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09déc08
Cour constitutionnelle : « la protection d'un journaliste ne peut entraver sa liberté d'expression »
Dans le respect de son obligation de protection, l'Etat ne peut mener des actions susceptibles d'entraver la liberté d'expression et le droit à l'information d'un journaliste menacé. Telle a été la conclusion de la Cour constitutionnelle après avoir révisé l'affaire d'une journaliste qui bénéficiait du programme de protection du ministère de l'Intérieur. Dans son arrêt, la haute cour a fait référence, notamment, au travail de protection matérielle réalisé par le Département administratif de sécurité (DAS).
La journaliste Claudia Julieta Duque a intenté, en octobre 2007, une action en justice pour violation des libertés et droits fondamentaux (acción de tutela) contre le ministère de l'Intérieur, organe qui préside le programme de protection des journalistes. Couvert par les rapports du DAS, ce programme a suspendu les mesures de protection de Duque en invoquant une prétendue mauvaise utilisation de celles-ci. A l'époque, une étude de risques réalisée par la police indiquait que la journaliste était en situation de danger exceptionnelle.
La Cour constitutionnelle a révisé deux arrêts d'affaires précédentes qui ordonnaient au ministère de l'Intérieur de relancer le programme de protection de la journaliste. La décision de la Cour a non seulement confirmé ces deux arrêts, mais elle a également fait jurisprudence sur différents aspects fondamentaux du programme de protection et du dispositif de sécurité dont bénéficient les journalistes. Voici quelques points centraux de l'énoncé :
Liberté d'expression des fonctionnaires publics
La Cour a reconnu, comme elle l'a déjà fait à d'autres reprises, le droit pour les fonctionnaires publics de s'exprimer librement. Elle a toutefois insisté sur le fait que ces prononcés ne doivent pas mettre en danger les personnes, surtout celles qui sont en situation de vulnérabilité. Elle a exhorté le ministère de l'Intérieur à expliquer à ses fonctionnaires et à ses conseillers l'importance de respecter, en dernier recours, la situation des personnes qui sentent, pour des raisons objectives, que leur vie ou leur intégrité est menacée».
Procédure régulière, accès aux informations et droit à l'habeas data
Dans le cadre de la procédure qui a mené à la suspension du programme de sécurité, le ministère de l'Intérieur n'a pas entendu la journaliste. « Il a notamment omis de prévenir la demanderesse qu'une certaine procédure pouvait mener à une décision qui violerait ses droits ». Par ailleurs, la Cour a déclaré inconstitutionnelle la divulgation par le DAS d'informations personnelles qui concernent la personne protégée et qui ont été obtenues via le service de protection qu'il assure.
Pour la Cour, ces « rapports des services de renseignement » violent également le droit d'habeas data (droit pour toute personne d'accéder aux documents la concernant) : « [L'Etat] n'a le droit de collecter, dans des dossiers du renseignement, des données privées susceptibles d'engager la responsabilité d'une personne dans un acte criminel que s'il existe des informations sérieuses et objectives capables d'être confrontées et, même dans ce cas-là, il doit s'agir d'une enquête judiciaire […] ».
C'est en ces termes que la Cour a ordonné au DAS de permettre l'accès à Duque à tous ses dossiers qui contiendraient des informations la concernant, « excepté ceux qui feraient partie d'une enquête soumise au secret de l'instruction, s'il s'agit d'une enquête judiciaire à laquelle la demanderesse n'aurait pas le droit légal d'y accéder ».
Elle a également exigé au DAS et au directeur de la police nationale de « faire comprendre à leurs agents, par écrit, que le travail de protection n'équivaut pas à un travail de renseignement et qu'il est interdit de mener des activités de renseignement sur les faits et gestes des personnes protégées ».
Proportionnalité et pertinence des mesures de protection et une procédure régulière
En cas de danger exceptionnel, la Cour stipule que les conditions pour révoquer les mesures de protection sont plus strictes : « Il ne semble pas raisonnable de suspendre un dispositif de sécurité renforcée visant une personne considérée comme en situation de danger exceptionnel du fait que cette personne conduit le véhicule blindé lorsqu'elle n'est pas accompagnée d'un garde du corps ». A cet égard, la proportionnalité de la sanction due à une prétendue mauvaise utilisation des mesures ne doit pas compromettre l'efficacité des mesures visant à prévenir les risques.
Secret de la source et conditions spéciales pour la protection des journalistes
La Cour a créé un important précédent sur la compatibilité entre la protection officielle et le travail d'information du journaliste : « Si le journaliste décide de poursuivre ses investigations, en dépit des menaces, il se peut qu'il nécessite un dispositif spécial qui prenne en considération l'ensemble des droits en question ». Le fait que le journaliste doive respecter à tout moment les stricts protocoles de sécurité, notamment la présence d'un garde du corps, peut porter atteinte à des droits tels que le secret de la source. Néanmoins, la Cour a rappelé que les personnes protégées doivent suivre les conseils d'autoprotection et éviter les comportements téméraires susceptibles de l'exposer à de plus grandes menaces.
Bogota, 9 décembre 2008
Fondation pour la liberté de la presse
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