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24oct46
Compte-rendu de la trente-sixième séance plenière de l'Assemblée générale au cours de laquelle la "Question espagnole" a été abordée.
TRENTE-SIXIEME SEANCE PLENIERE
Tenue le jeudi 24 octobre 1946 à 16 heures.90. Discussion générale (suite) : Discours de M. van Langenhove (Belgique), de M. Velloso (Brésil), de M. Charles (Haïti) et de M. Ulloa (Pérou)
Président: M. P.-H. Spaak (Belgique).
90. Discussion générale (suite) Le Président: L'ordre du jour appelle la suite de la discussion générale.
La parole est à M. van Langenhove, représentant de la Belgique.
M. van Langenhove (Belgique) : Les principaux organes des Nations Unies fonctionnent aujourd'hui depuis près de neuf mois. L'Assemblée est saisi des rapports qu'ils lui ont faits sur leurs activités. Nous pouvons ainsi nous former une première opinion sur le fonctionnement de ces organes. C'est l'occasion de nous demander dans quelle mesure. celui-ci répond à notre ) attente.
Le Conseil de sécurité occupe une place éminente dans notre Organisation. Aux termes de la Charte, il a la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales. Son activité fut, depuis sa fondation, considérable. Pour en rendre compte, il n'a pas fallu moins d'un volume de 300 pages. Ce premier bilan est-il satisfaisant? Le Conseil a-t-il rempli la mission qui lui est assignée?
Au cours de la période de quelques mois qui vient de s'écouler, la sécurité ne fut pas réellement menacée. Le Conseil fut cependant saisi de plusieurs questions délicates. Les débats retentissants auxquels elles donnèrent lieu présentent une particularité qu'il importe de noter. Ils mirent surtout aux prises des représentants des membres permanents du Conseil.
Les auteurs de la Charte étaient partis de l'idée parfaitement juste que le maintien de la paix dépend avant tout de l'entente et de l'action solidaire des grandes Puissances. C'est là la condition fondamentale du système de sécurité que la Charte instaure et c'est à elle que répond la règle du veto.
Dès l'origine, les prévisions des auteurs de la Charte se sont trouvées, sur ce point, en défaut et le mécanisme de la sécurité a été paralysé. Le Conseil de sécurité s'est révélé dans la pratique comme une institution où les Puissances viennent porter devant l'opinion publique les questions qui les divisent. Les controverses qu'elles suscitent peuvent présenter des inconvénients ou conduire à des abus; elles ont cependant aussi leur avantage, car il est utile que les Etats aient la faculté, soit d'exposer ouvertement leurs griefs, soit de répondre à ceux dont ils sont eux-mêmes l'objet.
De telles discussions résultent du rôle que le Conseil de sécurité est appelé à remplir dans le règlement pacifique des différends, mais les auteurs de la Charte avaient surtout insisté sur l'action que le Conseil doit exercer en cas de menace contre la paix, de rupture ' de la paix, et d'actes d'agression. C'est dans ce domaine qu'ils avaient le plus innové par rapport aux dispositions du Pacte de la Société des Nations, qu'ils avaient essayé d'en corriger les faiblesses.
Les Nations Unies se sont engagées à appliquer les décisions du Conseil. Celui-ci doit disposer de la force nécessaire pour les faire observer et être en mesure d'intervenir immédiatement; mais cette rapidité et cette force dans l'exécution supposent des décisions; or, dès les premiers mois de son activité, le Conseil a été incapable d'en prendre à la majorité requise, même dans des affaires d'importance limitée.
Certes, il n'en a pas résulté jusqu'ici de conséquences graves pour la paix, mais les Nations Unies ne peuvent manquer d'en dégager un enseignement pour l'avenir. Aussi longtemps que les relations entre les membres permanents resteront ce qu'elles sont à présent, les Nations Unies ne sauraient trouver dans le Conseil les garanties de sécurité qu'il devait leur apporter.
A la conférence de San-Francisco, la délégation belge critiqua les règles du veto. Mais elle s'inclina devant les décisions prises et se prêta à une application loyale du système.
L'expérience a justifié ses objections. Elle est toutefois disposée à poursuivre cette expérience. Pas plus aujourd'hui qu'alors, elle ne propose l'abrogation du veto. Elle reconnaît, tout en le regrettant, que les peuples n'bnt pas encore suffisamment conscience de leur interdépendance, et que tous ne sont pas encore disposés à s'incliner devant la décision de la majorité.
Ce que la délégation belge a combattu, ce qu'elle combat encore, c'est l'extension excessive donnée à la règle du veto et l'abus qui est fait de son usage. Les faits l'ont confirmée dans son opinion.
Si les membres du Conseil ne font pas un usage prudent des pouvoirs exceptionnels qui leur ont été conférés, l'amendement de la Charte finira par s'imposer, ou bien, à défaut de semblable amendement, le Conseil de sécurité, réduit à l'impuissance et incapable de remplir sa mission, verra s'évanouir complètement l'autorité dont il doit jouir.
Parmi les questions au sujet desquelles les règles du veto ont paralysé l'action du Conseil de sécurité, il en est une qui a suscité l'intervention du Gouvernement belge et que je voudrais, pour ce motif, mentionner spécialement.
L'inscription de la question espagnole à l'ordre du jour du Conseil fut demandée par le représentant de la Pologne, les 8 et 9 avril derniers. Au cours de la procédure, le Gouvernement belge fut amené, par des communications faites successivement en mai et septembre, à contribuer à l'enquête ouverte sur le rôle du Gouvernement espagnol.
Les informations que la Belgique fournit au Conseil visent surtout l'aide que le Gouvernement espagnol a apportée au traître Degrelle, l'un des principaux agents de l'Allemagne en Belgique, pour lui permettre d'échapper au sort qu'il méritait en raison de ses crimes politiques et de ses crimes de droit commun. Elles tendent à montrer que l'attitude de complicité du Gouvernement espagnol à l'égard des agents des Puissances de l'Axe pendant la guerre constitue un élément de trouble en Europe et une menace pour la sécurité.
Le Gouvernement belge ne saurait demeurer indifférent au fait que les divers projets de résolution soumis au Conseil en vue de prendre des mesures positives sont jusqu'ici demeurés sans suite, n'ayant pas obtenu la majorité requise, et que l'affaire reste sans solution.
La résolution adoptée à l'unanimité par l'Assemblée le 9 février fait sienne la déclaration de Potsdam, aux termes de laquelle le Gouvernement espagnol, "ayant été fondé avec l'appui des Puissances de l'Axe, ne possède pas, en raison de ses origines, de sa nature, de ses antécédents et de son étroite association avec les Etats agresseurs, les titres nécessaires pour justifier son admission."
La résolution recommande aux Membres des Nations Unies de se conformer à la lettre et à l'esprit de cette déclaration dans la conduite de leurs futures relations avec l'Espagne.
Il est vain de formuler des déclarations s'il ne doit en résulter aucun effet pratique. Semblable méthode ne saurait grandir le prestige de l'Organisation.
Limitée dans ses initiatives par les dispositions de la Charte comme par les règles de la procédure, la délégation belge ne peut que présenter une proposition tendant à ce que l'Assemblée attire l'attention du Conseil de sécurité sur l'intérêt qu'il y a à prendre des dispositions concrètes, susceptibles de résoudre la question espagnole. Nous vous soumettrons une telle proposition au cours de la présente session.
Depuis la réunion de l'Asemblée générale en janvier dernier, le Conseil économique et social a tenu trois sessions. Ses délibérations ont eu principalement pour objet la constitution de ses Commissions, des accords à conclure avec les institutions spécialisées, la collaboration avec les organisations non gouvernementales, la Conférence internationale de la santé, la question des réfugiés, la Conférence internationale du commerce et de l'emploi, la reconstruction économique des régions dévastées, les questions intéressant l'UNRRA et la pénurie mondiale des céréales.
Le domaine qui a été embrassé est assurément vaste. La délégation belge doit toutefois constater que les décisions intervenues ne portent guère que sur des questions d'organisation.
Si les résultats ont été dans une certaine mesure décevants, la cause en est, semble-t-il, tout d'abord dans des erreurs de méthode. Les mêmes discussions se sont poursuivies devant des instances superposées composées de représentants qui, pour la plupart, représentaient les mêmes pays. Devant chacune d'elles ces discussions se sont renouvelées sans que l'on tînt suffisamment compte des délibérations antérieures.
D'autre part, des préoccupations politiques sont venues trop souvent se mêler à ces discussions qui eussent gagné à demeurer davantage dans les limites du problème concret auquel elles se rapportaient.
Sur le plan technique, la coopération dans le domaine économique et social semble se poursuivre plus efficacement au sein des institutions spécialisées. Il convient de laisser à celles-ci l'autonomie que prévoient les accords que le Conseil a conclus avec elles et dont nous souhaitons l'approbation sans réserve par l'Assemblée.
La Charte a confié au Conseil économique et social une mission propre: celle de coordonner l'activité des institutions spécialisées. Cette tâche est d'une suprême importance, particulièrement dans le domaine économique.
Les déséquilibres qui, dans l'intervalle des deux guerres, ont provoqué des troubles graves dans l'ordre économique, financier et social, ne pourront être évités à l'avenir que si cette tâche est remplie dans des conditions satisfaisantes. Le Conseil économique et social n'y réussira que s'il dispose d'organes consultatifs qualifiés. C'est pourquoi la manière dont la Commission des questions économiques et de l'emploi sera constituée et remplira ses fonctions présente une importance qu'il serait difficile d'exagérer.
Dans le domaine de l'agriculture et de l'alimentation, comme dans le domaine monétaire et financier, les institutions spécialisées ont commencé leur fonctionnement. Il n'en est pas encore ainsi en ce qui concerne le commerce international.
Le Comité préparatoire créé par le Conseil économique et social est, depuis quelques jours, réuni à Londres. Ses délibérations, tendant à élaborer une charte du commerce, seront facilitées par le projet détaillé que le Gouvernement des Etats-Unis a préparé et qui paraît être une utile base de discussion.
La Belgique, étroitement associée dans ce domaine avec les Pays-Bas et le Luxembourg, prêtera un concours sans réserve à la réalisation de cette vaste entreprise.
L'Assemblée est saisie des rapports que le Conseil économique et social lui a adressés sur la question des réfugiés et le projet relatif à la . constitution de l'Organisation internationale des réfugiés; sur les mesures prises en vue d'assurer les fonctions et pouvoirs antérieurement exercés par la Société des Nations, aux termes de diverses conventions internationales concernant les stupéfiants; sur le transfert d'autres fonctions et activités exercées par la Société des Nations.
Le Conseil a également élaboré des accords avec plusieurs institutions spécialisées. La délégation belge donnera en général son approbation à ces rapports et à ces accords.
Une résolution de l'Assemblée, en date du 2 février, a porté devant le Conseil économique et social le problème de la reconstruction économique des régions dévastées. La Sous-Commission qui fut chargée d'en entreprendre l'étude s'est livrée, dans le temps limité dont elle disposait, à des investigations étendues et a formulé des suggestions d'un haut intérêt. La délégation belge regrette que le Conseil économique et social ne les ait pas jusqu'ici adoptées dans leur intégralité. Le Conseil ne remplirait pas entièrement sa tâche s'il limitait son examen à l'aide directe à apporter aux pays qui ont le plus souffert de la guerre. Il faut, en effet, éviter une reconstruction désordonnée, conduisant à de nouvelles dislocations économiques et â de nouveaux obstacles à la coopération internationale. Il faut, au contraire, que les plans de restauration économique s'harmonisent et contribuent au développement économique de l'Europe tout entière.
A cet égard, la création d'un organe coordinateur d'une Commission économique européenne, que la Sous-Commission a proposée et dont le Conseil a réservé l'examen à sa prochaine session, paraît s'imposer.
Le Gouvernement belge entend appliquer loyalement les dispositions des Chapitres XI et XII de la Charte. Il est aujourd'hui en mesure de soumettre à l'approbation de l'Assemblée générale un projet d'accord de tutelle pour le territoire du Ruanda-Urundi, administré par la Belgique. Cet accord s'inspire étroitement des principes de la Charte. Il confirme le devoir strict, que la Belgique observera scrupuleusement, d'administrer le territoire sous tutelle avant tout dans l'intérêt de ses propres habitants, de favoriser la participation croissante de représentants qualifiés des populations à l'administration du territoire, de favoriser le progrès politique, économique et social du territoire, conformément aux buts du régime de tutelle, d'assurer aux ressortissants des Nations Unies la parfaite égalité avec les nationaux belges en matière sociale, économique, industrielle et commerciale, enfin de remplir les obligations du territoire en vue du maintien de la paix et de la sécurité internationale.
L'œuvre accomplie depuis trente ans par la Belgique dans l'administration du Ruanda-Urundi au bénéfice des populations qui habitent ce territoire est un gage des progrès nouveaux que le statut de tutelle permettra d'accomplir.
La Cour internationale de Justice est le principal organe judiciaire des Nations Unies. Elle renforce, par ses avis consultatifs, l'action de l'Assemblée générale et du Conseil de sécurité, lesquels peuvent recourir à elle pour la solution de toute difficulté susceptible de considération juridique. Par ses arrêts, la Cour se prononce, à titre définitif, sur les différends internationaux dont elle est saisie. Les Membres des Nations Unies doivent, en vertu d'une disposition expresse de la Charte, se conformer à ses décisions, et il appartient au Conseil de sécurité de veiller au respect de cette obligation.
De plus, il est prescrit au Conseil de tenir compte, dans l'exercice de ses propres attributions, du fait que, selon les prévisions de la Charte, c'est à la Cour que les différends de nature juridique doivent normalement être soumis par les Etats intéressés.
Enfin, par une clause spéciale, le Statut de la Cour, partie intégrante de la Charte, prévoit la faculté pour les Etats de reconnaître pour obligatoire la juridiction de la Cour à l'égard des différends de nature juridique.
La Cour internationale de Justice apparaît, en conséquence, comme un des rouages essentiels du mécanisme établi par la Charte pour la sauvegarde de la paix du monde.
La Belgique est traditionnellement attachée à la cause de l'arbitrage et de la justice internationale. Son Gouvernement ne saurait trop insister sur l'importance qu'il attribue au rôle de la Cour parmi les facteurs dont l'action doit progressivement conduire à la formation d'un droit international efficace. La Belgique avait accepté la juridiction obligatoire de la Cour permanente de Justice internationale. Le Gouvernement belge saisira incessamment le Parlement d'un projet de loi l'autorisant à accepter de même la juridiction de la nouvelle Cour.
La conclusion d'un accord de tutelle, la reconnaissance de la compétence obligatoire de la Cour de Justice internationale, telles sont les deux principales mesures que la Belgique a prises ou compte prendre dans le cadre de notre Organisation, et que nous avons jugé utile de porter à la connaissance de l'Assemblée.
La délégation belge a tenu à formuler en même temps les observations que lui ont suggérées les principales activités de l'Organisation. Nous l'avons fait sans réticence. C'est rendre service à l'Organisation que d'exprimer franchement nos critiques, si nous le faisons dans un esprit constructif. Constater des insuffisances ou des faiblesses n'est point, pour nous, une marque de découragement. C'est, au contraire, la manifestation de notre désir de voir grandir notre institution et s'accroître son efficacité, au bénéfice de tous les peuples. Ce désir ne cessera de dominer nos actions.
Le Président: La parole est à M. Velloso, représentant du Brésil.
M. Velloso (Brésil) : Je voudrais tout d'abord exprimer à la ville de New-York, au nom de la délégation du Brésil, notre très vive reconnaissance pour l'aimable hospitalité qu'elle nous offre pendant les travaux de l'Assemblée générale.
Les Nations Unies ont vu le jour sur le sol des Etats-Unis; leur création a été inspirée par le grand Président Roosevelt, aidé par son émi-nent Secrétaire d'Etat, l'honorable Cordell Hull. Le plan établi à Dumbarton Oaks a été approuvé à San-Francisco par les Etats qui font partie des Nations Unies. Ceux-ci ont créé la Charte destinée à régir dorénavant leurs rapports. Il y a là un sens qui ne doit pas nous échapper et sur lequel, en tant que fils de ce continent, j'ai quelque plaisir à insister.
Terre de liberté, habitée par des peuples dépourvus des préjugés accumulés dans d'autres continents par des siècles de luttes incessantes, P Amérique, berceau de la plus grande de toutes les démocraties, offre aux Nations Unies une occasion sans précédent pour s'épanouir et accomplir leur haute mission politique, économique, sociale et culturelle.
Le Brésil, au double titre de membre de la communauté des Nations et d'Etat faisant partie intégrante de cet hémisphère, se sent fier d'avoir contribué à la création de la Charte des Nations Unies. Son passé, sa tradition pacifique, son amour de l'ordre, son respect de la loi et ses sentiments démocratiques le portaient à accueillir avec empressement l'idée de l'organisation d'une société internationale disposée à maintenir la justice et le respect des traités et autres sources du droit des gens.
C'est pourquoi mon pays a prêté son concours le plus entier à l'initiative prise par les grandes Puissances. Il a pris part non seulement à la conférence de San-Francisco mais aussi, dès le mois d'août 1945, aux travaux préparatoires qui ont précédé la première partie de la première session de l'Assemblée générale.
Les Nations Unies ont quelques mois à peine d'exercice. Le fait que le Conseil de sécurité, le Conseil économique et social et autres organes ont siégé régulièrement depuis le moins de janvier de la présente année ne veut pas dire que les Nations Unies ne soient pas encore en voie d'organisation, avec un corps de fonctionnaires incomplet, un budget à l'état de projet, le problème du siège permanent en suspens, et ainsi de suite.
Ajoutons à cela la situation mondiale d'après-guerre, par suite du retard apporté à l'élaboration et à la signature des traités de paix.
Nous avons eu, tout compte fait, une très courte période d'exercice, pendant laquelle nous étions en plein travail d'organisation, dans un monde qui attend toujours le retour à la situation normale. Il serait tout à fait prématuré, dans ces conditions, de vouloir juger le rôle qui a été joué, jusqu'à présent, par les Nations Unies.
Je tiens à dire que mon pays a une très grande foi dans la cause des Nations Unies. Après les années douloureuses que nous venons de vivre, nous ne pouvons pas concevoir le monde au seuil duquel nous nous trouvons sans un soutien comme celui que les Nations Unies se proposent de nous offrir au bénéfice de l'humanité. Là est la garantie du maintien de l'ordre et de la sécurité internationales sous un ordre politique et juridique assurant aux vainqueurs aussi bien qu'aux vaincus le respect de leur vie, de leurs droits et de leurs libertés.
Comme vous le voyez, je vous parle les yeux fixés sur notre Charte. Celle-ci est la seconde tentative faite, pendant une durée de vingt-cinq ans, pour donner aux peuples un statut leur permettant de vivre eh société dans un monde policé et civilisé.
On a cherché, à Dumbarton Oaks et ensuite à San-Francisco, à améliorer le Pacte de la Société des Nations par l'introduction dans la Charte des Nations Unies de dispositions en un sens plus réalistes que celles contenues dans l'instrument dont l'invasion de la Mandchourie avait marqué la faillite. La plus essentielle de ces dispositions marquant la différence entre le Pacte et la Charte, est la création d'un Comité d'état-major pour assister le Conseil de sécurité en cas de menace à la paix, de rupture de la paix et d'agression.
Les Nations Unies ont été fondées sur un principe d'un très grande portée. Ce principe, pour lequel les inspirateurs de notre Organisation ont montré le plus grand attachement, avant et pendant la conférence de San-Francisco, a été inscrit à l'Article 27 de la Charte. Dans leur esprit, pour que les Nations Unies puissent subsister et accomplir leur mission, l'unanimité parmi les membres permanents du Conseil de sécurité, c'est-à-dire les grandes Puissances, était indispensable; sans cela, les Nations Unies cesseraient d'exister.
L'Article 27, si on le considère à la lumière du principe de l'égalité juridique des Etats, a été un très gros prix payé par les petites et moyennes nations pour l'obtention d'une charte. Cette disposition de notre statut est plus familièrement connue sous le nom de droit de veto accordé aux membres permanents du Conseil de sécurité.
Le Brésil, quoique doctrinairement opposé au droit de veto, l'a accepté, dans un esprit cons-tructif, en vue d'aboutir. Nous avons pensé que si les Etats, d'un point de vue doctrinaire, sont égaux devant la loi, leurs responsabilités eu égard au maintien de la paix sont en raison directe de leurs moyens d'action et, par conséquent, ne se comparent pas. Pour ce motif, nous avons estimé qu'il fallait faire crédit aux grandes Puissances.
Il est évident, toutefois, que ce crédit, consenti dans le même esprit par la majorité des Membres des Nations Unies, engage les grandes Puissances, qui en bénéficient, à lui faire honneur. Elles y parviendraient, en premier lieu, en joignant leurs efforts dans l'intérêt de la réorganisation du monde. Nous reconnaissons tous que la tâche n'est pas aisée. Mais nous sommes persuadés, en même temps, que les obstacles, pour difficiles qu'ils soient, ne tiendraient pas devant leur bonne volonté et leur désir sincère de réaliser tout ce qui a été souscrit depuis la Charte de l'Atlantique.
Les peuples ont un désir suprême, à l'heure actuelle. Après les terribles souffrances de la dernière guerre, les peuples aspirent à l'ordre et à la paix. Deux points les rendent anxieux: le désir du retour à l'ordre et l'espoir que ce retour sera durable. Ils ne supporteraient pas l'idée d'avoir à subir, à chaque génération, des horreurs chaque fois plus excessives, imposées par l'illusion de régler par la guerre des problèmes que la guerre ne résout jamais. La paix repose, sans doute, dans les mains des grandes Puissances; mais le monde ne se résignerait pas à l'idée que leurs conflits d'intérêts justifieraient le sacrifice du bien-être de l'humanité.
Revenons au Préambule de notre Charte, où il est dit que nous sommes résolus "à préserver les générations futures du fléau de la guerre qui: deux fois en l'espace d'une vie humaine, a infligé à l'humanité d'indicibles souffrances". Les nations ont souvent une mission historique a accomplir dans le monde; si c'est leur destinée, rien ne peut s'y opposer. Mais aujourd'hui, ce serait une folie, ce serait un crime que de vouloir l'accomplir hors du cadre des Nations Unies, auquel elles appartiennent.
Une lourde tâche nous attend. Nous sommes réunis ici tout d'abord pour terminer le travail commencé à Londres au début de l'année. Entre temps, "beaucoup d'autres sujets ont été proposés à notre étude. Nous sommes en présence d'un ordre du jour des plus chargés. Par ailleurs, nous nous réunissons avec un notable retard, à la suite d'un double ajournement.
Tous les sujets soumis à notre examen ont, il va sans dire, une très grande importance; quelle que soit leur nature, ils méritent de notre part la même attention. Mais au stade actuel atteint par les Nations Unies, je,n'hésite pas à dire qu'il en est qui présentent un intérêt principal. Ce sont d'abord ceux qui ont trait à l'organisation et, ensuite, ceux dont l'examen nous à été recommandé par des organes tels que le Conseil économique et social, etc. Nous devons y concentrer nos efforts si nous tenons au plein rendement du travail des Nations Unies et si nous voulons que, sortant enfin de la phase préparatoire qui a assez duré, les Nations Unies soient prêts à remplir le rôle pour lequel elles ont été créées.
Tel est le but de la délégation du Brésil en venant participer à la seconde partie de la première session de l'Assemblée générale, maintenant réunie à New-York. En agissant de la sorte, le Brésil est conséquent avec l'attitude objective et constructive adaptée par lui à San-Francisco, visant essentiellement à la formation et au développement des Nations Unies dans le monde. Cette Assemblée générale peut compter sur notre concours le plus entier pour que l'œuvre entreprise soit menée à bien dans le plus court espace de temps possible.
Le Président: La parole est à M. Charles, représentant d'Haïti.
M. Charles (Haïti) : Un monde nouveau est en train de naître des morceaux de ce monde qui fut écartelé par la plus terrifiante des guerres. Les peuples, soucieux, ont délégué leur élite pour assurer au nouveau-né l'équilibre et la force dans un climat de paix durable, féconde et heureuse.
La délégation de la République d'Haïti, avec une foi enthousiaste, vient joindre, elle aussi, ses modestes efforts à ceux que vont accomplir les éminents ambassadeurs des Nations Unies.
Les angoisses, . les tortures, les souffrances communes, quels liens puissants et indissolubles dans les moments de péril!
Pendant cinq ans, étroitement soudées les unes aux autres, sans distinction de race, de croyance, de langue ou de religion, fondant ensemble leurs richesses, leurs énergies et leur sang, les nations alliées luttèrent avec une intrépidité incroyable, un courage surhumain dont l'histoire n'a pas offert deux fois l'exemple.
Elles luttèrent ainsi pour sauvegarder la raison d'être du monde: la liberté.
Mais, la guerre finie, les idées restent en armes; la bataille pour la paix continue; car la paix, ce n'est pas seulement la cessation de l'état de guerre. Son rayonnement est le rayonnement même de la liberté. Le citoyen qui est en lutte avec sa conscience n'est pas en paix; le monde qui vit en état de perpétuelle alerte n'est pas non plus en paix. Pour l'homme comme pour l'Etat, la paix, c'est la libération des inquiétudes tragiques; c'est la libération de la faim, de la peur, de l'ignorance; c'est la libération des infirmités honteuses qui ont mutilé affreusement la belle civilisation dont notre siècle était si fier; c'est l'abolition de toutes les barrières, de toutes les bastilles.
Les progrès de la science ont rendu indispensable l'unité internationale. Hier, le monde s'est désagrégé en blocs hostiles avec une rapidité déconcertante parce qu'il lui a manqué ce qui devait le plus en assurer la cohésion : l'esprit de fraternité.
Là est la source véritable de la liberté, de la justice, de la paix, dont l'humanité a une soif si ardente. Seul, l'esprit de fraternité inspire la loi d'entraide mutuelle qui oblige les Etats autant que les ressortissants; seul, il peut expliquer les mouvements généreux d'apostolat et les responsabilités redoutables du leadership; seul, il peut détruire entre les peuples les ferments de haine pour y substituer l'amour, cette force incomparable de tous les temps.
Le professeur Jacques Maritain ne dit pas autre chose quand il affirme que la démocratie est plus qu'un système philosophique, plus qu'une attitude de pensée, plus qu'une doctrine politique, plus qu'une forme de gouvernement: qu'elle est un véritable état d'âme, un état d'âme qui transpire l'amour de l'homme, comme l'illustre citoyen du monde, Franklin Delano Roosevelt, l'a si pleinement incarné.
Fraternité! Entité lumineuse, jaillissante, de flamme et de chaleur, puissiez-vous éclairer les travaux de l'auguste Assemblée, guider la conscience des peuples, afin que "les édifices de l'avenir ne prennent jamais la forme de tombeaux".
Le Président: La parole est à M. Ulloa, représentant du Pérou.
M. Ulloa (Pérou) (traduit de l'espagnol): Quand j'ai eu l'honneur de m'adresser à l'Assemblée générale des Nations Unies, dans la première partie de sa première session à Londres, j'ai eu l'occasion d'exprimer quelques idées qui reflétaient l'opinion de la délégation du Pérou sur l'actualité internationale. C'est également ce que je vais faire maintenant et, par la force des choses, je dois reprendre les mêmes thèmes.
Je disais alors qu'au sein des Nations Unies, il faut avant tout que les grandes Puissances soient convaincues que l'exagération de leurs privilèges et de leurs droits conduira à une dictature internationale; d'autre part, il est non moins nécessaire que les petites Puissances se rendent compte que leurs ambitions excessives conduiraient à l'anarchie internationale. J'ajoutais que l'on trouverait dans le respect par ces deux groupes des limites qui correspondent raisonnablement à leur position, une garantie contre l'établissement d'une dictature internationale, en même temps qu'une garantie de l'existence d'une démocratie internationale. Si l'un de ces groupes outrepasse ces limites en abusant du droit découlant des nouveaux pactes ou en exagérant les aspirations que l'on rencontre dans l'âme des individus comme dans celle des peuples, aucun d'eux ne pourra, livré à ses seules forces, remplir son rôle historique du moment.
De Londres à New-York, les relations internationales ont parcouru une route brève mais accidentée. Les grandes Puissances, ou tout au moins certaines d'entre elles, ont manifesté leur suprématie dans le règlement des problèmes mondiaux, d'une façon qui provient sûrement d'une interprétation abusive des faits et d'une sensibilité exagérée mises au service d'une ambition excessive. .,
C'est ainsi que le danger des prétentions démesurées, auxquelles on devait logiquement s'attendre de la part des petits Etats, dont la position internationale se trouvait collectivement et individuellement diminuée, a été en réalité une manifestation de plus de la suprématie des grands Etats, qui est venue s'ajouter aux privilèges que ceux-ci doivent à la victoire, aussi bien qu'au droit que leur accordait la Charte des Nations Unies elle-même.
C'est ainsi encore que le manque d'harmonie intemationale( s'est révélé dans la façon dont se sont opposés, ou affrontés, les intérêts des grands Etats si bien que les différences établies par la nouvelle Organisation, qui étaient surtout d'ordre juridique, s'accentuent au point de menacer d'ouvrir un abîme spirituel. C'est ainsi enfin que le droit de veto, que les petits Etats ont accepté comme une conséquence inévitable des antécédents du nouveau statut international, paraît ne pas être limité, aussi bien dans la réalité que dans l'intention qui l'a inspiré, aux problèmes de nature à porter atteinte à la sécurité des grands Etats, mais, bien au contraire, s'étendre à d'autres questions dont l'importance, objectivement considérée, ne le justifie pas.
Il y a plus encore. Les petits Etats auraient de bonnes raisons de penser que l'inégalité internationale consacrée par la Charte de San-Francisco--il n'y a pas de raison de recourir, à ce propos, à un euphémisme--n'est pas limitée aux manifestations inévitables de la supériorité de puissance et de l'importance respective des intérêts; mais plutôt que toutes les manifestations de l'égalité, qui ne sont pas de simples déclarations exigées par le protocole international, sont près de disparaître entièrement sous l'effet de cette tendance des grands Etats à s'em*-parer de la direction de la vie internationale et à vouloir exercer un rôle prépondérant sur le plan international.
La propension à faire disparaître l'égalité internationale trouve une expression spirituelle d'autant plus dangereuse, qu'elle se manifeste, sans raison directe de voisinage ou d'interpénétration, pour des motifs politiques ou sociaux de type idéologique ou doctrinaire.
Aujourd'hui, toutes les grandes questions internationales qui se posent ou qui sont soumises à un nouvel examen à la suite de la dernière grande guerre, ne se présentent, ne se discutent et ne se résolvent pas au nom d'une justice stricte, ni de la façon la plus propre à garantir la paix future, ni non plus en prenant avant tout en considération les droits de l'homme, dont la consécration a été la cause fondamentale de la lutte contre les Etats vaincus et l'aiguillon décisif pour la victoire.
Ces grandes questions internationales se résolvent sous l'empire de deux motifs qui sont de faible valeur morale, mais qui n'en sont pas moins les motifs essentiels: en premier lieu, les intérêts des grands Etats, qu'ils apprécient eux-mêmes sous l'influence exclusive d'une politique dominatrice; en second lieu, le fait que ces questions sont résolues sous l'influence d'idéologies qui, avec des formes et des principes différents, s'affrontent de nouveau dans l'histoire^ comme se sont affrontés en leur temps l'esprit de la Révolution française et l'esprit de la Sainte-Alliance pendant la première moitié du dix-neuvième siècle, ou l'esprit de domination des peuples et d'asservissement des hommes et l'esprit de la démocratie internationale et d'affirmation des droits de l'homme pendant cette première moitié du vingtième siècle.
On ne doit pas oublier que de nombreux petits Etats ont renoncé provisoirement, dans le Traité de Versailles ou dans la Charte de San-Francisco, à leur tenace et irrépressible aspiration à l'égalité internationale, parce qu'ils croyaient que cette égalité était impossible en dehors d'un ordre juridique établi, coordonné et efficace, pour l'instauration duquel il était nécessaire d'accepter, pour des raisons imposées par les circonstances, la suprématie de la puissance; mais ils ne croyaient l'accepter que comme une étape qui ne durerait que le temps nécessaire pour que la justice internationale puisse assumer progressivement les fonctions, qu'entre temps, on confiait à un pouvoir qui devait s'exercer uniquement pour la défense du droit.
Nous devons voir dans la protestation qui va se généralisant contre le veto, un acte d'insurrection qui s'impose d'une façon urgente, aussi bien qu'une réaction qui augmente dans la mesure même où s'étend l'abus de ce droit.
Si le veto continue à s'exercer effectivement ou reste possible d'une manière abusive et contraire â sa seule justification acceptable qui est la conception loyale et raisonnable de la sécurité, une nouvelle génération d'hommes d'Etat, de politiciens et de juristes et, ce qui est plus grave, une nouvelle génération d'êtres humains aura échoué, non seulement dans la poursuite du bel idéal du Président Wilson, qui voulait faire du monde un asile sûr pour la démocratie, mais aussi dans la réalisation de l'émouvant idéal de Franklin Roosevelt qui voulait que les hommes puissent vivre sans crainte.
Nous n'aurions fait que remplacer le défunt Traité de Versailles, qui, sur le terrain juridique, permettait d'agir contre les fauteurs de dissension internationale, par une Charte qui autorise le veto et qui aboutit à une sorte de statut moyenâgeux permettant aux grands Etats de se placer au-dessus de l'action de la justice. Et cette même justice, essentiellement représentée par la Cour internationale, n'aurait fait, ce qui est effectivement le cas, aucun pas en avant pour imposer sa compétence dans certaines catégories ou classes de conflits, ni pour étendre l'exercice de son autorité sur tous les membres de ia communauté internationale.
Pour que l'Organisation des Nations Unies se développe et se fortifie au point de devenir un régime général englobant la communauté internationale, deux conditions essentielles sont nécessaires, parmi beaucoup d'autres. L'un de ces facteurs est l'effort qui peut être lent, mais qui doit être effectif, vers l'universalité de l'Organisation. Celle-ci doit être, toujours davantage, une association de tous les peuples par l'intermédiaire de leurs éléments représentatifs qui sont les Gouvernements et, de moins en moins, un instrument destiné à perpétuer les avantages d'ordre politique et matériel issus de la victoire.
Le Pérou pense que tous les Etats doivent graduellement faire partie des Nations Unies chaque fois que leur système politique n'est pas contraire aux nouveaux fondements essentiels de la communauté internationale. Et en premier lieu, naturellement, tous ceux qui ne furent pas belligérants mais dont la neutralité, dans un grand nombre de cas, a contribué à la victoire et a été un appui précieux alors que les choses auraient ,pu tourner autrement si, en ces moments critiques, ces Etats s'étaient laissés aller au mirage du triomphe antidémocratique ou à la menaçante pression de la force.
Une autre des conditions nécessaires pour que les Nations Unies grandissent et se fortifient est qu'il ne se conclue de conventions internationales destinées à créer un nouveau statut juridique, que dans le cadre de l'Organisation.
L'avenir de la paix et de la civilisation, si on l'envisage du point de vue du progrès spirituel et matériel des hommes n'est plus garanti par les conventions ou traités dans lesquels, sous l'influence exclusive des intérêts des grandes Puissances, on impose aux Etats vaincus, qui déjà n'existent plus en tant qu'entité gouvernementale mais qui continent et continueront à vivre en tant que peuple sons le régime politique exigé par l'idéologie triomphante, des conditions de vie permanentes aussi arbitraires et absurdes que celles qui ont servi de prétexte ostensible et cependant indéniable à l'explosion frénétique des nationalismes qui rompit le fragile équilibre de la paix du monde établi en 1918, parce que les pactes d'alors ne furent pas capables de garantir la paix.
Nous constatons avec appréhension que des questions qui devraient être principalement considérées du point de vue humain, comme celles du relèvement des peuples et de la reconstruction des régions dévastées, celle des réfugiés et celle des réparations, sont considérées avant tout à un point de vue politique d'opposition d'intérêts et d'idéologies.
Nous croyons que deux questions à l'ordre du jour de cette Assemblée présentent un intérêt supérieur aux considérations de circonstance et compromettent l'existence même de l'Organisation des Nations Unies: la question particulière du veto et la question générale de la revision ou modification de la Charte de San-Francisco.
Au sujet de la première, la question du veto, notre avis de principe ou sur le fond a déjà été exprimé. Nous pensons que l'objet même de l'Organisation des Nations Unies est de remplacer graduellement la prépondérance que comporte le veto, manifestation de politique internationale, par une extension de la justice internationale, appliquée également à tous les Etats par tous les Etats. Mais nous considérons que le bouleversement du monde et les périls que court la paix sont tellement grands en ce moment qu'il serait inopportun et imprudent: de prétendre priver maintenant les grandes Puissances d'un instrument légitime de leur sécurité, lequel leur a été concédé il y a peu de temps, pour tenir compte des réalités immédiates.
Nous devons pouvoir éprouver la sincérité et la loyauté des grandes Puissances au regard de l'idéal suprême à la justice internationale, en les invitant à ne faire usage du veto que dans les cas où elles estiment que leur sécurité est directement compromise. Nous croyons que le principe de la sécurité doit être de préférence objectif et non subjectif, qu'il doit jouer dans le cas de menaces ou de périls vraisemblables et non pour des déductions arbitraires qui ne sont qu'un prétexte peu sincère d'affirmer ou de faire valoir des intérêts d'un autre ordre. Si les grandes Puissances n'emploient le veto que pour défendre leur propre sécurité, elles bénéficieront de l'appui moral du monde, appui qui est si nécessaire pour susciter la sympathie, chaque fois que ces Puissances présentent cette sécurité comme argument.
Au sujet de la réforme de la Charte de San-Francisco, nous pensons qu'elle a des défauts susceptibles d'être corrigés sans compromettre les bonnes relations internationales et qu'il y aura toujours d'importantes suggestions à faire ou des possibilités de perfectionnements de la Charte; mais nous croyons que la structure juridique est trop fragile encore et que le rétablissement de la paix en tenant compte de l'équilibre des intérêts est trop récent, pour que nous compromettions notre harmonie en rouvrant le débat relatif à la Charte de San-Francisco sur un terrain instable alors que nous sommes encore dans la période de débordement des intérêts.
Avec son éloquence sincère, le Président de l'Assemblée a reconnu franchement, dans le discours qu'il a prononcé le jour de l'ouverture de cette session, qu'une ambiance de confiance et d'adhésion de la part de l'opinion publique universelle faisait encore défaut aux Nations Unies. Cette réalité démontre un fait d'où on peut tirer une autre conclusion. Ce n'est pas la faute des petits Etats, mais bien des grands, si l'opinion publique universelle n'a pas encore foi dans les Nations Unies.
Nous avons exposé ainsi certaines idées générales que nous considérons comme la condition même de la vie des Nations Unies; la délégation du Pérou, se ralliant à la suggestion de ne pas étendre l'exposé d'un point de vue dans la discussion générale au delà de l'indispensable, se contente d'indiquer sa position avec l'espoir qu'on voudra bien y voir une sincère collaboration au succès commun. Nous avons parlé un langage qui correspond assurément aux sentiments de la majorité, un langage que nous voudrions que l'on parlât plus souvent sans craindre la pleine lumière ni la publicité, mais plutôt les ténèbres et le silence.
Le Président: Je n'ai plus d'orateurs inscrits pour la séance de cet après-midi. Malgré mes prières et mes "menaces", deux orateurs seulement figurent sur ma liste comme devant prendre la parole demain matin et deux autres pour l'après-midi.
Ne supposant pas que vous me permettriez de considérer le débat général comme clos demain matin, je crois qu'il vaut mieux supprimer la séance de demain matin et grouper les orateurs pour demain après-midi.
Ceci m'amène à prier les chefs des délégations de faire un effort afin qu'il soit possible de compléter l'ordre du jour de demain après-midi et celui de samedi matin. S'il n'en était pas ainsi, nous perdrions deux jours.
La prochaine réunion de l'Assemblée générale aura lieu demain à 16 heures.
La séance est levée à 18 h. 30.
Impunité en Espagne et crimes franquistes
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