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09déc08

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Communiqué relatif à l'arrêt favorable de la Cour constitutionnelle dans l'affaire de la correspondante en Colombie de Radio Nizkor


Le 23 octobre 2008, la Cour constitutionnelle de Colombie a rendu un arrêt favorable dans l'affaire de Claudia Julieta Duque, collaboratrice d'Equipo Nizkor et correspondante en Colombie de Radio Nizkor.

Equipo Nizkor ne rend normalement pas publics les problèmes de sécurité rencontrés par nos collaborateurs, mais dans le cas présent, nous avons rendu publique, le 11 avril 2008, la lettre adressée au directeur des droits de l'homme du ministère de l'Intérieur, Rafael Bustamante, et à l'actuel directeur du Département administratif de sécurité (DAS, services de renseignement de la présidence colombienne), Joaquín Polo Montalvo, dans laquelle Claudia Julieta Duque renonçait à son dispositif de sécurité et dans laquelle nous rédigions un bref commentaire sur la question.

Néanmoins, au vu du contenu du jugement T-1037/08 faisant suite à la acción de tutela (action en justice pour violation des libertés et droits fondamentaux) intentée par Claudia Julieta Duque O. à l'encontre du ministère de l'Intérieur et de la Justice ainsi que du Département administratif de sécurité (DAS) (qui s'inscrit dans le processus de révision des jugements rendus par le Tribunal administratif du Cundinamarca, troisième section, sous-section A, et la Chambre du contentieux administratif, quatrième section, du Conseil d'Etat) et étant donné qu'il fait jurisprudence, touchant ainsi tant les journalistes que les défenseurs des droits de l'homme en danger, nous avons décidé de rendre public notre avis sur la question.

De manière générale, les programmes de protection tels que celui dont il est question dans cet arrêt sont relativement nouveaux en Colombie et en Amérique latine. Ainsi, la minutie avec laquelle la Cour constitutionnelle a résolu cette affaire revêt une importance particulière. En effet, c'est la première affaire du type à ce degré de juridiction et, par conséquent, elle fait jurisprudence en ce qui concerne, d'une part, le respect des droits de l'homme dans le cadre des programmes de protection de l'Etat et, d'autre part, dans ce cas précis, le respect du droit sans limite à la liberté d'expression.

Au vu de ce qui précède, il convient de souligner les aspects suivants :

  • 1) Tout d'abord, il faut souligner que cet arrêt signifie la reconnaissance, par l'Etat, de la persécution qui a été menée à partir de 2001 par le DAS à l'encontre de notre correspondante en raison de son travail de recherche et d'éclaircissement réalisé dans le cadre de l'affaire sur l'assassinat de Jaime Garzón et par la suite en tant que membre de notre organisation. C'est pourquoi ces faits graves sont couverts par l'« autorité de la chose jugée ».

    En Colombie, la sécurité de Claudia Julieta Duque est une affaire qui est publique depuis plusieurs années du fait qu'il s'agit d'une personne soumise constamment à du harcèlement et à des menaces provenant de l'Etat colombien, en raison de son travail de journaliste et de défenseuse des droits de l'homme. Sa situation a été dénoncée, entre autres, par la Fondation colombienne pour la liberté de presse à plusieurs reprises.

    Cette reconnaissance implique notamment que l'Etat et le gouvernement colombiens sont obligés d'offrir les garanties adéquates et de prendre les mesures nécessaires conformément à l'arrêt de la Cour constitutionnelle. De ces garanties dépendra l'exercice futur, par notre correspondante, de ses activités de journaliste et de défenseuse des droits de l'homme.

  • 2) L'arrêt fixe des limites claires au nom du droit à la vie privée des personnes sous protection, notamment la limite entre la sécurité et la protection dans des situations graves, en particulier lorsque des agents reçoivent des instructions qui s'apparentent davantage à du travail d'intelligence et de contre-intelligence qu'à un travail de protection des personnes en danger.

    La Cour constitutionnelle affirme dans sa décision : « Dans un pays aussi complexe que la Colombie, le fait pour un Etat de nier publiquement et sans preuves suffisantes, un crime, une menace ou un harcèlement visant une personne ou un groupe de personnes qui, en leur qualité de journalistes indépendants ou de défenseurs des droits de l'homme, enquêtent sur l'Etat même ou le remettent en question, prend la forme d'une violation du droit fondamental individuel à la dignité, à l'honneur et à la vérité des personnes menacées. Par ailleurs, cette négation représente une violation du droit de la société à la mémoire collective. Elle pourrait aussi finalement être considérée comme une grave omission du devoir de garantie et de protection des droits fondamentaux menacés. Cependant, dans certaines situations extrêmes, lorsqu'une telle attitude incite à la violence contre des personnes ou des groupes vulnérables, elle peut même constituer une violation directe du droit à la sécurité personnelle et des droits connexes de ces personnes. Dans ces cas-là, si le fonctionnaire public a causé un dommage, l'Etat doit le réparer et poursuivre en justice le responsable du dommage. »

  • 3) Il fixe une limite rationnelle aux rapports et aux activités du Département administratif de sécurité et du ministère de l'Intérieur en tant que responsables de l'organisation logistique de la sécurité, ainsi qu'aux rapports et aux opinions de cet organisme à propos des personnes protégées. L'arrêt stipule que le DAS ne peut ni contredire, ni mettre en doute, les rapports de risque réalisés par la police nationale, à moins qu'ils ne possèdent des preuves irréfutables contre la personne protégée, auquel cas ils seront tenus de les mettre à disposition du juge compétent.

  • 4) Il interdit les agents chargés de la protection des personnes en danger de réaliser des rapports et des travaux de renseignement et, encore moins, d'utiliser leur position pour fournir des informations sur les activités quotidiennes et les opinions des journalistes ou des défenseurs qui bénéficient de ce dispositif de sécurité. La haute cour affirme : « Dans cette même continuité, le troisième principe de la Déclaration de principes sur la liberté d'expression, approuvée par le Commission interaméricaine des droits de l'homme, stipule : "Toute personne a le droit d'accéder à l'information qui la concerne personnellement ou a trait à ses biens, de façon rapide et non-onéreuse, dans la mesure où cette information a déjà été versée dans des bases de données, registres publics ou privés et, le cas échéant, de demander une mise à jour, une rectification et/ou une modification des données la concernant" ».

  • 5) Cet arrêt oblige le DAS à rendre publics tous les rapports relatifs aux personnes protégées que leurs archives pourraient contenir et à transmettre aux personnes protégées l'entièreté de leur contenu, quand bien même ces archives seraient classées «secret défense », ainsi que, en particulier, les rapports concernant le travail de protection en lui-même. L'arrêt stipule que « la Cour a très clairement signalé que l'Etat ne peut collecter dans des bases de données des informations privées ou classifiées que s'il existe une autorisation légale à cet effet ou si la personne a donné son consentement. Il ne peut collecter des informations susceptibles d'engager la responsabilité d'une personne dans un acte criminel que s'il existe des informations sérieuses et objectives capables d'être confrontées. Le cas échéant, une affaire doit être portée devant la justice de sorte qu'un juge de la République puisse garantir la défense des droits fondamentaux des habitants du territoire.

  • 6) En ce qui concerne l'obligation d'éliminer tous les rapports qui existent à propos de ces personnes et qui, du fait qu'ils ne font l'objet d'aucune imputation, ne peuvent être considérés comme partie des archives du DAS et encore moins comme matériel légalement protégé pour des raisons de sécurité nationale, la haute cour affirme : « Dans la continuité de la doctrine mentionnée précitée, la Cour a signalé à maintes reprises que, en principe, à moins qu'une loi en décide autrement, les informations contenues dans les archives de l'Etat sont publiques. Néanmoins, s'il s'agit d'informations privées, intimes ou classifiées relatives à une personne et qu'elles ne sont pas d'intérêt public, elles ne peuvent être, en principe, ni récoltées, ni archivées, ni même divulguées car elles sont protégées par le droit à l'intimité. Cependant, si ces informations sont contenues dans une archive officielle, la personne titulaire de ces données possède le droit fondamental d'y avoir accès, sauf si une loi en décide autrement. »

  • 7) Il confirme le droit à la vie privée même en cas de risque élevé pour la personne et stipule expressément qu'« il est notamment évident que les journalistes peuvent nécessiter une certaine confidentialité pour s'entretenir avec une source confidentielle ou mener certaines investigations. Dans ces cas-là, il est nécessaire qu'ils puissent bénéficier d'un encadrement spécialement conçu pour garantir à la fois leur sécurité et leur travail, ainsi que de protéger les droits importants liés à la liberté d'expression. La Cour est consciente qu'il n'est pas seulement question du droit de toutes les personnes au libre développement de leur personnalité, mais aussi du droit à la liberté d'expression et du droit de réserve concernant la source.

  • 8) A la suite de cet arrêt de la Cour constitutionnelle, Claudia Julieta Duque a décidé d'établir à nouveau sa résidence habituelle dans son pays, la Colombie. Nous espérons que cet arrêt sera suivi d'une application claire et concrète et qu'il permettra de s'assurer non seulement que le DAS ne poursuivra pas ses actes de persécution et de harcèlement, mais aussi que le gouvernement colombien respectera fidèlement l'ensemble des éléments de cet arrêt complexe, parmi lesquels on retrouve le droit pour Claudia Julieta Duque de vivre dans son pays, la Colombie, avec toutes les garanties nécessaires.

  • 9) De la même manière, nous espérons que cet arrêt sera appliqué de manière stricte à l'ensemble des personnes faisant l'objet de ce type de protection de l'Etat, surtout si l'on prend en considération les informations récentes qui révèlent l'implication d'agents chargés de ce service de protection dans l'organisation d'enlèvements et d'autres crimes. Nous espérons également que les modifications nécessaires seront apportées aux structures fonctionnelles du système de protection, en fixant un niveau de contrôle suffisant et nécessaire pour garantir son fonctionnement en accord avec les exigences établies par la Cour constitutionnelle dans cet arrêt.
Madrid, Charleroi et Bogota, le 9 décembre 2008

Gregorio Dionis, président d'Equipo Nizkor et de Radio Nizkor


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