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DERECHOS


25 avril 2000


L'affaire Pinochet et le Troisième Mur.


Par José Burneo L. Louvain-La-Neuve

Introduction.

Le 16 octobre 1998, l'un des "intouchables" et assurément le paradigme des dictateurs latino-américains du XXe siècle, fut arrêté à Londres du chef d'assassinat . Ce fut aussi la fin d'un mythe et peut être d'une époque. En effet, avant cette datte, Augusto Pinochet était le modèle auquel tous ses pairs pouvaient s'identifier même en dehors du continent américain.

En dépit d'environ deux mille personnes assassinées et mille disparues par ses subordonnés , publiquement encouragés par lui , des dizaines de résolutions des Nations Unies, de l'Organisation des États Américains et d'autres organes internationaux condamnant son régime, Augusto Pinochet avait gouverné, d'une manière dictatoriale, le Chili pendant 17 ans (1973-1990). Puis, sagement, il avait -malgré lui- réalisé une transition démocratique tout en continuant comme Chef de l'Armée (1990-1998) et, par la suite, à partir du 1998, il était devenu Sénateur à vie d'une des démocraties les plus respectables de notre région.

Sans doute, celui qui, avant le 16 octobre 1998, aurait osé le qualifier de criminel ou demandé son jugement au Chili, ne pouvait être qu'un fou ou un idéaliste révolu comme ceux, démodés, qui parlent toujours de solidarité et des droits de l'homme. Augusto Pinochet, et les siens, avaient conservé en démocratie assez de pouvoir réel pour être redoutés et personne ne se leurrait. Grisé de puissance, il avait averti, exagérant un peu mais malheureusement pas trop, le nouveau gouvernement en 1991: "Personne ne touchera à mes hommes. Si cela arrive un jour, c'en est fini des lois".

La confiance de l'ancien dictateur, d'ailleurs, n'était pas fondée uniquement sur la crainte mais sur le droit aussi. Au niveau interne, il avait fait passer en 1980 une Constitution politique, encore en vigueur, ligotant tout. Pour ce faire, celle-ci établit, inter alia, deux mécanismes: (i) aucun amendement constitutionnel ne pourra se faire sans l'accord de deux tiers du Parlement, (ii) un système électoral sui generis: si un parti obtient 66% des voix et l'adversaire 34%, chacun des deux opposants aura une même représentation parlementaire.

À l'échelon international, quoique certains prophètes plutôt que juristes envisageaient de lui appliquer le droit de Nuremberg en rêvant dès 1987 , il n'en était rien. Aucun Tribunal pénal international permanent ne saurait exister pour le juger -ce qui était le legs formidable d'un mur honteux, dont l'ombre lui avait particulièrement bénéficié-, non plus aucun tribunal national n'oserait s'immiscer dans les affaires internes de son pays. De quel droit, lui avait-on appris, un tribunal national pourrait-ilimputer une responsabilité pénale à un ex-chef d'État étranger du chef des violations aux droits de l'homme? Cela ne s'était jamais passé.

On connaît la suite. Bien que déclaré extradable, Augusto Pinochet, profitant de la décision prise le 2 mars 2000 par le Ministre de l'Intérieur britannique, rentra immédiatement chez lui. Mas beaucoup de choses avaient changé pendant les 16 mois et deux semaines que dura sa détention à Londres. Au delà des honneurs militaires et de bravades des siens, rien n'est comme auparavant pour lui au Chili. Et, assurément, à cause d'une folie contagieuse existant en Europe, irrespectueuse de son statut de chef d'État déchu, ses anciens alliés, les Britanniques, l'avaient qualifié de criminel. Il se sentait trahi. C'en était trop, voire incompréhensible. C'était introduire le chaos et le désordre dans les rapports internationaux si bien réglés dans le passé grâce à l'ancien mur.


L'affaire Pinochet n° 2182-98 au Chili avant le 16 octobre 1998.

Quand A. Pinochet, le 22 septembre 1998, est partie vers l'Angleterre, muni d'un passeport diplomatique expédié par le gouvernement chilien et l'accréditant en qualité d'«Ambassadeur Extraordinaire et Plénipotentiaire en Mission spéciale», aucun procès pénal ne l'inquiétait à Santiago. Pourtant, depuis janvier de la même année, chose insolite, treize plaintes avaient été déposées contre lui. Parmi celles-ci l'on doit mentionner deux. La première , celle de Gladys Marin, Secrétaire général du Parti communiste, en date du 12 janvier 1998, pour la disparition forcée de son époux Jorge Munoz P. et d'autres membres de son parti politique en 1976, puis, la troisième , concernant 1.198 disparus, en date du 3 mars 1998, présentée par l'Association des familiers des Détenus Disparus.

Conformément au droit chilien, s'agissant d'un Sénateur à vie, la Cour d'appel de Santiago avait nommé un juge spécial, en l'espèce, M. Juan Guzman, lequel était censé d'instruire, au cours d'un seul procès, toutes les poursuites engagées à l'encontre du présumé coupable -article 160 du Code organique des Tribunaux. C'est donc l'affaire 2182-98. Le Juge, pourtant, avant la détention d'A. Pinochet à Londres, n'avait pas osé prendre la déposition de l'accusé ni demander la levée de l'immunité lui permettant d'ordonner la mise en accusation ou la détention du prévenu . Au demeurant, le cas échéant, après une première décision de la Cour d'appel de Santiago, il revenait à la Cour suprême de se prononcer sur la levée de l'immunité . Cette procédure sera d'application pareillement dans le cas d'un ancien Président de la République, une fois promulguée la modification constitutionnelle adopté par le Parlement le 25 mars 2000.

D'ailleurs, si jamais il y avait l'autorisation pour le juger, A. Pinochet pourrait toujours être jugé par les siens. En effet, pendant la durée de la procédure pénale et jusque à ce que la sentence soit rendue au terme de la audience plénière qui devait avoir lieu à la Cour d'appel de Santiago, la juridiction militaire pourrait présenter une requête de déclaration d'incompétence en se fondant sur le statut de militaire de l'inculpé. Le cas échéant, le conflit de compétence est résolu par la Cour suprême, laquelle, dans le passé, s'était généralement inclinée devant les arguments de la juridiction militaire.

Dans ce contexte, A. Pinochet n'avait rien à craindre. Tout était, ou semblait être, sous contrôle...

Le Chili et l'affaire Pinochet seize mois après la détention de celui-ci à Londres.

Au delà de la fanfare entourant son arrivée, A. Pinochet s'est vite aperçu que le Chili n'était plus celui qu'il avait laisse à peine seize mois auparavant.

D'abord, un fait politique central, qu'il a particulièrement regretté, s'était produit, et dont le symbolique dépasse largement les frontières de son pays. Là, où il avait fait son célèbre coup d'État pour destituer le socialiste Salvador Allende, et pour extirper toutes ces notions si dangereuses comme solidarité et justice sociale, outre deux présidents démocrate-chrétien, le socialiste Ricardo Lagos venait d'être élu comme Président de la République. Celui-ci devait s'installer quelques jours après, le 11 mars, au palais présidentiel de La Moneda, au même endroit où, sous l'attaque d'avions militaires, Salvador Allende avait trouvé la mort. Oui, A. Pinochet tenait à nouveau un président socialiste.

Mais l'ancien dictateur a d'autres motifs plus concrets de préoccupation le concernent personnellement. C'est l'affaire n° 2182-98, c'est-à-dire son dossier. En effet, le dossier n° 2182-98 de l'affaire Pinochet entre les mains du juge chilien M. Juan Guzman a beaucoup grossi pendant ce temps. Soixante sept nouvelles plaintes y ont été déposées, totalisant alors 80 plaintes . Une particulièrement importante à repérer, celle présentée le 5 juillet 1999 par le Sénateur Ricardo Nunez, Président du Parti Socialiste, agissant en représentation de celui-ci, pour le meurtre de quarante et un dirigeants socialistes, tous assassinés sous le régime dirigé par A. Pinochet.

Il est à remarquer, d'ailleurs, que le 5 octobre 1999, deux jours avant que le juge britannique Ronald Bartle n'autorise l'extradition en Espagne d'A. Pinochet, le juge chilien susmentionné avait pris la décision d'interroger celui-ci par le biais du Consul chilien à Londres. L'inculpé n'accepta pas de répondre aux questions posées, affirmant, parmi d'autres raisons, des empêchements dûs à sa santé. Jusqu'à là, tout est apparemment en ordre.

Mais une fois A. Pinochet rentré au Chili, quelque chose d'inattendu s'est passée concernant le dossier n° 2182-98. Le même mois de mars 2000, le juge M. Juan Guzman avait finalement demandé, à la Cour d'appel de Santiago, de lever l'immunité dont jouissait l'inculpé. Voire, le Conseil de Défense de l'État, chargé de représenter les intérêt de l'État chilien, s'était prononcé dans le même sens en affirmant, dans un recours présente début avril 2000, que, "de l'analyse sommaire des plaintes déposées, l'on peut établir l'hypothèse de la participation du Sénateur Pinochet dans la commission de crimes [y mentionnés]". La Cour doit se prononcer à cet égard dans un bref délai.

Parmi les plaintes oeuvrant dans l'affaire n° 2182-98, il y en a une, la n° 59 déposée le 28 janvier 2000, qui est particulièrement importante. Ceci car la plupart de celles-ci ont trait et aux assassinats et aux disparitions forcées des personnes, telles plaintes, en termes de la preuve, s'étayent sur le rapport officiel de l'État chilien, qui, d'accord avec la loi respective, ne doit prendre en compte que les assassinats, les disparitions forcées des personnes et les tortures suivies de meurtre. Par conséquent, tous les cas où la victime de la torture réussit à sauver sa vie n'ont pas été l'objet de l'enquête menée par la Commission de Vérité chilienne. Or, la plainte n° 59 concerne les cas de 634 victimes de torture -y compris le viol- ayant survécu. D'après la déclaration d'une des personnes responsables de rassembler la documentation, torturée elle même, ce ne fut qu'après l'arrestation d'A. Pinochet à Londres que de dizaines des victimes de la torture vivant au Chili ont osé parler; avant, c'était la peur qui les empêchait de le faire. Qui, parmi celles-ci, pouvait imaginer qu'un jour A. Pinochet se ferait arrêter?

Outre les plaintes nationales, deux affaires judiciaires en provenance d'autres pays doivent être prises en compte afin de comprendre le tableau général de l'affaire Pinochet au Chili. Celles-ci ont trait, aux assassinats, ou tentative d'assassinat, perpétrés à Washington et à Rome, respectivement.

Comme l'on sait, le 21 septembre 1976, à Washington furent assassinés, à la voiture piégée, l'ancien Ministre des Affaires Étrangères, le socialiste Orlando Letelier et sa secrétaire, Ronnie Moffit, citoyenne nord-américaine. Pour de tels assassinats, le général chilien Manuel Contreras, ayant été jugé et condamné à Santiago (1997), réussit à échapper à l'extradition requise à son égard par le gouvernement des États Unis. Toutefois, début avril 2000, deux membres du Ministère public nord-américain sont arrivés à Santiago, étant donné que l'affaire n'est pas toujours close là-bas. Par la suite, l'Ambassadeur des États Unis à Santiago a manifesté que, d'après certains sources, "il y a de documentation de la CIA, encore réservée, impliquant le Sénateur à vie. (...) Néanmoins, de tels documents seront dans un certain temps publiés, car on doit encore franchir une (...) dernière étape levant la réserve cette même année".

Pour ce qui s'est passé à Rome, un dirigeant de la démocratie chrétienne chilienne et ancien vice-président de la République, Bernardo Leighton, et sa femme, Ana Fresno, reçurent une balle dans la tête et dans la poitrine, respectivement, le 6 octobre 1975. En juillet 1996, la justice italienne condamna in absence, le général chilien Manuel Contreras, dont l'extradition avait été demandé. Le 22 octobre 1999, la Cour suprême de justice chilienne notifia à celui-ci la procédure en cours. Le 26 octobre de cette même année, le Parti Démocrate Chrétien du Chili, représenté par son Président, Gutenberg Martinez, et son Secrétaire général, Eduardo Saffirio, a demandé à être partie au procès.


Europe : vers une nouvelle époque ?

Madrid 1996. Deux juges espagnols, Baltasar Garzon et Manuel Garcia Castellon, ont finalement donné cours aux deux plaintes déposées par l'"Union Progresista de Fiscales" d'Espagne, en mars et juillet, respectivement, relatives aux violations des droits de l'homme en Argentine et au Chili. Plusieurs organisations argentines, chiliennes et espagnoles se sont promptement incorporées à ces deux procédures depuis lors en cours.

Pendant l'enquête menée séparément par les deux juges susmentionnés, il apparut la connexion existante entre les deux procès: les dictateurs militaires des deux pays s'étaient concertés pour s'entraider dans leurs propos criminels, le Plan Condor étant certainement la formulation régionale d'une opération criminelle qui s'est réalisée sur le sol de plusieurs pays de la région, et ailleurs vraisemblablement. Il est à remarquer que, depuis l'année 1997, le juge Baltasar Garzon avait ordonné la détention provisoire de deux membres de la Junte militaire argentine ayant gouverné en tant que Chefs d'État ce pays pendant plusieurs années -1976-1983. Au demeurant, l'Auditeur général de l'Armée chilienne, général Fernando Torres Silva, se présenta de lui-même, le 3 octobre 1997, à Madrid, au juge espagnol Manuel Garcia Castellon, pour lui expliquer qu'au Chili, lors du gouvernement d'A. Pinochet, aucun crime international ne s'était perpétré et que, de surcroît, la justice espagnole manquait de toute compétence sur ce qui s'était passé au Chili. Nonobstant cette réponse, une année après, le 15 septembre 1998, le même juge avait livré une Commission rogatoire aux autorité judiciaires chiliennes afin de leur demander si, à l'encontre d'A. Pinochet, il y avait de procès pénaux, et le cas échéant, la matière de ceux-ci. Finalement, compte tenu de l'enchevêtrement de deux procès, parmi d'autres raisons, le juge Manuel Garcia Castellon décida de se dessaisir en faveur de son collègue Baltasar Garzon, qui, le 16 octobre 1998, avait ordonné la détention provisoire d'A. Pinochet et livré un mandat d'arrêt international à l'encontre de celui-ci.

Il est à noter que la décision de juges espagnols enquêtant du chef de génocide, terrorisme, torture et conspiration pour commettre ces même crimes, à l'encontre d'A. Pinochet aussi bien que de ses pairs argentins, fut d'abord acceptée mais finalement contestée par le Ministère public espagnol. Ainsi, celui-ci, concernant l'ancien dictateur, interjeta appel le 1 octobre 1998. Ce fut la plus haute instance judiciaire pénale de l'État espagnol, la Chambre pénale de l'Audience Nationale, à Madrid, qui confirma à l'unanimité en séance plénière les décision prises par les juges d'instruction. Cette confirmation ayant été rendu publique le 30 octobre 1998, le Gouvernement du Royaume d'Espagne demanda, le 6 novembre de la même année, l'extradition d'A. Pinochet au Gouvernement du Royaume Uni.

L'argumentation de l'Audience Nationale espagnole visant l'aspect central de la matière en litige fut nette:

"Quand les organes judiciaires espagnols appliquent (...) [l'article 23 de la Loi organique du Pouvoir judiciaire, relatif à la compétence universelle], ils n'envahissent ni s'immiscent dans les affaires relevant de la souveraineté de l'État où le crime s'est perpétré, mais ils exercent la souveraineté espagnole concernant les crimes internationaux. L'Espagne est compétente pour connaître les faits en question, en vertu du principe de la poursuite judiciaire universelle frappant certains crimes -cela d'après le Droit international- tel qu'il a été incorporé dans notre droit national. Elle a, en outre, un intérêt légitime dans l'exercice de cette juridiction, eu égard à l'assassinat ou à la disparition de plus de cinquante espagnols au Chili, victimes de la répression qui constitue la matière de cette affaire."

La demande espagnole d'extradition fut immédiatement suivie de deux autres: la Suisse et la France, le 11 et le 13 novembre 1998, respectivement, présentèrent leurs demandes auprès du Royaume Uni.

Entre temps, les choses à Londres allaient vite. Reconnaissant l'immunité absolue d'A. Pinochet en tant qu'ex-Chef d'État, le 28 octobre 1998, la Haute Cour de Londres déclara illégale la détention d'A. Pinochet. Mais il ne fut pas mis en liberté parce que le Ministère Public britannique interjeta appel. L'affaire alors devait être résolue par la House of Lords, dont les «Law Lords» ("Lords de la loi"), au nombre de douze, sont pour certains affaires la dernière instance d'appel, en matière criminelle, du Royaume Uni. La première décision des "Lords de la loi", en date du 25 novembre 1998, fut prise par cinq d'entre eux. Trois pour, deux contre l'extradition requise. Mais cette première décision ayant été annulée (...), la deuxième décision fut prise le 24 mars 1999 : six voix pour, un voix contre l'extradition d'A. Pinochet.

Or, bien que cette deuxième décision limitait les crimes pour lesquels l'ancien dictateur devait être jugé à la torture et à la conspiration pour torturer, et cela pour autant qu'ils ont été perpétrés à partir du 8 décembre 1988, trois aspects essentiels y furent confirmés. Premièrement, l'existence des crimes relevant du droit international qui blessent les intérêts de la communauté internationale dans son ensemble; deuxièmement, l'exercice légitime par les tribunaux nationaux de la compétence universelle vis-à-vis de tels crimes, et, troisièmement, la responsabilité pénale individuelle d'un ex-Chef d'État, pour de tels crimes, même face aux tribunaux pénaux d'un État étranger.

La décision de la Haute Cour de Londres : un grand pas en arrière.

L'argumentation de la Haute Cour de Londres en faveur d'A. Pinochet, bien que postérieurement rejetée par les deux décision des "Lords de la Loi", revêt une particulière importance et mérite une analyse attentive. D'une part, pour mieux saisir la portée juridique de ce qui est en jeu, et, d'autre part, parce qu'elle est ardemment soutenue encore par certains [ex] Chefs d'État en Amérique latine et ailleurs, qui voudraient bien, au nom de la souveraineté étatique, parvenir à se libérer de tout contrôle de la communauté internationale en matière des droits de l'homme. Bref, ils voudraient bien que l'on fasse, tous ensemble, un bond mais en arrière.

La Haute Cour de Londres, tout en acceptant que la poursuite d'un ex Chef d'État du chef des crimes internationaux est conforme au droit international, considére toutefois qu'elle n'est pas envisageable devant un tribunal national étranger. Car "a former head of State is clearly entitled to immutiy in relation to criminal acts perfomed in the course of exercising public functions. One cannot therefore hold that any deviation from good democratic practice is outside the pale of immunity. If the former sovereign is immune from process in respecto of some crime, where does one draw the line?" .

Autrement dit, tant qu'un Tribunal pénal international n'existe effectivement pas pour les juger, les ex-Chef d'État -Hitler y compris- ne sauraient être inquiétés à Londres. Toujours est-il que, d'après le raisonnement du président de la Haute Cour de Londres, Lord Bingham of Cornhill, l'ex-Führer ayant, jadis et ailleurs la Grand Bretagne, fait tuer des Britanniques et des Juifs, mais n'étant pas lui-même Anglais, il n'était pas "justiciable" des tribunaux pénaux britanniques, compte tenu de l'immunité qui lui était dûe en tant qu'ex-Chef d'État de l'Allemagne nazie. Avec de nuances, telle fut aussi l'argumentation des avocats des nazis jugés par le Tribunal international à Nuremberg, où le distingué juge Anglais, Sir Lawrence, siégea comme président de celui-ci, .

Mais la régression dans le temps et les ressemblances allaient plus loin encore. En effet, les défenseurs du Kaiser Guillaume II, dont l'extradition fut demandée aux Pays Bas en 1919 par certains États étrangers, n'avaient-ils soutenu "que l'acte public accompli par le souverain n'est pas assimilable à un acte personnel"?

La compétence universelle des tribunaux nationaux, telle qu'elle a été admise par la Haute Cour de Londres dans sa décision du 28 octobre 1998, n'était donc pas applicable aux crimes internationaux perpétrés par ceux qui jouissaient d'une immunité étatique. Le droit pénal international est ainsi reconverti en celui qui existait avant 1914 et connu comme le droit pénal international classique. Celui-ci, dont les normes incriminantes ne relevaient que du droit interne de chaque État , avait comme postulat juridique l'application de la compétence universelle et de la règle aut dedere aut judicare uniquement aux crimes dits de droit commun. En tout état de cause, c'était une conception cohérente avec le droit international classique d'avant la Grande Guerre, lequel affirmait qu'en droit des gens ne pouvaient exister, stricto sensu, ni crimes ni criminels . Par contre, la position de la Haute Cour de Londres qui, d'une part, reconnaissait l'existence des crimes relevant du droit international, et, d'autre part, en pratique, faisait fi -"would make a mockery" - non seulement du Droit de Nuremberg mais de toute l'évolution juridique ayant eu lieu après la deuxième Guerre Mondiale, n'était guère tenable.

Les "Lords de la Loi" : un petit pas en avant.

Dans la deuxième et définitive décision des "Lords de la Loi", en date du 24 mars 1999, une conclusion est claire au delà des multiples nuances: s'agissant d'un crime de droit international, un ex-Chef d'État peut être poursuivi et traduit en justice devant un tribunal pénal national étranger, en vertu de la compétence universelle.

Il est pertinent de transcrire l'argumentation du président Lord Browne-Wilkinson: "if, as alleged, Senator Pinochet organised and authorised torture after 8 December 1988, he was not acting in any capacity which gives rise to immunite ratione materiae because such actions were contrary to international law", et, d'autre part, "if the former head of State has immunity, the man most responsible will escape liability while his inferiors (the chiefs of policie, junior army officers) who carried out his orders will be liable. I find it impossible to accept that this was the intention".

La nouveauté et l'importance des deux décisions prises par les "Lords de la Loi" n'est pas moindre. Nouveauté, parce qu'apparemment c'est la première fois, dans l'histoire moderne, qu'un tribunal national déclare un ex-Chef d'État étranger susceptible d'être traduit en justice pour des crimes internationaux exécutés par ses subordonnés pendant son gouvernement. Importance, parce que ce faisant, elle détruit l'un des aspects honteux de l'ordre hérité de la "guerre froide", et consistant dans l'impunité octroyée par les deux camps à leurs criminels internationaux. Cet ordre honteux a permis, pendant plusieurs décennies, qu'au nom d'une pseudo-souveraineté étatique, "the man most resposible will escape liability" (Lord Browne-Wilkinson). Sur l'autel de la paix froide l'Est et l'Ouest sacrifièrent la justice et avec elle des centaines de milliers de victimes. Chaque côté exigeait des siens d'être prudents, réalistes, de fermer les yeux face aux crimes et aux criminels internationaux, même déchus s'agissant de chefs d'État, sinon, c'était le communisme qui pouvait s'emparer de l'occident, disaient les uns, c'était les capitalistes qui pouvaient s'emparer du paradis socialiste, disaient les autres.

Mais la guerre froide terminée, la pseudo-immunité et l'impunité pour certains crimes et criminels internationaux, n'était plus tenable. Les idées, les normes juridiques, la raison et la dignité se sont libérées des chaînes imposées par l'ordre honteux de la guerre froide. Lord Browne-Wilkinson a ainsi pu affirmer sans affaiblir, comme l'on soutenait auparavant, la démocratie occidentale, à l'égard d'un ancien et cruel dictateur défenseur de celle-ci : "I find it impossible to accept that this was the intention".

Pourtant, depuis plusieurs décennies, à l'échelon international aussi bien que national, il avait été déjà possible et conforme au droit [pénal] international de poursuivre des crimes et de criminels internationaux, y compris les ex-Chefs d'État.


Un droit pénal international dangereux pour les criminels internationaux.

Le droit [pénal] international appelé nouveau par opposition à celui dénommé classique, introduit la notion du crime et du criminel stricto sensu, en droit des gens. Les traces de ce nouveau droit se trouvent déjà dans la Partie VII, intitulé Sanctions, du Traité de Versailles (1919), et dans plusieurs instruments internationaux adoptés entre les deux guerres mondiales du XXe siècle. Mais il ne se manifesta au grand jour qu'à l'issue de la deuxième guerre mondiale dans la Charte du Tribunal international de Nuremberg (1945). Or, le droit de Nuremberg, et surtout la nouvelle notion alors émergeante de "crime contre l'humanité", autorisant l'immixtion dans les affaires internes d'un État, avait rasé le mur juridique séculaire construit par le droit [pénal] international classique pour protéger ceux qui agissaient criminellement à l'ombre des États. Ce faisant, le droit [pénal] international devenait, pour la première fois dans l'histoire moderne, un danger pour ce type spécial de criminel.

Le danger s'accrût avec l'adoption, inter alia, de la Convention sur le crime de génocide le 9 décembre 1948, et, le lendemain, avec l'approbation de la Déclaration Universelle des droits de l'homme... En outre, sous la pression de nombreux "rêveurs" de l'époque, l'on élabora au sein des Nations Unies un Projet de Cour pénale internationale permanente (1951-1953) et un Projet de Code des crimes contre la paix et la sécurité de l'humanité (1954).

Mais la réponse à la montée d'un tel droit ne se fit pas attendre. Les "raisons" d'État et d'une certaine logique du pouvoir qui, depuis plusieurs siècles, étaient les vrais fondements de l'ancien mur à caractère juridique rasé à la fin de la deuxième guerre mondiale, restaient en fait presque intactes de par le monde. Alors, pour endiguer le danger, un mur "virtuel" de nature politique, "invisible" pour certains, fut rapidement dressé afin de remplacer l'ancien. La règle était simple: on doit "tout" faire comme si le droit de Nuremberg n'existait ni à l'échelon international ni non plus à l'échelon national.

Pour le rendre impuissant à l'échelon international, tous sont tombés vite d'accord pour envoyer aux oubliettes le projet d'une Cour pénale internationale permanente, d'une part, et, d'autre part, pour ne pas utiliser certains mécanismes juridiques permettant la fâcheuse immixtion. Staline et ses collaborateurs, les responsables des bombardements atomiques sur Hiroshima et Nagasaki, parmi les grands, "Papa Doc" Duvalier en Haïti, parmi les petits, étaient pleinement d'accord sur ce point. Ainsi, aucun État, des deux côtés du mur de Berlin, ne se souvint jamais de l'article VIII de la Convention sur le crime de génocide qui établit:

"Toute Partie contractante peut saisir les organes compétents de l'Organisation des Nations Unies afin que ceux-ci prennent, conformément à la Charte des Nations Unies, les mesures qu'ils jugent appropriées pour la prévention et la répression des actes de génocide ou de l'un quelconque des autres actes énumérés à l'article III."

Le Rapporteur spécial des Nations Unies chargé d'étudier la question du crime de génocide, Benjamin Whitaker, constata déjà en 1985 :

"Le gouvernement minoritaire des Tutsis a d'abord liquidé les dirigeants hutus en 1965, puis massacré entre 100 000 et 300 000 Hutus en 1972."

Et aussi il rappela:

"le massacre auquel les Khmer rouges se sont livrés au Kampuchea entre 1975 et 1978, et actuellement le massacre des Baha'is par les Iraniens."

Et il encore précisa :

"On estime que le Gouvernement kmer rouge de Pol Pot au Kampuchea démocratique aurait tué au moins 2 million de personnes".

Si cela se passait à l'échelon international, il en était de même à l'échelon national. En tout état de cause, la compétence universelle ne s'appliqua qu'aux "petits poisson", de temps en temps à certains nazis, mais jamais à "the man most responsible". Malgré tout, l'importance de la jurisprudence des tribunaux nationaux n'est pas négligeable. Les normes étaient là, constituant un savoir presque ésotérique ou méconnu des juristes. Mais, de cette manière, l'ordre régnait sous les cieux.

Mais cet ordre inique de la guerre froide s'écroula avec le mur qui tomba le 9 novembre 1989. N'existant guère le mur juridique depuis Nuremberg, n'existant plus le mur de la honte depuis ce qui s'est passé à Berlin, le troisième mur, celui qui assurait l'impunité de par le monde à "the man most responsible", ne pouvait plus tenir comme auparavant. Deux faits au moins montrèrent à l'échelon international l'ébranlement de ce troisième mur.

Le premier fut la constitution du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (1993) et, le deuxième, le TPI pour le Rwanda (1994). Or, le fondement juridique desdits tribunaux ne fut pas une nouvelle convention internationale acceptée et signée par les États concernés. La communauté international est tombée d'accord pour les mettre en place sur la base du droit coutumier international , le Secrétaire général des Nations Unies affirmant alors que le crime de génocide relève du "droit international coutumier, comme en témoigne l'avis consultatif rendu en 1951 par la Cour internationale de Justice sur les réserves à la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide." En outre, "sans aucun doute [est] devenue partie de droit international coutumier (...) le statut du Tribunal militaire international du 8 août 1945", où l'on trouve l'incrimination relative aux crimes contre l'humanité.

À l'échelon national, l'affaire Pinochet (1998-1999) -et par la suite celle qui a commencé le 25 janvier 2000 à Dakar, relative à l'ex-Chef d'État du Tchad, Hissène Habré- n'est que le pendant de la décision de la communauté internationale de mettre en place les TPI susmentionnés. On a ainsi donné fin, espérons-le, à une époque caractérisée par l'impunité absolue des principaux responsables des crimes internationaux. L'affaire Pinochet est donc la première fois...

Le chemin à parcourir ne sera pas facile. Construire un nouvel ordre international basé sur le respect des droits humains, après celui imposé par la "guerre froide", demandera des grands efforts à tous. On se réjouit de cela en dépit de certaines dissonances. Nous ne regrettons pas la disparition de l'ancien ordre et de l'ancien mur. Au delà de toute controverse, il nous semble une chose claire. Démocratie, justice, paix, droits humains sont incompatibles avec l'immunité d'ex-Chefs d'États responsables des crimes internationaux. Aucun peuple étranger ne saurait fermer les yeux face à ceux-ci, sans se dérober au devoir de solidarité envers les autres peuples, mais aussi à son devoir de contribuer à construire un nouvel ordre international.

Il est légitime de se demander, parfois, si l'affaire Pinochet qui commença à Madrid et à Valencia en 1996 et termina à Londres en 1999, ne saurait être un immixtion incorrecte et pernicieuse dans la vie d'un autre peuple. Avec plusieurs centaines de milliers de latino-américains, l'auteur de cet article dit clairement non. S'agissant de la défense des droits de l'homme, du châtiment des crimes et des criminels internationaux comme ceux-ci, ne pas lutter ensemble, au delà de frontières, c'est être complice de l'horreur que l'on vit aujourd'hui par exemple en Colombie, en Tchétchénie ou ailleurs.

Il ne faut pas oublier non plus ce que l'histoire récente nous apprend. Il aurait été virtuellement impossible au peuple allemand de lutter contre le nazisme, même après sa défaite militaire en 1945, sans l'aide de la communauté internationale. C'est-à-dire que, outre les facteurs internes, certaines idéologies, structures et pouvoirs criminels, à l'intérieur d'un pays, sont devenus tellement puissants en raison de facteurs externes, que sans l'appui d'autres "acteurs" externes, la population du pays concerné n'arrivera pas à mettre un terme à la situation créée. Bref, pour défaire celle-ci, il faut faire recours non seulement à la volonté du peuple directement impliqué, mais aux autres peuples, lesquels devront, de prime abord, utiliser tous les moyens pacifiques permis par le droit international.

Si dans le passé et même jusqu'aujourd'hui, outre les facteurs internes, les rapports internationaux ont engendré, soutenu ou permis la mise en place de régimes politiques responsables des crimes internationaux, après 1989, il y a aussi la possibilité, plus nettement qu'auparavant, d'agir autrement. En attendant la mise en place de nouveaux mécanismes, assurément nécessaires en vue d'un nouvel ordre international, l'alternative immédiate ne saurait être l'immobilisme.

L'immobilisme à l'échelon national, en attendant l'installation de la future Cour pénale internationale ou, le cas échéant, de nouveaux TPI ad hoc, dont la mise en place est toujours aléatoire, fait les délices de "Papa Doc", d'Idi Amin Dada, de Cedras. Comme c'était le cas d'A. Pinochet.

Louvain-La-Neuve, le 25 avril 2000.

José Burneo L. est péruvian, défenseur des droits de l'homme, avocat, doctorant en droit à l'UCL, Belgique.


Édition électronique par l'Équipe Nizkor. UE, 06aug00.

Juicio a Pinochet

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