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22oct09

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Grave menace pour la sécurité de Claudia Julieta Duque, correspondante en Colombie de Radio Nizkor.


Rappel des faits et contexte

1) Le 23 octobre 2008, la troisième Chambre de révision de la Cour constitutionnelle a rendu public un arrêt faisant suite à la acción de tutela (action en justice pour violation des libertés et droits fondamentaux) intentée par Claudia Julieta Duque Orrego contre le ministère de l'Intérieur et de la Justice et le Département administratif de sécurité (DAS). Cette importante décision judiciaire nous a amenés à rédiger notre communiqué du 9 décembre 2008, dans lequel nous nous sommes exprimés sur ce jugement, entre autres, dans les termes suivants :

    « Equipo Nizkor ne rend normalement pas publics les problèmes de sécurité rencontrés par nos collaborateurs, mais dans le cas présent, nous avons rendu publique, le 11 avril 2008, la lettre adressée au directeur des droits de l'homme du ministère de l'Intérieur, Rafael Bustamante, et à l'actuel directeur du Département administratif de sécurité (DAS, services de renseignement de la présidence colombienne), Joaquín Polo Montalvo, dans laquelle Claudia Julieta Duque renonçait à son dispositif de sécurité et dans laquelle nous rédigions un bref commentaire sur la question.

    Néanmoins, au vu du contenu du jugement T-1037/08 faisant suite à la acción de tutela (action en justice pour violation des libertés et droits fondamentaux) intentée par Claudia Julieta Duque O. à l'encontre du ministère de l'Intérieur et de la Justice ainsi que du Département administratif de sécurité (DAS) (qui s'inscrit dans le processus de révision des jugements rendus par le Tribunal administratif du Cundinamarca, troisième section, sous-section A, et la Chambre du contentieux administratif, quatrième section, du Conseil d'Etat) et étant donné qu'il fait jurisprudence, touchant ainsi tant les journalistes que les défenseurs des droits de l'homme en danger, nous avons décidé de rendre public notre avis sur la question. »

2) Le 13 août 2009, le Tribunal du contentieux administratif du Cundinamarca, troisième section, sous-section A, s'est prononcé sur une plainte pour outrage introduite par Claudia Julieta Duque en raison du non-respect par les agents de l'Etat colombien de l'arrêt rendu par la Cour constitutionnelle, dans lequel des mesures étaient prises à l'encontre de certains organismes de l'Etat.

3) Le 18 juin 2009, nous avons rendu public un autre communiqué relatif aux actions menées par un groupe de contre-espionnage du DAS connu sous le sigle G-3, dans lequel nous affirmions expressément ce qui suit :

    « L'importance des documents rendus publics réside dans leur valeur de preuves indubitables de la persécution et du harcèlement dont ont été victimes toutes les personnes qui ont fait l'objet directement ou indirectement des opérations de contre-intelligence menées par des spécialistes des forces navales colombiennes et financées par un Etat étranger, Etat qui n'est pas identifié dans les documents.

    « L'une des premières conclusions est le fait que l'Etat-major militaire et civil qui a dirigé les opérations en question a reçu des ordres exprès d'inclure dans le plan de guerre les organisations de défense des droits de l'homme, les journalistes d'investigation et les juges des cours supérieures qui ont, par conséquent, été considérés comme des « cibles » et certains en particulier comme des « objectifs », comme c'est le cas de notre correspondante en Colombie, Claudia Julieta Duque, qui a été victime de ce type de pratiques de 2001 jusque, au moins, 2008.

    «La Cour constitutionnelle a statué sur la acción de tutela (action en justice pour violation des libertés et droits fondamentaux) introduite par Claudia Julieta Duque par un arrêt qui reconnaît expressément les droits dont notre correspondante jouit, aussi bien du point de vue de la liberté d'information, dans le cadre de sa profession de journaliste, que du fait qu'elle est membre d'une organisation internationale des droits de l'homme. L'arrêt condamnait le DAS à restituer tous les documents relatifs à cette affaire contenus dans ses archives.

    « Ce service de renseignement n'a pas respecté l'arrêt et a nié, dans plusieurs lettres, que ses archives contenaient de tels documents. Nous savons aujourd'hui que des centaines de documents se trouvent aux mains du Ministère public et qu'ils ont été remis par ces mêmes autorités qui ont nié leur existence.

    «Les opérations de contre-intelligence font partie de ce que l'on appelle le « renseignement offensif » et ont pour but d'éliminer les « objectifs » en ayant recours à tous les moyens humains, technologiques et militaires possibles. Cela implique la reconstitution de tout le réseau social et familial des personnes persécutées, comme on a pu le voir récemment.

    «Il va de soi que ce type d'opérations clandestines et illégales a pour conséquence de manipuler les faits, d'ébranler le système social et de détruire les organisations « cibles ». À cause de leur durée dans le temps, de plus de dix ans, ces opérations ont des répercussions sur les familles et les enfants des victimes et obligent les organisations à opter pour une ligne de conduite qu'elles n'auraient pas choisie si elles n'étaient pas soumises au harcèlement de la contre-intelligence du DAS. »

Faits ultérieurs :

4) Etant donné l'existence de preuves et d'indices suffisants, nous pouvons affirmer que la correspondante de Radio Nizkor en Colombie, qui y exerce sa profession de journaliste et qui est également membre d'Equipo Nizkor, continue d'être l'objet d'un programme de surveillance constante. C'est pourquoi rien ne laisse penser que le gouvernement a démantelé le système de contre-intelligence, dont l'existence est attestée par suffisamment de preuves judiciaires et dont Claudia Julieta Duque a fait l'objet, du moins, de 2001 jusqu'à présent.

5) Les preuves judiciaires existantes permettent d'affirmer que le gouvernement colombien a agi conformément à ce que les manuels militaires, aussi bien de l'OTAN que des Etats-Unis, qualifient d'un point de vue technique d' « opérations d'information » et/ou d' « opérations de contre-intelligence ».

La différence entre l'un et l'autre type d'opération réside dans le fait que les opérations de contre-intelligence qui visent la population civile et, en particulier, les groupes de personnes choisis pour « cibles » pour des raisons sociologiques et anthropologiques, sont sans conteste, sur le plan doctrinal, des actes délictueux qui constituent des crimes contre l'humanité, à partir du moment où il s'agit d'opérations illégales sur le fond et sur la forme et que celles-ci revêtent un caractère de persécution systématique et à grande échelle.

Pour la simple raison de son existence et au vu des preuves disponibles, on peut affirmer que les critères que le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie utilise pour déterminer la responsabilité pénale individuelle pour participation à une « entreprise criminelle commune » s'appliquent aux responsables de ce type d'opération illégale.

Dans le cas qui nous intéresse, cette organisation criminelle a agi contre, au moins, 400 personnes et contre leur entourage professionnel, familial et d'autres types de relations personnelles.

Pour mieux comprendre notre point de vue, voici les définitions qui figurent dans le manuel relatif à ces opérations, édité par le Département de la défense des Etats-Unis sous le titre  U.S. Army Counterinsurgency Handbook |1| dans son édition de 2007, dont le travail de révision revenait au lieutenant-général David Howell Petraeus, qui dirige actuellement le Commandement central des Etats-Unis et qui a également commandé la Force multinationale déployée en Irak.

    Contre-intelligence

    Selon la définition commune (des différentes forces) : « informations récoltées et activités conduites en vue de (se) protéger contre l'espionnage, d'autres activités de renseignement, le sabotage ou les assassinats réalisés ou commandés par des gouvernements étrangers ou par des éléments qui les composent, par des organisations ou des personnes étrangères ou par des groupes terroristes internationaux. (JP 1-02) »

    Selon la définition de l'armée, « le contre-intelligence compense ou neutralise la collecte de renseignements par la collecte d'informations, des enquêtes de contre-intelligence, des opérations, de l'analyse et de la production et des services fonctionnels et techniques. La contre-intelligence comprend toutes les actions menées dans le but de détecter, identifier, exploiter et neutraliser les activités multidisciplinaires de renseignement d'amis, de concurrents, d'opposants, d'adversaires, d'ennemis... (FM 2-0)

    Opérations d'information

    Selon la définition commune, il s'agit de « l'utilisation complète des capacités qu'offrent la guerre électronique, les opérations de réseaux informatiques, les opérations psychologiques, les opérations de diversion et la sécurité de ces opérations, ainsi que d'autres capacités liées aux précédentes et des capacités de soutien, pour influencer, annuler, corrompre ou s'approprier la prise de décisions de l'adversaire, que les décisions soient humaines ou automatisées, pendant que nous protégeons la nôtre. (JP 1-02) ».

    Selon la définition de l'armée : « l'utilisation complète des capacités qu'offrent la guerre électronique, les opérations de réseaux informatiques, les opérations psychologiques, les opérations de diversion et la sécurité des ces opérations, ainsi que d'autres capacités liées aux précédentes et des capacités de soutien, pour modifier et défendre les informations et les systèmes d'information et influencer la prise de décisions. (FM 3-13) ».

Notre intention en tant qu'organisation spécialisée dans l'application du droit pénal international est d'investir tous nos efforts pour que les responsables de ces actes soient poursuivis en justice et que leur responsabilité soit établie selon les règles en vigueur du droit international humanitaire et du droit pénal international, qui doivent obligatoirement être appliquées par la justice colombienne.

Ces techniques sont incompatibles avec la défense des libertés civiles dans toute société et, étant donné le développement technologique et les progrès réalisés dans le domaine des simulations en sociologie, elles permettent le contrôle politique et social d'une société, en l'occurrence la société colombienne, plaçant ainsi les citoyens dans une situation d'impuissance face à l'utilisation massive de ces techniques.

6) Le 16 octobre dernier Claudia Julieta Duque a été victime d'une très grave menace pour sa sécurité dans le bâtiment qui est son domicile habituel: une unité parfaitement organisée d'au moins 10 personnes, équipée de quatre ou cinq véhicules, a pénétré l'intérieur du bâtiment et a, par ailleurs, délimité un périmètre de protection de l'opération autour de celui-ci, dans le cadre d'une opération clairement organisée d'un point de vue militaire et dont l'objectif n'a pas pu être atteint du fait que notre collègue assistait à ce moment-là à une réunion des Brigades de paix internationales.

L'intervention spéciale de la police a permis de récolter toutes les données du système de surveillance et de contrôle du bâtiment, ce qui a permis de retracer clairement tout le déroulement de l'opération et d'identifier la majorité des membres du groupe organisé. Les informations relatives à Claudia Julieta Duque ont été officiellement remises au représentant en Colombie du Haut-commissariat aux droits de l'homme des Nations Unies, qui en est devenu le dépositaire légal.

Les avocats qui représentent Claudia Julieta Duque et qui appartiennent au collectif d'avocats « José Alvear Restrepo » se sont chargés de l'action de procédure et de l'action pénale correspondantes.

10) Nous estimons que cette grave intimidation a été exercée à un moment où Claudia Julieta Duque doit témoigner devant la justice ; il convient de souligner qu'elle a intenté un procès, pendant plusieurs années, qui a été le seul à avoir visé directement le Département administratif de sécurité et à être arrivé jusque devant les cours supérieures. Nous la soutenons inconditionnellement dans sa volonté de poursuivre les actions en justice appropriées et d'exiger une enquête complète sur cette dernière grave menace en date.

11) Nous tenons le président Álvaro Uribe Vélez pour responsable direct de la protection active et passive de Claudia Julieta Duque, non seulement parce qu'il est le président de la République de Colombie, mais aussi parce qu'il est, d'un point de vue fonctionnel et hiérarchique, la plus haute autorité du Département administratif de sécurité. A cet égard, nous le prévenons que, en vertu de la doctrine pénale applicable, il est soumis au principe de la chaîne de commandement. C'est-à-dire que le supérieur est considéré pénalement responsable des actes illégaux de ses subordonnés étant donné que, pour le moins, il devrait ou aurait dû être au courant de ce qu'il se passait au cours de toutes ces opérations illégales menées par cet organisme de renseignements.

12) Sachant que ce type de délits n'est pas soumis à la prescription et que, par conséquent, la responsabilité d'Álvaro Uribe Vélez ne l'est pas non plus, nous poursuivrons notre action en justice pour permettre qu'une enquête soit menée sur tous les actes illégaux et criminels, sans exception, commis par le DAS sous son autorité.

Gregorio Dionis, Président d'Equipo Nizkor

Charleroi et Bogota, le 22 octobre 2009


Note :

1. 1. U.S. Army Counterinsurgency Handbook, (Foreword By Lt. Gen. David H. Petraeus, U.S. Army and Lt. Gen. James F. Amos, USMC), Department of Defense, Skyhorse Publishing, NY, 2007. [Retour]


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