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30abr11
Déclaration de l’APG IG relative à l’arrêt de la Cour constitutionnelle bolivienne nº 2003-2010-R
Le Conseil directeur de l’Assemblée du peuple guarani Itika Guasu, après analyse par notre département juridique de l’arrêt de la Cour constitutionnelle bolivienne dans l’affaire Sedeca vs APG IG, a décidé de rendre publiques certaines de ses conclusions :
1) Après avoir reçu la notification, le 12 avril 2011, de la part du Tribunal de Sentencia (première instance judiciaire chargée de connaître des infractions soumises à l’action publique) d’Entre Ríos, de l’arrêt de la Cour constitutionnelle nº 2003-2010-R rendu le 25 octobre 2010, à la suite d’une requête d’amparo (peut être introduite devant la Cour constitutionnelle lorsqu’un droit garanti par la constitution a été violé) introduite par SEDECA, nous exprimons notre satisfaction quant à la teneur de cet arrêt, étant donné que celui-ci confirme la position juridique que nous avons défendue en ce qui concerne notre droit à la consultation et à la propriété de notre Territoire communautaire d’origine.
2) La requête d’amparo trouve son origine dans une lettre que nous avons envoyée à PETROSUR en février 2008. Résultat de cette expérience : nous avons compris qu’il était nécessaire d’agir avec précaution et avec un avis juridique. C’est ainsi que le 13 mars 2008, une réunion a été convoquée avec le ministère des Hydrocarbures et de l’Énergie (MHE), réunion au cours de laquelle la représentante du MHE a refusé de signer l’acte de réunion. Nous avions alors envoyé une lettre, également le 13 mars 2008, à laquelle nous n’avons jamais obtenu de réponse, au vice-ministre de ce ministère, Jorge Ortíz.
Une deuxième réunion a été convoquée avec le MHE en avril 2008, cette fois en présence de la superintendance du ministère des Hydrocarbures et de YPFB (Yacimientos Petrolíferos Fiscales Bolivianos), au cours de laquelle nous avons été informés qu’une licence d’exploitation avait été concédée à l’entreprise Transredes SA, sans avoir tenu compte de notre droit à la consultation. Suite à cela, l’APG IG avait envoyé une lettre le 21 avril 2008 au ministre des Hydrocarbures de l’époque, Carlos Villegas.
Ces lettres ont été les premiers documents au contenu clairement juridique envoyés par l’APG IG au gouvernement, sans que nous ayons jamais reçu de réponses.
3) Lors de l’assemblée régionale de l’APG IG des 28 et 29 avril 2008, dans la communauté de Lagunitas, Zone 3, la question centrale des débats des 36 communautés était de savoir s’il fallait opter pour une stratégie juridique ou continuer sur la voie d’une stratégie purement politique, qui jusqu’alors n’avait donné aucun résultat.
Never Barrientos proposa de suivre une stratégie juridique élaborée selon les principes du droit consuétudinaire indigène, du droit international des droits de l’homme et de la jurisprudence de la Cour interaméricaine des Droits de l’Homme, proposition qui fut adoptée par l’Assemblée et qui a été maintenue jusqu’à aujourd’hui.
Le débat fut intense et dura deux jours. S’opposaient à la position de notre président actuel : les représentants de l’ONG CERDET (qui participaient à nos assemblées à l’époque) ; Justino Zambrano Cachari, actuel membre de l’assemblée départementale qui s’est autodésigné, violant de ce fait nos us et coutumes, raison pour laquelle il n’a jamais été reconnu par l’Assemblée de l’APG IG ; Andrés Segundo Tejerina, actuel secrétaire d’un bureau de liaison de la municipalité d’Entre Ríos, ancien chef de l’unité des Affaires indigènes UDAIPO du préfet Mario Cossío et ex-candidat au poste de député indigène pour le parti Convergencia Nacional (parti de Mario Cossío et Manfred Reyes Villa). Tous s’opposaient à l’application d’une stratégie juridique quelle qu’elle soit, en ce compris la défense de nos us et coutumes.
4) Parmi les résultats les plus évidents de la stratégie adoptée se trouvent la publicité, au sein de nos communautés, des normes de droit indigène et le renforcement de nos us et coutumes, ce dernier étant reflété dans les documents suivants :
a) La reconnaissance juridique, par la résolution du 25 août 2009 de la préfecture de Tarija, suivie de l’accord souscrit avec celle-ci pour la construction d’un tronçon de route sur le TCO Itika Guasu, par lequel la préfecture reconnaissait pour la première fois la propriété du TCO Itika Guasu et notre droit à l’usufruit, et l’inexistence d’un droit d’expropriation sur notre terre, dans les cas de construction de routes de tout type. Ce fut le premier, et jusqu’à aujourd’hui le seul accord de ce genre qui respecte le principe juridique consuétudinaire selon lequel les terres communautaires ne sont pas susceptibles d’expropriation.
Cet accord a été respecté seulement en partie à cause de SEDECA, qui ne l’a pas respecté, et de l’obstruction délibérée de l’actuel gouverneur Lino Condori, qui considère comme “secondaires” les questions d’ordre juridique.
b) L’accord signé avec Repsol Bolivia SA le 29 décembre 2010 dans lequel sont repris tous les points juridiques inclus dans l’arrêt de la Cour constitutionnelle qui nous occupe.
c) La constitution définitive, le 11 mars 2011, du fonds d’investissement Itika Guasu, premier fonds indigène en Bolivie et en Amérique latine, qui nous permet de nous rapprocher des principes d’autonomie indigène car il garantit le financement sur le long terme de notre développement, tel que nous l’indiquions dans notre communiqué du 15 mars 2011.
5) Au vu de ce que nous venons d’exposer, nous nous réjouissons du sens et de la profondeur de cette décision, car nous pouvons dire que la Cour a confirmé les principes que nous défendons et, bien qu’elle nous concerne directement, son application s’étend à toutes les communautés indigènes, notamment celles qui sont propriétaires de terres communautaires, et au droit à la consultation tel qu’il est reflété dans le texte de l’arrêt.
6) Cet arrêt est composé d’une doctrine juridique basée sur l’application d’instruments internationaux des droits de l’homme, de déclarations d’organismes spécialisés de l’ONU et même de comptes rendus de rapporteurs spécialisés, les transformant en doctrine applicable, et il laisse clairement entendre que les décisions de la Cour interaméricaine sont d’application dans la juridiction interne bolivienne. Pour ce faire, la Cour utilise l’arrêt rendu dans l’affaire Pueblo Saramaka vs. Surinam, décision exemplaire que nous avons employée pour notre propre formation et que nous avons défendue, sans succès, devant le gouvernement national, le gouverneur de Tarija et la municipalité d’Entre Ríos, ainsi que devant les entreprises qui interviennent sur notre territoire communautaire.
7) Espérons que les opérateurs juridiques tels que les avocats, les procureurs et les juges de notre juridiction prennent note de la décision du plus haut tribunal de l’État Plurinational de Bolivie et agissent en conséquence, en la respectant et en modifiant leur position réfractaire à l’application du droit indigène selon nos us et coutumes, des principes dérivés des arrêts de la Cour interaméricaine et du droit international des droits de l’homme.
Du droit à la consultation
8) L’arrêt de la Cour constitutionnelle confirme le droit à la consultation au sens large et correspond totalement aux critères défendus par notre organisation, et plus particulièrement à certains aspects que nous souhaitons mettre en avant, étant entendu que nous nous conformons à l’entièreté de l’arrêt :
a) “En ce qui concerne les ressources naturelles, l’article 403 de la Constitution politique de l’État reconnaît l’intégralité du territoire indigène originaire paysan, qui comprend le droit à la terre, à l’utilisation et l’exploitation exclusives des ressources naturelles renouvelables, à la consultation préalable et en connaissance de cause, et à la participation aux bénéfices de l’exploitation des ressources naturelles non renouvelables se trouvant sur leurs territoires.”
b) “Conformément à ce qui vient d’être dit, pour pouvoir mener à bien les projets correspondant aux trois cas de figure signalés ci-dessus, les peuples autochtones doivent donner leur consentement, ce qui signifie que dans les cas en question, les peuples ont le pouvoir de refuser le projet ; dans les autres cas, lorsque la consultation est faite en toute bonne foi, avec des méthodes appropriées et des informations correctes, les peuples indigènes ont le droit de participer à l’élaboration du projet, l’intervention de l’État étant délimitée par des marges définies selon des critères raisonnables, l’État étant sujet à des normes, des principes et des valeurs contenus dans la Constitution politique de l’État, y compris le principe de légalité et l’interdiction du caractère arbitraire, et ce afin de respecter les droits des communautés originaires et d’éviter les impacts nocifs sur leur environnement et leur mode de vie.”
c) Ainsi, conformément aux normes du bloc de constitutionnalité glosées dans la partie “Fondements juridiques”, III.4. et III.5., du présent arrêt, les peuples autochtones ont droit à la consultation préalable, droit qui, contrairement à ce que soutient le demandeur, s’étend à l’approbation de tout projet ayant des incidences sur leurs terres ou territoires et autres ressources (art. 32.2. de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones), et ce étant donné l’importance particulière que revêt le territoire pour les peuples autochtones, conformément à ce qui a été expliqué dans les fondements précédents.
Dans l’affaire analysée, la convention conclue entre PETROSUR SRL et SEDECA Tarija concernait l’utilisation des installations du campement Cañadas situé sur le territoire de la région Itika Guasu du peuple guarani. Par conséquent, ce peuple aurait dû être consulté préalablement, dans le respect des normes de la Convention nº 169 de l’OIT relative aux peuples indigènes et tribaux et de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, qui font partie du bloc de constitutionnalité.
d) Aux deux cas de figure cités ci-dessus, il faut en ajouter un troisième, qui a fait jurisprudence dans l’affaire Pueblo Saramaka vs. Surinam, lorsque la Cour interaméricaine des Droits de l’Homme a reconnu le droit au consentement “[...] lorsqu’il s’agit de projets de développement ou d’investissement à grande échelle qui auraient un impact majeur sur le territoire Saramaka, l’État est obligé, non seulement de consulter les indigènes Saramaka, mais doit également obtenir leur consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, selon leurs coutumes et traditions. La Cour considère que la différence entre “consultation” et “consentement” dans ce contexte doit faire l’objet d’une analyse plus poussée.”
Dans le même arrêt, elle signale que “[...] le Rapporteur spécial de l’ONU, à propos de la situation des droits de l’homme et des libertés fondamentales des peuples indigènes, a observé, de manière similaire que :
Lorsque de tels projets sont menés à bien dans des zones habitées par des peuples autochtones, on peut s’attendre que ces communautés connaissent des bouleversements sociaux et économiques, qui ne sont pas toujours bien compris, et certainement pas toujours prévus, par les autorités chargées de la promotion du projet. [...] Les principales conséquences [...] sont la perte des territoires et terres traditionnels, l’expulsion, la migration et la réimplantation qui s’ensuit, l’épuisement des ressources nécessaires à la survie matérielle et culturelle, la destruction et la pollution de l’environnement traditionnel, la désorganisation sociale et communautaire, la détérioration à long terme de la santé et de la nutrition ainsi que, dans certains cas, la persécution et la violence.”
Par conséquent, le Rapporteur spécial des Nations Unies détermina que “Le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, est essentiel au respect des droits fondamentaux des peuples autochtones s’agissant des grands projets de développement”. (Cour interaméricaine des Droits de l’Homme. Affaire Pueblo Saramaka vs. Surinam. Excepciones Preliminares, Fondo, Reparaciones, Costas. Arrêt du 28 novembre 2007, Série C Noº 72.)
Conformément à ce qui vient d’être dit, pour pouvoir mener à bien les projets correspondant aux trois cas de figure signalés ci-dessus, les peuples autochtones doivent donner leur consentement, ce qui signifie que dans les cas en question, les peuples ont le pouvoir de refuser le projet ; dans les autres cas, lorsque la consultation est faite en toute bonne foi, avec des méthodes appropriées et des informations correctes, les peuples indigènes ont le droit de participer à l’élaboration du projet, l’intervention de l’État étant délimitée par des marges définies selon des critères raisonnables, l’État étant sujet à des normes, des principes et des valeurs contenus dans la Constitution politique de l’État, y compris le principe de légalité et l’interdiction du caractère arbitraire, et ce afin de respecter les droits des communautés originaires et d’éviter les impacts nocifs sur leur environnement et leur mode de vie.
9) Par conséquent, nous exigeons du gouverneur de Tarija, M. Lino Condori, qu’il respecte cette décision et la mette en pratique sans délai en donnant ses instructions en conséquence, dans les formes légales, aux fonctionnaires se trouvant sous ses ordres, aux représentants et à SEDECA, afin qu’il n’y ait plus aucun doute sur l’obligation de respecter la décision dans son ensemble et sans entraves, étant donné que nous avons reçu de la part du gouverneur des informations en totale contradiction avec la teneur de cette décision, lors d’une réunion convoquée par lui-même à notre siège social d’Entre Ríos le 16 mars 2011.
10) Nous exigeons expressément que le chef de la municipalité d’Entre Ríos, M. Teodoro Suruguay, respecte cette décision et prenne tout particulièrement en considération que toute activité, qu’elle soit culturelle, sociale, administrative, ou qu’il s’agisse d’un investissement concernant le TCO Itika Guasu, doit faire l’objet d’une consultation préalable avec l’APGIG dans les termes de la Cour constitutionnelle.
Cela revêt une importance particulière, car il s’agit de l’autorité qui nous concerne le plus. Or, elle n’a jamais tenu compte du droit de consultation et agit dans la plus grande méconnaissance de nos us et coutumes.
11) Nous exigeons du Procureur départemental de Tarija qu’il donne les instructions nécessaires pour que tant la procureur (Fiscal de Materia) III de Yacuiba, Mme Narda V. Dorado Romero que le procureur d’Entre Ríos, M. Juan Carlos Ferrufino, se plient à cette décision dans son intégralité, et plus particulièrement à un aspect impératif qui nous concerne directement, sur lequel la Cour constitutionnelle dit ce qui suit :
“D’autre part, il existe des recommandations pour garantir l’accès à la justice au peuple indigène guarani et à d’autres peuples indigènes en Bolivie :
28. Adopter et réformer des politiques et des lois nationales dans le but que soient instituées des procédures efficaces pour solutionner les revendications de terres formulées par les peuples indigènes, avec une attention particulière à la situation des communautés guaranis dans la région du Chaco.
29. Réformer la législation nationale, ou en adopter une, pour que les peuples indigènes puissent entamer des procédures judiciaires, que ce soit en personne ou par le biais de leurs organismes de représentation, pour leur assurer le respect des droits de l’homme. Ces procédures doivent être équitables et justes et mener à des décisions rapides et à des dédommagements effectifs pour les violations de leurs droits individuels et collectifs. Une attention particulière doit être donnée aux affaires liées à des dommages subis par des indigènes individuellement victimes d’actes de violence.”
Nous exigeons que nos us et coutumes ainsi que la propriété de notre TCO Itika Guasu soient respectés, tel que nous l’avons demandé à plusieurs reprises en exerçant le droit de représentation que possède notre organisation, droit qui a été ignoré de manière totalement arbitraire, violant de ce fait le droit au procès équitable que nous possédons. Notre organisation s’est dès lors retrouvée dans une position dans laquelle elle ne pouvait pas se défendre, à cause des autorités judiciaires et policières d’Entre Ríos.
Du droit de propriété du TCO Itika Guasu
12) Sur ce point, et vu la complexité de la question et les parties impliquées, nous souhaitons simplement exprimer notre grande satisfaction par rapport aux termes de l’arrêt, car il est en accord avec la position prise face aux autorités nationales et à l’INRA à plusieurs reprises, par écrit et publiquement, sans que nous ayons jamais reçu de réponses formelles à nos réclamations.
Nous voulons seulement faire clairement savoir aux autorités qui pensent être compétentes à ce sujet que toute intervention effectuée sans notre participation formelle et dans des termes juridiquement valables ne sera jamais reconnue par notre organisation. Par conséquent, nous les avertissons que seules les autorités, élues selon nos us et coutumes, représentant légalement notre organisation et donc les 36 communautés qui composent l’APG IG, peuvent agir de manière valable, tant en termes de légitimité que de légalité.
13) Quant aux entreprises qui interviennent sur le TCO Itika Guasu, nous leur rappelons que les principes que nous avons défendu jusque maintenant sont en accord parfait avec les termes de la Cour constitutionnelle. Dès lors, qu’il s’agisse d’entreprises publiques ou privées, elles doivent se soumettre à cette décision dans son intégralité.
C’est tout particulièrement vrai pour les entreprises avec lesquelles nous ne sommes pas encore parvenus à un accord. Nous parlons ici de Petrobras Bolivia SA, qui est en train d’étudier une proposition juridique remise par l’APG IG qui correspond exactement à la décision de la Cour. Nous espérons pouvoir arriver à un accord basé sur notre proposition grâce auquel nous pourrions donner notre consentement au projet d’exploration sismique 3D du Bloc San Antonio.
Quant à YPFB Transportes SA, entreprise publique, nous lui demandons qu’elle analyse très attentivement la décision de la Cour, puisque ses dirigeants actuels campent sur des positions qui ne s’accordent à l’arrêt ni sur le fond ni sur la forme, notamment en ce qui concerne le “principe de bonne foi” et tout ce qui touche à ce que la Cour appelle des “propositions dans l’intention de conclure un accord”. Ces points lui seront communiqués en temps voulu dans les formes légales et par le biais de moyens légaux en termes juridiques, étant donné que notre département juridique n’a pas encore terminé l’analyse de la contre-proposition présentée par la haute direction de cette entreprise.
14) Finalement, nous voulons lancer un appel à toutes les communautés indigènes pour qu’elles s’approprient cette décision et les documents qui y sont mentionnés de manière à pouvoir les utiliser directement sans aucun intermédiaire social, en les adaptant aux us et coutumes propres à chaque peuple ou nation indigènes pour pouvoir ainsi construire un avenir plus juste où nous serons véritablement autonomes.
Entre Ríos, 30 avril 2011
Assemblée du peuple guarani Itika Guasu
Informes sobre DDHH en Bolivia
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