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DERECHOS


03oct04


Les Politiques Menees par les ifi et leur responsabilite par les violations massives des Droits Humanis suite a l’imposition des programmes d’ajustement structurels.


Remerciements

Je tiens spécialement à remercier au Dr Nuri Albala pour la lecture approfondie de l’article, pour les critiques et pour les apports substantiels.

Index

1.La question des droits humains et les politiques imposées par les IFI
2. Les droits humains à protéger
3. Les institutions financières et économiques internationales
4. L’affaire Barcelone Traction

Introduction

Une question de fond est à la base de cet écrit: les IFI , peuvent- elles être considérées comme étant obligées par le droit international de respecter et de faire respecter les droits humains? Les IFI, doivent- elles inscrire dans ses programmes la protection des droits humains, les droits économiques et sociaux et les droits civils et politiques? La problématique est posée si nous tenons compte que les statuts du FMI et de la Banque Mondiale ne prévient pas les droits humains comme guide des politiques en matière économique et financière. C’est ainsi que l’ancien Premier Vice-Président et Conseiller Juridique de la Banque Mondiale Ibrahim Shihata, se référant en forme particulière aux droits civils et politiques en rapport aux statuts de la Banque, affirmait qu’« .. il est difficile d’en déduire que les prêts de la Banque doivent être subordonnés à l’existence de tels droits… » . Cela en est ainsi parce que « .. l’institution n’était pas en principe autorisée à intervenir dans les rapports politiques entre un pays membre et ses citoyens » .

Sur le plan juridique, la jouissance des droits économiques et des droits civils et politiques est garantie par le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, et par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, adoptés par l’Assemblée générale de l’Onu le 16 décembre 1966. Depuis lors, les 141 Etats qui y ont adhéré se sont engagés à améliorer les conditions de vie de leurs concitoyens, à garantir le droit au travail, à la formation, à un salaire «équitable», à assurer l’exercice du droit de se syndiquer et de grève, à faire que tous les citoyens jouissent du droit à la nourriture, au vêtement et au logement, garantir le droit à la santé et à l’accès à l’éducation, etc. …

Mais la réalité des rapports et d’exercice du pouvoir dans la société internationale est bien différent du cadre juridique de protection des droits humains. Sur le plan international, un petit groupe d’Etats puissants et d'entreprises transnationales prennent à huit clos, des décisions qui déterminent la vie et les conditions de vie des peuples. La société internationale contemporaine fonctionne dans le cadre d’une logique largement déterminée par les «pouvoirs privés», fondé sur une logique marchande et de «marchandisation» de l’être humain et des populations entières de la planète. Dans ce contexte, le FMI et la Banque Mondiale « … fonctionnent selon la logique des entreprises financières privées et du capitalisme mondial, sans grande considération des résultats sociaux et politiques de leurs actions» et en constituent l’organe exécutif des pouvoirs de facto. Ils donc important se demander si ces institutions sont responsables de leurs actes en droit international par les violations des droits humains. En outre, les victimes, les citoyens qui subissent quotidiennement les effets des politiques, peuvent- ils se prévaloir du droit international afin que ces institutions non démocratiques rendent des comptes et que leurs dirigeants assument leurs responsabilités?


1. La question des droits humains et les politiques imposées par les IFI: la négation de la jouissance des droits humains?

« Pendant près de 20 ans, les institutions financières internationales et les gouvernements des pays créanciers ont joué à un jeu ambigu et destructeur consistant à télécommander les économies du tiers monde et à imposer à des pays impuissants des politiques économiques impopulaires, prétendant que la pilule amère de l'ajustement macroéconomique finirait par permettre à ces pays de trouver le chemin de la prospérité et du désendettement. Après deux décennies, dans de nombreux pays la situation est pire que lorsqu'ils ont commencé à mettre en œuvre les programmes d'ajustement structurel du FMI et de la Banque mondiale. Ces programmes d'austérité rigoureux ont eu un coût social et écologique considérable et dans beaucoup de pays l'indice du développement humain a dramatiquement chuté », affirme le Rapport commun présenté à la Commission des Droits de l’homme de l’ONU par le Rapporteur spécial et l’Expert indépendant .

En 1998, le Haut Commissariat des Nations aux Droits de l’Homme avait souligné que le processus de mondialisation de l'économie fait apparaître de nouvelles menaces et incertitudes . De manière ferme rappelle que « ….l'exercice des droits fondamentaux de la population des pays débiteurs à l'alimentation, au logement, à l'habillement, à l'emploi, à l'éducation, aux services de santé et à un environnement salubre ne peut pas être subordonné à l'application de politiques d'ajustement structurel et de réformes économiques liées à la dette… .

Les politiques imposées par les IFI vont exactement dans le sens contraire: elles subordonnent l’obligation du respect des droits humains, y compris la légitimité des gouvernements, à l’application dogmatique de leurs programmes, sans qu’importe le prix des violations des droits humains garantis par le droit coutumier et par le droit conventionnel ni les conséquences dévastatrices de nature sociale et politique. En réalité, les programmes d’ajustement structurel vont au-delà « … de la simple imposition d'un ensemble de mesures macroéconomiques au niveau interne. Ils (sont) l'expression d'un projet politique, d'une stratégie délibérée de transformation sociale à l'échelle mondiale, dont l'objectif principal est de faire de la planète un champ d'action où les sociétés transnationales pourront opérer en toute sécurité. Bref, les programmes d'ajustement structurel (PAS) jouent un rôle de "courroie de transmission" pour faciliter le processus de mondialisation qui passe par la libéralisation, la déréglementation et la réduction du rôle de l'état dans le développement national .

La Commission des Droits de l’Homme de l’ONU avait également souligné que les politiques d’ajustement structurel ont des graves répercussions sur la capacité des PVD d’ajuster leur conduite à la Déclaration sur le Droit au Développement , les privant de mettre en place des politiques nationales de développement dont l’objectif premier est de respecter les droits humains, spécialement, les droits économiques sociaux et culturels à travers l’amélioration des conditions de vie des populations locales. En 1992, la Commission constate de nouveau avec préoccupation que le problème de la dette extérieure persiste, qu'il est toujours plus difficile de briser le cercle vicieux de la dette et du sous-développement, que le service de la dette s'est accru à un rythme beaucoup plus rapide que la dette elle-même et que dans de nombreux pays en développement, y compris dans des pays à faible revenu et à revenu intermédiaire, la charge qui en découle est devenue plus lourde, en dépit de rééchelonnements répétés, et que les initiatives actuelles visant à réduire la dette et la pauvreté et à promouvoir la croissance ne bénéficient pas d'un financement suffisant et sont soumises à plusieurs conditions .

A première vue, ces premiers constats suggèrent que les institutions financières internationales contribuent à la violation massive des droits humains, tant des droits civils et politiques que des droits économiques sociaux et culturels. Selon le Rapport de Bernard Muhdo, Expert indépendant, les politiques d’ajustement structurel, fruit d’une politique consciemment élaborée et appliquée par les responsables du FMI et de le BM, ont eu des conséquences extrêmement négatives sur les droits économiques sociaux et culturels, spécialement en ce qui concerne la santé, l’éducation, l’accès à l’eau potable, la sécurité alimentaire, etc. Le même Expert constate que les politiques menées par les IFI ont été contestées par les citoyens par le biais de mouvements de protestations, violemment réprimés par les gouvernements et les pouvoirs publics, afin de garantir que les plans imposés par ces institutions (privatisations de l’eau, privatisation de l’électricité, privatisation des transports publics, privatisation des hôpitaux, libéralisation des prix de médicamentes, du pain, protection des intérêts des transnationales en matière d’investissements et appropriation des ressources naturelles communes, etc…) . Il y a en conséquence, un lien étroit entre la violation massive des droits économiques, sociaux et culturels et la violation massive des droits civils et politiques. Face à ce type de violation des obligations internationales de la part des pouvoirs publics de l’Etat concerné, le FMI et la BM, aurait dû rappeler aux gouvernements leurs obligations internationales en matière de protection des droits civils et politiques et des droits humains en général . Mais non seulement elles n’ont rien fait, mais encore, au lieu de les stopper ou les suspendre, ces institutions ont poursuivi leur application. A priori, c’est un fait extrêmement grave: ces institutions agissent comme si le droit international n’existait pas et comme si elles n’étaient redevables d’aucune obligation internationale . Le FMI et la BM ont prima facie, agit en toute connaissance de cause des graves et des massives violations des droits de l’homme. Concernant le cas de la Bolivie par exemple, le Rapport constate sur le plan politique, et en lien avec l’application des politiques décidées par le duo FMI/BM « ..la perte de légitimité de l’Etat, (qui)conjuguée à l’influence croissante des médias dans le débat public, a abouti à accorder le quasi-monopole du marché et de culture aux sociétés transnationales.. . Tout ceci combiné avec la crise de légitimité démocratique, suite à ces mesures, au renforcement de la répression et du contrôle de la population et, aux violations gravissimes des droits humains.

En 1999, l’Expert indépendant désigné par la Commission des droits de l’homme a désigné, avec justesse, le processus de mondialisation et le rôle des institutions financières comme faisant partie de la « .. contre-révolution néolibérale.. » qui dans la pratique fait défi de toutes les obligations internationales concernant les droits humains.

A la suite de cette introduction, il s’agit, au – delà des premiers constats factuels, d’analyser les instruments juridiques internationaux qui sont censés d’une part, être contraignants et d’autre part, la détermination des obligations et les sujets dont les droits ils visent à protéger. Cela veut dire qu’il nous faut définir de manière claire le droit en cause, les obligations internationales et surtout qui sont les titulaires du droit et les débiteurs des obligations et voir si ces catégories sont applicables aux IFI.


2. Les droits humains à protéger

Les principes juridiques et règles relatifs aux droits humains

La mondialisation capitaliste qui passe par les impératifs de la libéralisation du système commercial, par le désir de déréglementer les marchés financiers, par celui d’améliorer les régimes d’investissement et par la mise en place par les IFI des politiques de privatisations des biens communs, ne sauraient, en aucun cas, prévaloir sur le respect et la protection des droits de l’homme, quel que soit le sujet, public ou privé. Selon le droit international en vigueur, les droits humains ont la primauté sur ces «valeurs». Dans le contexte de ce processus économico-financier et commercial libéral, la question militaire et sécuritaire est un élément de première importance qui nous permettrait saisir toute l’ampleur du phénomène de régression des droits humains et du droit international en général. Il s’agit dans la pratique d’un ordre où c’est la violence des plus forts qui se manifeste, parmi d’autres, par des guerres d’agression contre les peuples, par des mesures sécuritaires renforçant presque exclusivement l’appareil de répression contre las citoyens, de mesures à la limite de xénophobie contre les étrangers. Et dans cet ordre du droit du plus fort, le FMI et la BM y participent en tant fer de lance du processus de mondialisation et du démantèlement des acquis démocratiques. Selon le droit international, tant conventionnel que coutumier, il existe des principes et des règles juridiques de base ou fondamentaux qui ont trait à la protection internationale des droits humains dont la portée s’étend à tous les sujets de droit international . A cet égard, il est inéluctable faire recours, parmi autant d’instruments internationaux, à la Charte des Nations Unies, à la Déclaration Universelle des droits de l’Homme (qui relève du droit coutumier), à la Proclamation de Téhéran de 1968, aux deux Pactes de 1966 , à plusieurs résolutions de l’Assemblée générale de l’ONU (reflétant le droit coutumier) et d’autres instruments internationaux tel la Déclaration et le Programme d’action de Vienne, le statut de la Cour Pénale internationale (qui recueillit le droit coutumier depuis le Tribunal pénal international militaire de Nuremberg).

Parmi les principes nous pouvons citer:

    1. Les droits humains sont inhérents à tout être humain, quelle que soit sa condition et son genre;

    2. Les droits humains ont une portée universelle;

    3. Les droits humains sont interdépendants, étroitement liés et indissociables ;

    4. Chacun a le droit de jouir de tous les droits de l’homme sans discrimination;

    5. Les droits humains englobent les droits des collectivités et des peuples

    6. Certains droits de l’homme sont inaliénables, comme le prévoit l’article 4 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques;

    7. La violation de certains droits de l’homme dans des circonstances déterminées est un crime contre l’humanité qui relève de la compétence universelle parce que sont des violations des normes de jus cogens.

En ce qui concerne les sujets (et donc les obligations à respecter), la Cour International de Justice dans la célèbre affaire Barcelona Traction avait affirmé que tous les Etats (et à fortiori les Organisations internationales) sont tenus de respecter les normes erga omnes, spécialement, les droits humains, et entre ceux-ci, l’interdiction du crime international de l’apartheid, du génocide, etc. En outre, les normes erga omnes (c’est- à – dire, l’obligation que tous les sujets de droit international doivent respecter et faire respecter) ont été confirmées par la CIJ dans l’affaire du Timor Oriental . Sur ces bases, il est fondé de dire que tous les principes énoncés s’appliqueraient inconditionnellement au FMI/BM/OMC.


3. Les institutions financières et économiques internationales sont tenus de respecter les droits humains dans leur intégralité.

1. Les obligations internationales à respecter

Par la suite nous allons analyser le point essentiel qui nous occupe: les obligations internationales dans le domaine des droits humains et les sujets dont la protection est visée.

L’article 28 de la Déclaration universelle des droits de l’homme dispose que toute personne a droit à ce que règne, sur le plan social et sur le plan international, un ordre tel que les droits et libertés énoncés dans la Déclaration y trouvent plein effet8. L’article 29 tipule que «l’individu a des devoirs envers la communauté dans laquelle seul le libre et plein développement de sa personnalité est possible». Sur le même thème, l’article 30 de la Déclaration est encore plus explicite en stipulant qu’aucune disposition de la Déclaration ne peut être «interprétée comme impliquant, pour un état, un groupement ou un individu, un droit quelconque de se livrer à une activité ou d’accomplir un acte visant à la destruction des droits et libertés qui y sont énoncés». En 1999, l’Organisation des Nations Unies a adopté la Déclaration sur le droit et la responsabilité des individus, groupes et organes de la société de promouvoir et de protéger les droits de l’homme et les libertés fondamentales universellement reconnus qui appelle l’attention sur cette question.

En ce sens, l’article 5 du Pacte sur les Droits civils et politiques énonce ce qui suit :

« 1. Aucune disposition du présent Pacte ne peut être interprétée comme impliquant pour un Etat, un groupement ou un individu un droit quelconque de se livrer à une activité ou d'accomplir un acte visant à la destruction des droits et des libertés reconnus dans le présent Pacte ou à des limitations plus amples que celles prévues audit Pacte. 2.Il ne peut être admis aucune restriction ou dérogation aux droits fondamentaux de l'homme reconnus ou en vigueur dans tout Etat partie au présent Pacte en application de lois, de conventions, de règlements ou de coutumes, sous prétexte que le présent Pacte ne les reconnaît pas ou les reconnaît à un moindre degré ». Il apparaît comme une évidence que les premiers responsables de respecter et de faire respecter les droits humains sont les Etats (obligation qui en dernier ressort incombe aux gouvernements). D’une part, c’est à eux qui revient la tâche essentielle de prendre les mesures d’ordre interne par l’action (constitutionnelles, législatives, administratives, etc.) afin d’assurer la pleine jouissance des droits et, d’autre part, abroger, annuler, suspendre l’application des mesures législatives qui y sont en contradiction. Néanmoins, si les Etats sont les premiers destinataires de la protection, cette même obligation s’appliquerait à tous les sujets de droit international. Cette affirmation se révèle même nécessaire dans la mesure où dans le processus de mondialisation, suite à l’action des firmes privées (transnationales), du groupement d’Etats puissant (G 7) et des institutions économiques internationales (FMI/BM /OMC/OCDE), les pouvoirs publics locaux, et donc les gouvernements, ont été délibérément dépossédés de leurs pouvoirs en matière économique et sociale au profit des SNT . Les Etats, et par conséquent les pouvoirs publics, interviennent de plus en plus pour assurer l’exécution des pouvoirs des SNT et des intérêts privés , au lieu d’assurer le pleine jouissance des droits humains. Notons que ces pouvoirs de facto de la société internationale, sans légitimité démocratique, sont les responsables directs de l’attaque brutale contre les droits démocratiques, contre les acquis sociaux de l’humanité, contre le rôle social et économique de l’Etat , enfin contre l’Etat lui- même et ses attributs traditionnels la plénitude et l’exclusivité des compétences sur un territoire déterminé . La responsabilité de ces groupements de facto et celle des institutions internationales a été bien soulignée dans le rapport soumis par le Secrétaire général à l’Assemblée générale de l’ONU, lorsqu’il affirme: « ..aujourd’hui, on tend généralement à demander aux gouvernements d’assumer trop de responsabilités, oubliant que l’ancienne conception du rôle de l’état dans le développement n’a plus cours…Et alors que rien n’est dit des responsabilités internationales ou du rôle de l’économie mondiale et de ses mécanismes et instruments, ou encore de leur contribution au système politique actuel et au régime de gouvernement du monde moderne – responsabilités qui incombent à ces systèmes –, l’on impute aux gouvernements des maux, des difficultés et des problèmes qui trouvent essentiellement leur origine sur la scène internationale. Or, ce type de démarche n’est ni objectif, ni juste, en particulier à l’égard des pays en développement qui n’ont guère leur mot à dire dans les décisions fondamentales prises à l’échelle internationale et qui, pourtant, sont accusés d’entraver le développement, tandis que les causes profondes des inégalités sur le plan international sont passées sous silence… » .

Il est donc une erreur de fond de considérer les Etats comme les seuls responsables de la violation des droits de l’homme lors de l’application des règles commerciales multilatérales ou à la suite de l’application des mesures imposées par le FMI/BM . En effet, tant la pratique que la jurisprudence internationales confirment effectivement que les institutions internationales , quelle que soit leur nature, sont tenues de respecter le droit international, en particulier les règles régissant la protection internationale des droits humains .

2. Les IFI sont tenues de respecter et faire respecter les obligations concernant le respect des droits humains

Comment réagissent les institutions économiques, financières et commerciales face à la question de l’obligation de respecter et de faire respecter les droits humains? Tout d’abord, selon une première thèse très répandue au sein du FMI et de la BM ( y compris l’OMC), ce ne sont pas les institutions les responsables des violations des droits de l’homme, mais les Etats membres, pris individuellement. C’est les Etats membres qui décident finalement les politiques que ces institutions doivent appliquer. Cette prétention de dé-responsabilisation est irrecevable en droit international, même si à première vue l’argument paraît convaincant. Si formellement l’argument cité peut paraître sérieux, rappelons simplement que les mécanismes de prise des décisions ne reposent pas sur la pratique de l’égalité et de démocratie, ou sur la règle de l’égalité entre Etats. Au contraire, ces institutions sont essentiellement censitaires, très éloignées de la démocratie: dans ce type de système c’est les pays industrialisés du Nord qui mandent et décident et les pauvres écoutent . De là que «responsabiliser les Etats» en général, c’est ignorer un fait essentiel: le FMI et la BM sont avant tout des organismes dans les mains des pays industrialisés et agissant par leur compte. Nous pouvons ainsi déceler que le régime de responsabilité étatique est mieux ciblé: il y a une responsabilité des Etats membres, mais principalement celle des Etats qui détiennent le pouvoir et son exercice, le FMI et la Banque Mondiale, partageant pleinement les mêmes responsabilités en cas de violations des droits humains.

De plus, deux arguments plaident aussi en faveur de cette réponse affirmative:

    1. parce que l’argumentation développée par ces institutions suggère qu’elles ne sont régies que par leur droit propre et non par les règles du droit international et,

    2. parce qu’elle est une atteinte assez grave au droit international, à sa primauté, et que de plus l’argument des IFI peut mener à la négation du droit en tant qu’instrument de régulation des relations internationales.

En outre, si nous suivions la logique des responsables de ces institutions, cela viendrait à dire que celles-ci n’ont pas de vie propre (c’est d’abord les Etats les responsables), qu’elles n’ont pas des organes propres permanents et qu’elles sont privées du droit interne qui leur confèrent les moyens d’exercer leurs compétences. Notons ici que tant le FMI, la BM et l’OMC sont avant tout des Organisations internationales dans le sens strict du terme. En tant que telles, elles possèdent une personnalité juridique internationale , elles ont leurs propres organes , elles sont dotées des compétences par le traité ou accord de base (compétences d’attribution) . Et surtout, en tant qu’Organisations internationales, elles ont des droits et des obligations. En règle générale, il va donc de soit qu’aucune entité sérieuse, aucune organisation internationale qui prétend agir comme sujet de droit international; aucune organisation internationale qui entend exercer ses compétences et qui prétend avoir une personnalité juridique internationale ne peut sérieusement argumenter qu’elle est exemptée de respecter les obligations internationales, spécialement les règles de protection des droits humains . En tant que sujet de droit international, toute organisation internationale (FMI/BM/OMC…) est soumise au droit international, incluant la soumission aux règles de protection des droits humains .

En conséquence, les IFI (y compris l’OMC), en tant que sujet de droit internationale peuvent être parfaitement tenues comme responsables des manquements graves au droit international, spécialement, des manquements qui trouvent leur origine dans la violation des règles de protection des droits de l’homme ou dans la violation des normes impératives (interdiction de crimes contre l’humanité), que ce soit par action ou par omission.

En second lieu, l’autre thèse avancée a trait au droit interne, soit l’argument d’ordre «constitutionnel» . Cette question nous renvoi au principe de spécialité des organisations internationales, qui n’exercent leurs compétences que dans la mesure où leurs statuts prévoient des telles attributions. Elles sont avant tout, à la différence des Etats, des sujets dérivés du droit international. En principe, ces institutions internationales ne peuvent exercer des compétences que dans les domaines spécifiques par lesquels elles leur ont été attribuées . Ainsi par exemple, l’article 4 section 10 de l’accord créant la Banque Mondiale stipule que la BM et ses dirigeants n’interviendront pas dans les affaires politiques d’un Etat. Seulement des considérations d’ordre économique pourront inspirer leur décisions . Mais l’obligation de respecter et de faire respecter les droits humains ne peut être considérée comme constituant une affaire politique et par conséquent, il ne peut être retenu comme argument juridique .

Les violations systématiques et en grand échelle des droits humains de la part d’un Etat ne s’inscrit sûrement pas dans la ligne énoncée par l’accord créant la BM. Tant la BM que le FMI ne peuvent invoquer leur «droit constitutionnel» pour se dérober des obligations de protéger les droits humains sous prétexte que leurs décisions doivent être guidées exclusivement par des considérations d’ordre économique. Il est important souligner que les politiques menées par les institutions de Bretton Woods ont des répercussions directes sur la vie et les droits fondamentaux de tous les peuples étant donné la vaste portée des activités de ces institutions . De manière plus concrète, elles ne pouvaient pas ignorer, comme dans le cas de la dictature argentine, que leurs politiques ont contribuée de manière décisive à ce que le régime militaire planifie et ordonne l’exécution des crimes contre l’humanité. Dans le cas particulier de l’Argentine, pour n’en citer qu’un, aucun doute n’est permis sur le fait que ces deux institutions ont, par le biais de l’appui économique et financier à la dictature , participé sciemment dans ces violations spécialement graves du droit international.


4. L’affaire Barcelone Traction: la normativité universelle et les obligations erga omnes

Au cours de cet écrit il a été affirmé en tant qu’hypothèse, que le FMI et la Banque Mondiale ne peuvent pas se dérober de ses obligations internationales en matière des droits humains. Cependant, un problème de fond demeure intact et qui mérite au moins une analyse très brève: les statuts de la BM et du FMI ne contiennent aucune référence explicite en ce qui concerne l’obligation de protéger les droits humains. Elles, en tant qu’organisations internationales ne sont Parties aux deux Pactes de 1966 ni à d’autres conventions, telles la Convention sur l’imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité ou la Convention contre la torture et d’autres traitements ou peines cruels o dégradants de 1984. Cela dit, nous revenons à la question essentielle: les IFI, peuvent -elles tenues comme ayant à leur charge des obligations internationales en dehors de tout lien conventionnel ? La consécration par la jurisprudence internationale de la théorie de l’obligation erga omnes apporte une réponse affirmative.

En 1970, la CIJ dans un passage remarquable posa le principe d’une « distinction essentielle… entre les obligations des Etats envers la communauté internationale dans son ensemble et celles qui naissent vis-à – vis d’un autre Etat dans le cadre de la protection diplomatique » .

Pour la CIJ, les obligations « vis- à – vis de la communauté internationale » sont bien différentes de la situation des obligations d’un Etat envers un autre car, « .. vu l’importance des droits en cause, tous les Etats peuvent être considérés comme ayant un intérêt juridique à ce que ces droits soient protégés : les obligations dont il s’agit sont des obligations erga omnes » .

La CIJ, en vue d’apporter plus de lumière sur les obligations erga omnes, cite quelques exemples des obligations au respect duquel tous les sujets de droit international ont un intérêt juridique :

« ..ces obligation découlent par exemple… de la mise hors la loi des actes d’agression et de génocide mais aussi des principes et des règles concernant les droits fondamentaux de la personne humaine, y compris la protection contre la pratique de l’esclavage et la discrimination raciale » .

Selon la CIJ, il existe en droit international contemporain de normes de nature impérative qui s’appliquent à tous les sujets et qui se placent au–dessus de leur volonté. Cela dit, les obligations erga omnes, dont les droits humains font indiscutablement partie en tant que droit coutumier, dépassent le cadre strictement conventionnel (c’est–à –dire, au–delà du consentement manifesté dans un accord, convention ou traité) . Au risque de le répéter, il est important rappeler que ces obligations s’appliquent non seulement aux Etats mais qu’elles s’étendent à tous les sujets de droit international qui sans aucun doute inclut les IFI .

Ainsi, contrairement à la prétention des IFI, l’obligation de respecter les droits de l’homme, même si celle- ci ne figure pas dans leurs statuts, leur sont intégralement applicables en tant qu’obligation internationale. Comme il a été reconnu dans plusieurs rapports au sein de la Commission des Droits de l’Homme de l’ONU, par l’Assemblée générale et par la Commission des Droits de l’Homme elle- même, l’application constante et permanente de leurs politiques constituent une violation des obligations internationales concernant la protection des droits humains. Cette affirmation repose également sur le fait que les IFI n’ont pas fait preuve de la diligence nécessaire afin que l’application de leurs politiques par les Etats concernés par leurs programmes ne produise pas comme résultat la violation massive des droits humains. Notons également que ces institutions ont agit contre leurs propres principes et contre les principes de base de la protection des droits humains en fournissant un appui direct aux régimes dictatoriaux qui ont commis les plus graves crimes contre l’humanité, comme par exemple, la dictature de Pinochet au Chili et la dictature en Argentine. Bien que l’obligation de base de la protection des droits humains incombe tout d’abord aux Etats, il n’est pas moins vrai que la FMI et la BM ont été étroitement associés à ce type de régime et qu’en général, leurs choix ont été guidés par des considérations d’ordre politico- stratégiques.

Vu les enjeux et l’importance des droits en cause, vu l’ampleur des violations des droits humains suite à l’application des politiques des IFI, leurs responsables et les institutions elle mêmes, peuvent être poursuivis en justice en vue que les victimes obtiennent l’exécution de l’obligation de réparation y compris pour des violations des droits économiques sociaux et culturels. Les citoyens dont les droits humains ont été bafoués à la suite de l’action des IFI, en tant que victimes, devraient saisir les tribunaux locaux afin de demander, d’une part, les réparations et indemnisations dues par le FMI et la BM et, d’autre part, entamer des poursuites pénales contre ces mêmes institutions et leurs responsables pour participation à des violations spécialement graves des normes du droit international. Ces actions devraient à notre avis se placer dans un contexte de reconstruction d’un ordre international alternatif. En effet, vu les atteintes permanentes et constantes contre les droits humains de la part des institutions de Bretton Woods, et afin de garantir que des telles atteintes ne se reproduisent, il est impératif de refonder un ordre international , basé sur la coopération internationale, le multilatéralisme et non sur la raison de la force et des intérêts privés. Refonder l’ordre international qui a été imposé aux peuples par la force « … est inconcevable sans une restructuration radicale des systèmes financier, monétaire et commercial à l'échelle mondiale » .

*Hugo Ruiz Diaz Balbuena. Dr. en Droit international. Chercheur au CADTM.
03 octobre 2004

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