconnaissance du régime franquiste et des crimes commis au cours de cette période, et qu'il a tiré profit du fait que les victimes n'étaient pas représentées et qu'il ne s'agissait pas d'une enquête pénale. Nous voyons cela comme un abus des attributions naturelles du Tribunal Supremo, puisqu'il lui aurait suffi de déclarer l'incompétence de Garzón au vu des dispositions de l'article 65 de la LOPJ, ce qui avait déjà été fait par la chambre pénale de la Audiencia Nacional, comme le souligne le Tribunal Supremo dans la troisième partie des Fondements de droit de l'arrêt rendu en faveur de Garzón.

La question de l'impunité en Espagne et les crimes franquistes contient tous les fondements juridiques de chacune de ces allégations. Toutes les personnes souhaitant plus d'explications à ce sujet peuvent consulter ce document en français, anglais ou espagnol. Celui-ci se trouve sur le site Internet de documentation d'Equipo Nizkor, à l'adresse suivante: http://www.derechos.org/nizkor/espana/doc/impuespfr.html


Les exhumations et le rôle du juge naturel

Faire en sorte que les exhumations deviennent le centre du problème des victimes du franquisme est une grave erreur qui a été mise en évidence par l'arrêt du Tribunal Supremo du 28 mars 2012, qui confirme que les juges naturels du lieu des faits sont seuls compétents pour exhumer et identifier les victimes, indépendamment du fait que ces juges n'ont, dans de nombreux cas, pas observé la législation protocolaire pénale relative aux restes de victimes de crimes graves ou les simples normes de médecine légale.

Seuls deux tribunaux, le Tribunal d'instruction nº3 de Grenada, pour le cas García Lorca, et le Tribunal d'instruction nº2 de San Lorenzo de El Escorial, parmi tous ceux qui ont connu des plaintes et/ou des exhumations sur leur juridiction, ont posé la question au Tribunal Supremo de savoir s'ils étaient compétents ou non pour ces affaires, après que le juge Garzón, titulaire du Tribunal central d'instruction nº5 de la Audiencia Nacional, s'est dessaisi du dossier. Ces deux consultations sont à l'origine de l'arrêt susmentionné du 28 mars 2012.

Ce qui est grave, c'est qu'en Espagne il y a eu des centaines d'exhumations et plusieurs procédures au cours desquelles les « juges naturels » ont refusé d'appliquer les normes de médecine légales, ce qui a rendu illégales ces exhumations. [Voir documents sur l'affaire Benagéber, en espagnol: http://www.derechos.org/nizkor/espana/benageber/]

Le principe du juge naturel du lieu des faits est un principe de base des droits et libertés civils reconnus après la Révolution française, par opposition au droit absolutiste qui consiste à choisir des juges et à créer des juridictions d'exception; ce principe, que Carl Schmitt a repris pour la formulation de sa théorie moderne de l'« état d'exception », est aussi à la base du droit national-socialiste et franquiste, et est réapparu également à la base de la législation post-attentats du 11 septembre à New York, dont l'exemple le plus représentatif est celui des détenus à Guantánamo.

Les dispositions de cet arrêt doivent mettre fin aux exhumations illégales, qui ont provoqué la destruction de preuves des crimes commis pendant la période franquiste. Ces activités ont été largement médiatisées et ont bénéficié de la majeur partie du financement attribué par la Moncloa à ces fins de « mémoire ». Les exhumations illégales sont donc devenues, comme nous l'avons déjà signalé, le centre du problème, ce qui a permis d'occulter la question de fond, c'est-à-dire, la reconnaissance juridique des victimes.

Parmi les fondements de l'arrêt du 28 mars 2012, qui résout le problème de la juridiction, soulignons:

    « La Déclaration des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalité et aux victimes d'abus de pouvoir, adoptée par l'Assemblée générale des Nations Unies le 29 novembre 1985, encourage d' "établir et renforcer, si nécessaire, des mécanismes judiciaires et administratifs permettant aux victimes d'obtenir réparation au moyen de procédures officielles ou non qui soient rapides, équitables, peu coûteuses et accessibles." »

    « La résolution de 2000 de la Commission des droits de l'homme de l'ONU va dans le même sens, mais est plus précise et détaillée. La résolution de 2006 relative aux Principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à réparation des victimes de violations flagrantes du droit international des droits de l'homme et de violations graves du droit international humanitaire, adoptée par l'Assemblée générale des Nations Unies va encore plus loin, car elle donne le droit aux victimes à un recours et à réparation. »

Les deux normes sont antérieures à la Loi sur la mémoire historique et ont été délibérément ignorées par les « pères » de cette loi, par les créateurs de la Commission interministérielle, et évidemment par de nombreux juges, procureurs et avocats. Cela démontre objectivement en soi la mauvaise foi manifeste de tous ceux qui ont mis en marche cette nouvelle doctrine d'impunité et d'injustice.

Cet arrêt illustre crûment les bases de la nullité de la Loi sur la mémoire historique et la nécessité d'appliquer les différents points de notre « Plan d'action » [Texte en français: http://www.derechos.org/nizkor/espana/doc/impuespfr.html#Plan]:

  • 1) Ratification par l'Espagne de la « Convention sur l'imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité ».
  • 2) Promulguer une loi déclarant la nullité de toutes les actions légales du régime franquiste, en faisant mention expresse des résolutions des Nations Unies adoptées à l'unanimité par l'Assemblée générale des Nations Unies le 9 février 1946 [Res. 32(I)] et le 12 décembre 1946 [Res. 39(I)] et en faisant mention de leur caractère criminel conformément aux normes du droit international.
  • 3) Déclarer la nullité de tous les procès pénaux et militaires du régime franquiste en raison de leur caractère arbitraire et illégal. Adopter également des mesures appropriées pour obtenir des compensations actualisées et proportionnelles aux dommages des victimes et reconstituer les archives pénales et judiciaires concernées.
  • 4) Élaborer une loi pour l'exhumation et l'identification des victimes qui prenne en compte les types de délits et la nécessité de connaitre la vérité, et qui fixe les procédures conformes au droit international des droits de l'Homme.
    Cette loi doit également prendre en compte les différents types d'enfouissement des cadavres (clandestins, officiels, etc.) et doit résoudre le problème des fosses communes résultant du plan d'extermination, le problème des enfouissements illégaux et celui des fosses communes contenant les corps des soldats de l'armée régulière sur les fronts de bataille.
  • 5) Élaborer un Manuel d'Anthropologie médico-légal adapté aux normes internationales des droits de l'homme, aux crimes de guerre et à la situation historique de la deuxième République et du régime franquiste, qui permette de classifier les exhumations selon l'instruction pénale correspondante, en fonction du type de délits et des victimes, qu'ils s'agissent de civils ou de soldats réguliers des fronts de bataille.
  • 6) Prendre des mesures légales afin de normaliser les banques de données ADN pour l'identification des victimes, en procédant à l'enregistrement par les tribunaux des échantillons des restes des victimes et des parents qui en réclament le prélèvement, et en établissant les paramètres de reconnaissance à partir de la pratique sociologique et anthropologique sur le plan médico-légal.
  • 7) Elaborer une loi qui reconnait l'existence des camps de concentration et de travaux forcés et reconstituer les procédés établis dans les camps et la liste des victimes de ces camps.
  • 8) Déclassifier et cataloguer toutes les archives diplomatiques, militaires et des services secrets jusqu'à la date de l'instauration du régime démocratique.
  • 9) Faire un inventaire des archives pénales, judiciaires, carcérales, militaires, des services secrets, municipales, etc., les cataloguer et les réorganiser, en se servant des outils technologiques actuels, pour toutes les administrations, conformément aux lois du droit des victimes à la vérité et à la justice.
    Le libre accès aux archives doit être reconnu, tout comme l'obligation légale pour les responsables de ces archives de coopérer avec les victimes, ses familles, les organisations de victimes, les organisations de défense des droits de l'homme et avec les systèmes judiciaires nationaux ou étrangers.
  • 10) Reconstituer les listes des victimes espagnoles à l'étranger liées au régime franquiste, tout particulièrement les listes des «niños de la guerra» (enfants de la guerre), et solliciter, si besoin est, la collaboration internationale, plus particulièrement celle des pays européens, en tenant compte du travail effectué par les organisations d'exilés ou les organisations étrangères qui ont coopéré dans l'exil des républicains.
    L'État espagnol doit également procéder à la résolution légale des problèmes de nationalité espagnole causés par l'exil et des problèmes qui découlent de l'enregistrement d'Espagnols par les autorités légitimes de la deuxième République, afin de leur permettre de garder la double nationalité pour tous ces cas (pour les exilés et leurs descendants).
  • 11) Reconstituer la liste des victimes et des personnes qui ont subi des représailles depuis l'insurrection franquiste, via des documents valides aux yeux de la loi, afin d'apporter une reconnaissance légale et efficace, en accordant une attention particulière aux cas des mineurs, des orphelins et des femmes.
  • 12) Adapter les lois au sujet des registres civils pour permettre d'identifier correctement les causes de décès.
  • 13) Établir un inventaire des biens pillés, prohibés ou saccagés pour des motifs politiques ou religieux ou au cours de représailles.
  • 14) Établir des lois permettant la récupération et l'indemnisation (aux frais de l'État ou des responsables s'ils existent) des biens pillés à des personnes physiques ou morales pour des motifs politiques et religieux ou au cours de représailles, quelle que soit leur nature.
  • 15) Légiférer afin de reconnaitre tous les militaires qui servirent loyalement la deuxième République, en reconnaissant leur rôle historique et leur statut.
  • 16) Légiférer afin de reconnaitre tout le personnel militaire et les forces irrégulières d'origine espagnole qui ont coopéré avec les pays alliés pour résister aux pays de l'Axe et au régime franquiste, en leur accordant le même traitement légal, militaire et social que celui accordé dans des pays comme la France.
  • 17) Reconstituer la hiérarchie de toutes les organisations franquistes en Espagne et à l'étranger afin de faciliter l'application du droit à la vérité et de connaitre plus facilement les auteurs des crimes contre l'humanité.
  • 18) Établir un système de compensations financières mis à jour en termes actuels et conforme aux réalités socio-économiques espagnoles, pour toutes les victimes encore en vie, pour leurs héritiers et leurs familles. Adopter également des mesures nécessaires pour la reconnaissance sociale et culturelle. À cette fin il est nécessaire de procéder à la localisation, au catalogage et à la déclaration en tant que patrimoine historique des lieux de mémoire de la lutte pour la défense de la République et de la répression franquiste.

Conclusions

- Le souhait principal des victimes républicaines et des victimes du franquisme en général est la reconnaissance juridique de la part de l'État espagnol, comme nous l'écrivions en 2004 déjà.

Cette reconnaissance implique de suivre nécessairement toute une série de mesures législatives telles que celles prévues dans le point IV) du « Plan d'action » [Texte en français: http://www.derechos.org/nizkor/espana/doc/impuespfr.html#Plan]

- L'état actuel des choses n'est rien de plus que la conséquence du manque de responsabilité éthique, moral et légal des groupes politiques parlementaires qui ont soutenu la « Loi sur la mémoire historique », qui n'offre aucune solution législative aux principaux aspects du problème des victimes du franquisme, et qui laisse les victimes et leur famille sans aucune défense. Pis encore, cette loi cherche à les éloigner de l'histoire européenne commune, notamment des solutions qui ont été apportées en la matière dans des pays qui ont connu des régimes fascistes ou nationaux-socialistes, comme nous le soulignions dans le communiqué du 1er septembre 2006 [Texte en espagnol: http://www.derechos.org/nizkor/espana/doc/ilegal.html]

- Les partis politiques représentés au Parlement doivent se plonger dans une profonde réflexion sur les conséquences perverses de ce genre d'actions, qui augmentent le déficit démocratique accumulé depuis la « Transition vers la démocratie » et qui poussent les citoyens à la conclusion que les libertés civiles, les principes démocratiques et les droits de l'homme font en réalité partie d'une « démocratie sous tutelle », celle d'un régime illégal comme le franquisme.

- Les opérateurs juridiques (avocats, procureurs, juges, etc.) doivent au minimum agir selon les règles déontologiques, qui les obligent à travailler de bonne foi et à conseiller sans pousser les organismes sociaux à saisir la justice en commettant des erreurs de procédures graves et irrémédiables qui, comme dans cette affaire, ont occasionné le renforcement du modèle espagnol d'impunité, et qui ont fait subir une lourde défaite au mouvement luttant contre l'impunité né en 2004.

- Le fait que les victimes républicaines ne sont pas acceptées comme telles, et qu'il existe donc une inégalité devant la loi, aura des conséquences lourdes et perverses sur la société espagnole.

- Toutes les stratégies ne sont pas bonnes à suivre et n'ont pas comme objectif la reconnaissance juridique des victimes républicaines, ce qui nous est utile pour réitérer qu'il est nécessaire d'approfondir la lutte pour les libertés civiles dans leur sens le plus large, en récupérant les principes d'éthique républicaines et des libertés civiles qui lui sont inhérents.

- Nous lançons un appel aux associations qui ont agi de bonne foi pour leur dire de ne pas perdre l'espoir que justice soit faite et pour qu'elles élargissent leur champ d'action à la défense des libertés civiles républicaines nécessaires pour faire face à la crise profonde dans laquelle se trouve le système né de la « Transition vers la démocratie ». Une telle crise écorche sa légitimité dans la mesure où ce système reconnaît la légalité franquiste, preuve en est la « Loi sur la mémoire historique ». Cette absence de légitimité provoque une crise morale et sociale aux douloureuses répercussions économiques sur les classes les plus défavorisées.

- La reconnaissance juridique des victimes républicaines et des victimes du franquisme n'est pas incompatible avec l'analyse historique des faits, mais les historiens ne peuvent en aucune manière remplacer le système judiciaire. Peu d'évènements historiques ont été autant étudiés que la Guerre Civile espagnole et la période franquiste. Pourtant, certains historiens cherchent à remplacer la justice, un comportement contraire à leur profession et que nous ne pouvons que qualifier d'orgueilleux.

- Nous réaffirmons notre soutien au « Plan d'action » susmentionné et nous répétons une fois de plus que tous les points repris dans ce diagnostic de l'impunité en Espagne peuvent être résolus sans modifier la Constitution de 1978. La solution dépend donc exclusivement du bon-vouloir politique des groupes parlementaires qui, en agissant de bonne foi, peuvent donner une réponse à ces problèmes.

Equipo Nizkor, 14 avril 2012

Les organisations suivantes présentent ce document:
  • AfarIIREP - Association des familles et des amis des victimes républicaines du franquisme. Ana Viéitez Gómez, Présidente.
  • Asociación Memoria Andando, Jean Vaz, President.
  • Association pour la création d'un regroupement d'archives de la guerre civile, des brigades internationales, des «Niños de la guerra» (enfants de la guerre), de la Résistance et de l'exil espagnol - AGE (Archivo Guerra y Exilio - archive guerre et exil), Dolores Cabra, secrétaire générale.
  • FAMYR - Fédération asturienne Mémoire et République.
  • Verdad y Justicia de Valladolid.

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